Tunisie: Commentaire | La guerre de Gaza a déjà rebattu les cartes diplomatiques de la région

8 Novembre 2023

L'attaque surprise du Hamas du 7 octobre a bouleversé plusieurs dynamiques caractérisant la politique régionale ces dernières années.

La première et la plus évidente était l'idée fausse selon laquelle la question palestinienne n'avait plus d'importance pour les Arabes et qu'il était possible de parvenir à la stabilité dans la région, même si les Palestiniens restaient soumis à une forme particulièrement brutale d'occupation.

Les réactions de la rue arabe ont montré que les Palestiniens et les injustices auxquelles ils sont confrontés restent un enjeu emblématique, capable de galvaniser la colère plus que toutes les autres.

Cette colère, palpable dans l'opinion publique avant le 7 octobre, s'intensifie.

Le conflit en cours a remis la Palestine au centre du débat public, a revigoré les appels à une solution politique au problème palestinien et remis sur la table la question d'un État binational, compte tenu de l'impossibilité d'une solution à deux États.

Elle provoque également un sentiment anti-occidental croissant lié au soutien apparemment sans réserves dont bénéficient les bombardements israéliens sur Gaza.

Ces accusations de deux poids, deux mesures ont par ailleurs sapé une grande partie des efforts diplomatiques visant à obtenir le soutien des principaux pays du Sud à l'Ukraine et à la nécessité de maintenir un ordre international fondé sur des règles.

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Normalisation gelée

Le 7 octobre a également gelé le processus des accords d'Abraham, qui visaient à créer une nouvelle architecture sécuritaire et économique incluant principalement les pays arabes du Golfe et Israël, et à intégrer progressivement ce dernier dans la région.

Or ce processus de normalisation a sapé le principe de l'échange de territoires contre la paix énoncé dans les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et réaffirmé par l'initiative de paix arabe de 2002.

La route commerciale Inde-Moyen-Orient-Europe récemment annoncée par Washington, qui relierait l'Inde à la région du Golfe puis à Israël, n'a fait que souligner le fait que le principal instigateur de ces accords s'est concentré sur le Golfe en mettant à l'écart le Levant et, par conséquent, les Palestiniens.

Ces derniers se sont ainsi retrouvés sans soutien régional, ce qui a permis à l'Iran de combler le vide.

Le pilier le plus important de ce nouvel ordre régional devait être la normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël, dont les négociations ont été suspendues pour une durée indéterminée après le 7 octobre.

La reprise des pourparlers israélo-saoudiens dépendra de la cessation des hostilités, de résultats politiques qui répondent à la situation catastrophique des Palestiniens et de la forme du nouveau gouvernement israélien.

Une troisième hypothèse que le 7 octobre a pu renverser était que les efforts déployés par l'Iran au fil des décennies pour consolider son influence régionale commençaient à porter leurs fruits.

Au début de l'année, le rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran a reflété la reconnaissance implicite par Riyad du réseau iranien d'acteurs non étatiques dans des pays-clés du Moyen-Orient, notamment la Syrie, l'Irak, le Liban et le Yémen.

Les dirigeants saoudiens sont désormais disposés à traiter de manière pragmatique avec Téhéran, dont l'influence régionale avait été autrefois dénoncée comme un « serpent »,le dialogue entre les États-Unis et l'Iran a progressé grâce à un accord prévoyant la libération de cinq Américains détenant une double nationalité en échange de 6 milliards de dollars d'actifs iraniens gelés en Corée du Sud.

L'Iran a également utilisé ses mandataires pour réussir à encercler Israël avec des lignes de dissuasion successives à partir du Liban, de Gaza, de la Syrie et, plus loin, de l'Irak et du Yémen.

Quadrature du cercle

Aujourd'hui, tout cela est menacé. Le succès opérationnel du Hamas, peut-être involontaire, a conduit la région, et avec elle le monde, au bord d'un conflit régional et potentiellement mondial.

Le nombre croissant de victimes parmi les Palestiniens, avec environ 10.000 personnes tuées et plus de 22 000 blessées, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, et quelque 30 % des logements de Gaza détruits, exerce une pression sur la stratégie iranienne de « l'unité des fronts ».

Téhéran ne souhaite pas être impliqué dans le conflit, mais après avoir unifié ses alliés au Liban, à Gaza, en Syrie et en Cisjordanie dans leur lutte contre Israël, il ne peut pas non plus se permettre de ne rien faire si le Hamas est menacé.

D'autre part, les Iraniens savent que toute intervention pourrait être catastrophique si elle menaçait directement les atouts régionaux qu'ils ont mis plus de trois décennies à construire.

Pour résoudre la quadrature du cercle, le Hezbollah a adopté une forme d'escalade progressive avec Israël le long de la frontière sud du Liban.

Jusqu'à présent, cette escalade est restée contenue, et le discours très attendu du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah est allé dans ce sens.

Toutefois, le début des attaques directes contre Israël par des groupes pro-iraniens d'Irak, du Yémen et de Syrie place la région sur une pente glissante qui pourrait déclencher un conflit beaucoup plus large.

C'est pourquoi ceux qui incitent Israël à rechercher des objectifs maximalistes dans son intervention à Gaza pourraient pousser leur allié et le monde vers une catastrophe.

Les attentats du 7 octobre ont peut-être bouleversé la région, mais peu d'acteurs ont intérêt à ce qu'ils bouleversent l'ordre international.

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