Burkina Faso: La loi d'urgence cible les dissidents

communiqué de presse

Nairobi — La junte utilise la conscription pour punir ses détracteurs

La junte militaire au Burkina Faso utilise une loi d'urgence d'une vaste portée contre les opposants présumés pour renforcer la répression qu'elle exerce contre la dissidence, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Entre le 4 et le 5 novembre 2023, les forces de sécurité burkinabè ont notifié par écrit ou par téléphone au moins une douzaine de journalistes, d'activistes de la société civile et de membres de partis d'opposition qu'ils seraient réquisitionnés pour participer aux opérations de sécurité du gouvernement dans tout le pays.

Les autorités militaires de transition affirment que les ordres de conscription ont été autorisés dans le cadre de la « mobilisation générale » du 13 avril, qui s'inscrit dans un plan de reconquête des territoires perdus au profit des groupes armés islamistes, qui contrôlent environ la moitié du pays. Ce plan vise à créer un « cadre juridique pour toutes les actions » à mener contre les insurgés et donne au président des pouvoirs étendus pour combattre l'insurrection, notamment en réquisitionnant des personnes et des biens et en restreignant les libertés publiques.

« La junte burkinabè utilise sa loi d'urgence pour réduire au silence la dissidence pacifique et punir ses détracteurs », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Le gouvernement ne devrait pas répondre aux groupes islamistes armés abusifs par d'autres violations des droits humains, mais plutôt renforcer les efforts pour protéger les civils et faire respecter les droits fondamentaux à la liberté d'expression et de parole. »

En ciblant des individus qui ont ouvertement critiqué la junte, la conscription mise en place au Burkina Faso viole les droits humains fondamentaux, a déclaré Human Rights Watch.

Les récentes notifications de conscription visaient, entre autres, Bassirou Badjo et Rasmane Zinaba, membres du groupe de la société civile Balai Citoyen ; Daouda Diallo, un défenseur bien connu des droits qui est aussi le secrétaire général du Collectif contre l'Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC) et lauréat du Prix Martin Ennals pour les défenseur-euse-s des droits humains (2022) ; Gabin Korbéogo, président de l'Organisation démocratique de la jeunesse du Burkina Faso (ODJ), et les journalistes Issaka Lingani et Yacouba Ladji Bama.

Des groupes de la société civile nationale, des organes de presse et des syndicats ont fermement condamné l'application « sélective et punitive » du décret sur la « mobilisation générale ». Dans une déclaration du 6 novembre, le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples a déclaré que la mobilisation générale « a été spécifiquement conçue et adoptée non pas pour contribuer à la lutte contre le terrorisme », mais pour étouffer les opinions critiques.

Des activistes des droits humains et des journalistes ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils craignaient d'être réquisitionnés. « Cette vague de notifications affecte le bien-être mental des personnes », a déclaré un journaliste indépendant vivant à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. « Je me demande si je vais être le prochain sur la liste ». Certains ont déclaré qu'ils avaient décidé de ne pas critiquer publiquement les réquisitions afin de pouvoir continuer leur travail. « Un défenseur des droits humains n'est utile aux autres que s'il est vivant et libre », a déclaré un activiste de la région du Nord. « Je dois continuer à travailler et à servir ma communauté, et je ne peux pas le faire si je suis envoyé au front. »

Le 6 septembre, plusieurs médias ont rapporté que l'armée avait réquisitionné un anesthésiste, Arouna Louré, après que celui-ci eut publié sur Facebook un commentaire sur la réponse de l'armée à l'insurrection islamiste. Il a été envoyé à Koumbri, dans la province du Yatenga, l'une des régions les plus dangereuses du nord du pays, en soutien aux services médicaux de l'armée. Le 5 septembre, la veille de la conscription de Louré, des combattants islamistes ont tué au moins 17 soldats et 36 volontaires qui aidaient l'armée à Koumbri, dans l'une des attaques les plus meurtrières menées contre les forces de sécurité depuis le début de l'année.

Si les gouvernements sont habilités à réquisitionner des membres de la population civile âgés de plus de 18 ans pour contribuer à la défense nationale, des limites existent, que la junte a largement dépassées. Human Rights Watch considère que la conscription ne devrait pas avoir lieu si elle n'a pas été autorisée et si elle n'est pas conforme au droit national. La loi sur la conscription doit répondre à des normes raisonnables d'équité dans la répartition de la charge du service militaire. Elle doit être appliquée de manière que les conscrits potentiels soient informés de la durée du service militaire et aient la possibilité de contester l'obligation de servir pendant cette période. Enfin, la conscription doit être appliquée selon des normes compatibles avec la non-discrimination et l'égalité de traitement devant la loi.

En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), certains droits peuvent être restreints dans le cadre de l'état d'urgence, mais ils doivent être adaptés « dans la stricte mesure où la situation l'exige », contrairement à d'autres droits qui ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation, quelles que soient les circonstances. Le Comité des droits de l'homme des Nations unies, l'organe d'experts indépendants qui surveille le respect du PIDCP par les États, précise dans une observation générale que les restrictions à la liberté d'expression doivent être conçues et interprétées de manière étroite et que lesdites restrictions « ne peuvent pas compromettre le droit lui-même ». En vertu de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, aucune dérogation aux droits garantis par la Charte n'est autorisée en période d'urgence.

Depuis qu'elle a pris le pouvoir par un coup d'État en octobre 2022, la junte militaire a multiplié les mesures de répression à l'encontre des médias et de la dissidence pacifique, en réduisant considérablement l'espace civique au Burkina Faso.

Les journalistes nationaux et internationaux sont de plus en plus victimes de harcèlement, de menaces et d'arrestations arbitraires. En avril, les autorités militaires ont expulsé deux journalistes qui travaillaient pour les journaux français Libération et Le Monde, à la suite d'articles qui faisaient état de violations des droits humains commises par l'armée. En août, les autorités militaires burkinabè ont suspendu la station de radio indépendante Radio Omega pour un mois après la diffusion par cette dernière d'une interview de partisans du président nigérien déchu Mohamed Bazoum. En septembre, la junte a suspendu le média Jeune Afrique, basé à Paris, l'accusant de publier des articles « trompeurs » visant à « discréditer » les forces armées nationales.

Fin octobre, au moins 15 organisations de la société civile et syndicales ont appelé à une réunion de masse à Ouagadougou pour commémorer le soulèvement populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a mis fin au pouvoir du président de l'époque, Blaise Compaoré, et pour interpeller le gouvernement de transition sur la détérioration de la situation sécuritaire, la hausse du coût de la vie, la mauvaise gouvernance et la corruption. Le 28 octobre, le maire de Ouagadougou a demandé aux organisateurs d'annuler leur réunion en raison des risques de « troubles à l'ordre public ». La réunion n'a pas eu lieu.

« Assurer la sécurité de la population du Burkina Faso exige un engagement à long terme visant à promouvoir le respect des droits humains », a conclu Ilaria Allegrozzi. « L'utilisation de la conscription comme moyen de faire taire les dissidents ne permettra ni de faire avancer les efforts de la junte contre l'insurrection islamiste, ni d'améliorer la situation des droits humains dans le pays, qui se détériore de jour en jour. Le gouvernement devrait immédiatement mettre fin à cette utilisation abusive de la conscription. »

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