Gorée — Les crises politiques et institutionnelles en Afrique de l'Ouest découlent, pour la plupart, de révoltes des peuples en quête de démocratie contre les systèmes de gouvernance en place, estiment des spécialistes des questions de paix et de sécurité invités par Gorée Institute à les analyser.
"Auparavant, les coups d'État étaient systématiquement condamnés. Aujourd'hui, paradoxalement, nous notons une sorte d'élan de solidarité avec les putschistes en Afrique", a signalé l'enseignant-chercheur Maurice Soudieck Dione, de l'université Gaston-Berger (UGB) de Saint-Louis, au Sénégal.
Il prenait part à la huitième édition du symposium annuel de Gorée Institue (8-9 novembre), à Gorée.
"Les crises politiques et institutionnelles en Afrique de l'Ouest : quelles réponses pour la paix et la stabilité ?" est le thème de cette rencontre scientifique à laquelle prennent part des historiens, des sociologues et des analystes politiques du Burkina Faso, du Mali, du Niger et du Sénégal.
Pendant deux jours, ils doivent plancher sur la refondation des institutions et l'État de droit en Afrique de l'Ouest, à l'invitation de Gorée Institute, une organisation panafricaine de la société civile, dont la mission est de "contribuer à la mise en place de sociétés paisibles [et] justes", de "renforcer le dialogue politique" et les "processus démocratiques".
Selon Maurice Soudieck Dione, l'engouement populaire que suscitent les militaires arrivant par des putschs au pouvoir dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest - actuellement, le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Niger - est l'expression de la "sanction d'un mode de gouvernance" dominé par le "déficit d'efficacité et de transparence".
En Afrique de l'Ouest, devant une telle gouvernance, "on est prêt à essayer n'importe quelle solution", a observé l'enseignant-chercheur en science politique de l'UGB.
Dr Mariama Sidibé, enseignante à l'université de Bamako, semble partager son avis lorsqu'elle affirme que "les crises politiques sont nées d'un besoin d'État non satisfait".
En guise de solution aux crises politiques et institutionnelles, Mme Sidibé appelle les États d'Afrique de l'Ouest à revoir "le contrat social" qui les lie à leurs citoyens.
Dr Papa Fara Diallo, qui enseigne la science politique à l'université Gaston-Berger, est d'avis que "la démocratie en tant qu'idéal de gouvernance n'est pas en crise" dans la région ouest-africaine.
Le hic, c'est que "les élites censées animer les institutions dites démocratiques sont en crise" à cause de la "manipulation et [de] la "captation du droit".
Selon M. Diallo, la racine du mal, ce sont les "processus électoraux conflictogènes", les élections mal organisées, sans le respect des règles de démocratie et de transparence.
En guise de solution, il évoque la nécessité de "sanctuariser les règles du jeu électoral", avec une justice forte et indépendante, ainsi que la garantie des libertés publiques, de telle sorte que les élections débouchent sur le choix des meilleurs candidats et/ou des plus populaires.
Pour y arriver, "on ne doit pas laisser le droit aux seules élites dirigeantes", suggère Papa Fara Diallo, invitant les États à rompre avec l'habitude de "se soustraire à leurs propres règles".
Le professeur de droit public Babacar Guèye, de l'université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar, propose, en guise de solution aux crises politiques et institutionnelles, un "rééquilibrage institutionnel" dont la finalité sera, selon lui, de conjurer "les dérives du régime présidentialiste" en vigueur dans plusieurs pays de la région.
En parlant de régimes politiques où le président de la République exerce énormément de pouvoirs, M. Guèye a cité le cas du Sénégal, son pays où, par décret, le chef de l'État décide de la "dissolution" du bureau de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et du remplacement de tous ses membres.
Il laisse entendre que c'est un cas de "captation du droit" - pour reprendre la formule de Papa Fara Diallo -, dans la mesure où la loi ne prévoit que le renouvellement d'un tiers des membres du bureau de la CENA.
Babacar Guèye relève, par ailleurs, la "patrimonialisation" et la "personnalisation" du pouvoir dans beaucoup de pays africains.
Le rééquilibrage institutionnel, qui réduira les nombreux pouvoirs du président de la République dans plusieurs pays ouest-africains, passera par "la réhabilitation" des parlements, selon M. Guèye.
Il a évoqué, par ailleurs, la nécessité d'une décentralisation des politiques publiques, dans le but de rééquilibrer le développement économique et social.
Babacar Guèye parle de zones où "l'État a complètement disparu, par une absence notoire d'établissements scolaires et sanitaires". "Nous avons une conception jacobine et verticale du pouvoir, qui ne laisse pas beaucoup de place à la participation citoyenne", a-t-il relevé.
L'historienne Penda Mbow a relevé, pour sa part, le "contentieux" que les pays d'Afrique de l'Ouest ont avec leur passé, dans lequel ils peuvent trouver des "ressorts [...] pour bâtir un État à même de nous ressembler".
Mme Mbow dit être nostalgique du leadership intellectuel des leaders politiques ouest-africains des premières années d'indépendance, même si elle reconnaît leurs insuffisances dans certains domaines.
"Cette crise de leadership entraîne par moments une crise institutionnelle", a-t-elle analysé.
La représentante de l'Institut néerlandais pour la démocratie multipartite, Célia D'Almeida, suggère de recourir à la justice sociale pour éviter les crises politiques et institutionnelles. "Il ne suffit plus d'accéder au pouvoir par la voie démocratique. Il faut s'attendre à faire face à des peuples qui vont de plus en plus exiger d'être gouvernés de façon équitable et transparente", conseille-t-elle à ceux qui aspirent à diriger leurs concitoyens.
Le sociologue Brema Ely Dicko, enseignant à l'université de Bamako, signale que la démocratie dans les pays d'Afrique de l'Ouest semble "se limiter à l'organisation des élections".
Le pouvoir change souvent de main, mais "les aspirations populaires persistent", a-t-il constaté.
Le colonel Aliou Bakayoko, directeur de l'instruction et de la formation à l'Institut de la paix Alioune-Blondin-Bèye de Bamako, est d'avis qu'il faut "des solutions endogènes aux crises multiformes" qui surviennent en Afrique en général.
Il pense aussi que "les crises peuvent offrir l'opportunité de se repenser".
Le diplomate sénégalais Seydou Nourou Ba, président du conseil d'administration de Gorée Institute, invite les États africains à "se libérer volontairement de certains aspects relevant d'une souveraineté nationale très étroite, pour faire face aux défis d'envergure régionale et continentale". C'est un moyen d'éviter et de résoudre les crises politiques et institutionnelles internes, a-t-il laissé entendre.
Sur la même lancée, le professeur Oumar Ndongo, de l'UCAD, propose que les compétences de certaines institutions régionales, dont la Cour de justice de la CEDEAO, soient imposées aux États membres.
M. Ndongo conseille aux élites africaines, pour éviter les crises politiques et institutionnelles, de bien écouter les jeunes et de se préoccuper de leur avenir. Ce segment de la société est "de plus en plus exigeant", a-t-il observé.
Le maire de Gorée, Augustin Senghor, s'est réjoui de la tenue du colloque dans sa commune. Il dit espérer que "des solutions endogènes, basées sur les réalités locales, vont sortir des travaux".
"On ne sort pas de l'asservissement par le simple fait de changer de maître", a-t-il dit, un brin provocateur, aux participants du symposium.
"La démocratie et la fragilité des États au Sahel", "les transitions démocratiques en souffrance" et "le rétrécissement de l'espace civique" feront l'objet de panels au cours de cette rencontre.