Afrique de l'Ouest: Tourisme interne - La résilience des Burkinabè pour sortir le secteur du bourbier sécuritaire

9 Novembre 2023

Le secteur du tourisme, tributaire des internationaux, subit de plein fouet la crise sécuritaire que traverse depuis une dizaine d'années le Burkina Faso. Pour donner un nouveau souffle au secteur, les autorités ne cessent de multiplier des initiatives locales. C'est dans ce cadre que dans le mois de juillet 2023, il a été lancé la toute première « Grande saison du tourisme interne », sur le thème : « Pour le Faso, je m'engage également sur le front touristique », afin d'inciter les Burkinabè à s'intéresser à leurs sites touristiques et donner une autre image de leur pays. Au terme de cette saison qui aura duré trois mois, une équipe de Sidwaya a fait le tour de quelques sites des régions des Cascades et des Hauts-Bassins pour constater la mise en oeuvre de la campagne.

Dimanche 15 octobre 2023. Il est 11 heures 30 minutes à Sindou, chef-lieu de la province de la Léraba, région des Cascades (Banfora). En cette fin de saison hivernale, sous une chaleur suffocante, Bachirou Traoré et son épouse Christiane Lapérelle descendent des pics de Sindou. Le couple Traoré, vivant à Singapour et officiant dans les études de marché et dans la vente de destinations, est présent au pays des Hommes intègres à la découverte de ses merveilles touristiques et culturelles. « Nous sommes venus voir ce qu'il y a de beau au Burkina Faso qui peut intéresser les Asiatiques. Je me suis fait accompagner par ma femme pour qu'elle puisse voir d'elle-même afin de pouvoir décrire ce pays une fois en Asie », explique Bachirou Traoré.

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Ce jour-là, le couple a choisi de faire « l'ascension » des pics de Sindou. D'une hauteur d'environ 470 mètres d'altitude, ces pics, situés à 50 kilomètres à l'ouest de Banfora, sont des blocs de rochers composés de sables, de nitrates, de quartz et de sable. « Rongés, sculptés et taillés par l'érosion hydrique ou éolienne, par la dilatation et l'action des plantes, ces rochers ont pris des formes des pics et même des formes imaginaires », décrit le guide touristique, Amara Ouattara. Native des Philippines, Christiane Lapérelle Traoré, après avoir parcouru un circuit de 45 minutes en compagnie du guide touristique, est émerveillée par ce massif rocher du pays Sénoufo qu'elle qualifie d'unique en son genre. « C'est ma première fois de visiter ce site. Je pense que de nombreuses personnes devraient venir voir parce que c'est quelque chose de vraiment unique », soutient toute éblouie Mme Traoré.

Appel au patriotisme

A la différence de ce couple « expatrié », un autre et ses deux enfants, des nationaux, avec l'assistance du guide touristique, Amara Ouattara, s'annoncent pour la découverte des pics. Il s'agit de Sansogmé Alex Somé, son épouse, Fatima Yaro et leurs deux enfants, Océane et Socrate. Le tout-petit Socrate en mains, la casquette renversée, M. Somé, gestionnaire de stock d'une mine d'or, au-devant de sa famille, enjambe avec aisance les escaliers des pics. Il dit venir découvrir ce site touristique dont les échos dépassent les frontières du Burkina Faso. « Je n'avais jamais eu l'occasion de voir les pics, même si j'en ai entendu beaucoup parler. J'avoue que j'ai été émerveillé », indique-t-il avec joie. Tout essoufflée après avoir grimpé les rochers à une altitude de plus de 400 mètres, Fatima Yaro se réjouit aussi d'être venue sur les pics. Souvent à quatre pattes, poursuivant sa génitrice, Océane Somé, à peine dix ans, se dit « très contente » de découvrir les rochers sablonneux de Sindou.

« Aujourd'hui est un jour vraiment exceptionnel. Depuis la COVID-19 en 2020 et ensuite la situation sécuritaire, nous pouvons passer des jours, voire des mois sans aucun visiteur », se réjouit le guide touristique Ouattara de la visite des deux couples. Avec 30 000 touristes par an, les pics de Sindou traversent des périodes de disette depuis ces deux crises, foi du guide. Le tourisme, indique le Directeur régional de la culture, des arts et du tourisme (DRCAT) des Cascades, Boukary Malgoubri, est un secteur « assez » sensible qui est « fortement » tributaire de la stabilité socio-politique des pays. C'est pourquoi, dit-il, depuis la survenue de la crise sanitaire qui a été suivie par la crise sécuritaire, les sites touristiques connaissent de moins en moins de touristes internationaux. « Les internationaux qui venaient en grand nombre ne viennent plus depuis 2019 jusqu'à ce que la crise sécuritaire vienne encore semer la psychose », conte avec amertume le guide touristique, Amara Ouattara.

2 600 visiteurs en 3 mois

Seuls les Burkinabè, selon Amara Ouattara, peuvent inverser cette tendance. « Si nous-mêmes les Burkinabè nous prenons d'assaut nos sites touristiques, les autres auront une autre image de notre pays que certains tentent de peindre en rouge. Personne d'autre ne pourra le faire à notre place », tonne M. Ouattara. Actuellement, renchérit Boukary Malgoubri, on ne peut que compter sur le tourisme interne, l'une des actions locales que le gouvernement burkinabè promeut fortement.

Au titre des actions de promotion du secteur du tourisme, le DRCAT, note la « Grande saison du tourisme interne » lancée en juillet dernier pour une durée de trois mois, par l'Office national du tourisme burkinabè (ONTB). Pendant ces trois mois dédiés au tourisme de proximité, les Burkinabè ont visité des merveilles touristiques dans les régions des Hauts-Bassins et des Cascades comme les mausolées Tiefo et Guimbi Ouattara, le musée communal Sogossira Sanou, la grande mosquée de Dioulassoba, le village de Koro, le Centre culturel sénoufo, le musée de la musique d'hier et d'aujourd'hui, les pics de Sindou, les cavernes de Douna. La saison, reconnait le directeur régional en charge du tourisme, a incité les nationaux à s'intéresser aux différents sites touristiques. Ainsi, entre le mois de juillet et de septembre 2023, plus de 2 600 hommes et femmes se sont abreuvés à la source de l'histoire au Musée communal Sogossira-Sanon de Bobo-Dioulasso contre 451 visiteurs dans le mois de juin précédant la saison, selon les chiffres fournis par le chef du service promotion du tourisme de la commune de Bobo-Dioulasso, Iliassa Salgo. « Les sites touristiques de la ville de Bobo-Dioulasso n'ont pas chômé depuis le lancement de la saison du tourisme interne.

« Du lundi au dimanche, on reçoit des visiteurs »

Nous avons reçu beaucoup de visiteurs, notamment des élèves, des étudiants, des vacanciers et des familles », argue M. Salgo. Les Burkinabè qui se rendaient à l'extérieur pour faire du tourisme, poursuit Iliassa Salgo, ont compris qu'il y a des sites touristiques d'envergure sur place. « Entre le mois de juillet et septembre 2023, nous avons reçu plus de 300 touristes nationaux et même internationaux ici dans les cavernes de Douna contre 372 visiteurs durant toute l'année de 2022 », fait savoir le guide touristique des lieux (province de la Léraba), Dounifalmy Son, qui salue l'initiative de la « Grande saison du tourisme interne ». Même sentiment de reconnaissance de Amara Ouattara, le guide des pics de Sindou. « Pour certains, le Burkina Faso est devenu une destination dangereuse depuis la crise sécuritaire. Il faut que les Burkinabè eux-mêmes viennent à la découverte de leurs sites qui sont accessibles pour faire voir une autre image du pays à ceux qui pensent que nous sommes un pays infréquentable », martèle le guide touristique de Sindou, louant lui aussi cette initiative.

La première campagne de tourisme interne, dit Amara Ouattara, a eu un impact sur les visites des pics de Sindou. Au cours d'« une semaine à Sindou », fait-il savoir, organisée dans le cadre de cette campagne, de nombreux visiteurs internes ont fait le déplacement de Sindou pour visiter les pics. Construite en 1880, la plus grande mosquée de Bobo-Dioulasso ou encore la mosquée de Dioulassoba connait de l'affluence depuis le lancement de la saison du tourisme interne. « Du lundi au dimanche, on reçoit des visiteurs de la vieille mosquée même si ce n'est pas rentable comme ce qu'on gagnait avant les crises sécuritaire et sanitaire. Mais cela vaut mieux que rien », se contente le président de l'Association des guides de tourisme de Bobo-Dioulasso, Simon Sanon. Pour lui, le message véhiculé par les autorités en charge du tourisme à travers la « Grande saison du tourisme interne » est bien assimilé par les Burkinabè.

L'aménagement de la voie des cascades en 2024

Si les pics de Sindou, les cavernes de Douna et la mosquée de Dioulassoba ont reçu de nombreux visiteurs, parce que facilement accessibles, les cascades de Karfiguéla, dans la province de la Comoé, n'ont pas eu la même affluence du fait des difficultés d'accès au site. Chutes d'eau dévalant des paliers de collines et tombant en cascade dans la suite du lit de la Comoé, ce site touristique est situé à environ 12 kilomètres au nord-ouest de Banfora. Des flaques d'eau tout le long du tronçon avant d'accéder au site, des arbres quasiment déracinés par les eaux de ruissèlement de part et d'autre, c'est l'état de la route menant à ce joyau touristique, ce lundi 16 octobre 2023. « Il n'y a pas de voie d'accès aux cascades. La route est pratiquement gâtée.

Malgré nos interpellations des autorités municipales et de l'ONTB, rien n'a été fait pour aménager la route. Si fait qu'aujourd'hui, les visiteurs n'ont pas le courage de venir sur le site », dit, la voix pleine de tristesse, Souleymane Tou, l'un des guides touristiques. Certains visiteurs, après un parcours de combattant, poursuit-il, refusent d'honorer les droits de visite de 500 F CFA par personne pour les nationaux et 1000 F pour les internationaux, parce que déçus de l'état de la route. Les différentes actions, notamment la « Grande saison du tourisme interne », pour booster le secteur du tourisme, aux dires de M. Tou, n'auront aucun impact sur la fréquentation des cascades, si l'on n'aménage pas sa principale voie d'accès. Une inquiétude levée par le Directeur régional de l'Ouest (DRO) de l'ONTB, Mady Zongo. « Nous avons intérêt à ce que cette situation soit résolue dans les meilleurs délais. Il y a un espoir, pour vous dire que cette voie sera réhabilitée en 2024 », confie M. Zongo.

Une image positive du Burkina Faso

Pour la réussite de cette saison du tourisme interne et pour attirer les touristes, le gouvernement, de concert avec les hôteliers, a procédé à une réduction du coût des chambres d'hôtels et autres sites d'hébergement de 25% à 50% en fonction du standing des chambres. « Ce rabattement était laissé au choix des hôteliers. Une plateforme d'inscription était ouverte à cet effet et de nombreux hôtels y ont adhéré », informe le directeur des hôtels Téria et de la Maison des hôtes de Bobo-Dioulasso, Omar Traoré. Même si son établissement hôtelier n'a pas consenti à la baisse des 25 à 50%, M. Traoré a opéré une facilité à ses clients pendant cette période.

« Nous n'avons pas pu appliquer les taux de rabattement souhaités par le gouvernement parce que depuis 15 ans, les prix de nos chambres, malgré la cherté de la vie, n'ont pas évolué. Ces taux étaient donc trop pour nous. Tout de même, nous avons opéré une baisse de 10 à 15% pendant cette période où nous avons reçu de nombreux clients », détaille M. Traoré. Au terme des trois mois de la « Grande saison du tourisme interne », le DRO de l'ONB, Mady Zongo, dresse un bilan satisfaisant. « Nos sites ont reçu de nombreux touristes. Il y a des sites aussi où le résultat est mitigé », indique-t-il. Mais l'objectif, dit-il, était d'attirer l'attention des populations à fréquenter les sites touristiques et de véhiculer une image positive du Burkina Faso.

« Cette initiative vise à faire comprendre que malgré toutes les difficultés auxquelles le secteur est confronté, le peuple est toujours résilient et que les Burkinabè continuent de fréquenter les différents sites touristiques », soutient M. Zongo. L'objectif semble être atteint, puisque Christiane Lapérelle Traoré, en venant au Burkina Faso, ne s'attendait pas à circuler aussi librement et même à arriver à Sindou, à quelques kilomètres de la frontière de la République du Mali, sans crainte. « Cela fait deux mois que je suis au Burkina Faso. En dehors de quelques check-points pour renforcer la sécurité, il n'y a rien de tout ce que nous apprenons de loin sur ce pays. Tout le monde vaque à ses occupations, plusieurs localités sont accessibles », soutient-elle, toute joyeuse de découvrir les pics de Sindou.

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