Sénégal: Immigrés ? Vous avez dit immigrés ?

11 Novembre 2023
analyse

Le désespoir qui pousse des africains, souvent jeunes, à prendre le risque de traverser le Sahara ou à se serrer dans des embarcations de fortune pour aller vers des terres où ils sont jugés indésirables est une tragédie qui, à défaut de soulever la compassion des Européens, aurait dû, pour le moins, leur rappeler quelques pages peu glorieuses de leur histoire.

Car enfin, pour ne nous en tenir qu'à l'époque moderne, qu'ont-ils fait, pendant des siècles, depuis ce jour, le 12 octobre 1492, où l'un d'entre eux, Christophe Colomb, a posé le pied sur une ile située à des milliers de kilomètres de son pays et qu'il croyait faire partie de l'archipel japonais, sinon tenter de chercher un meilleur avenir sur d'autres terres, c'est-à-dire émigrer ?

La mobilité en général et l'émigration en particulier, font partie des gènes de leur personnalité et ce sont eux qui ont inventé ce « Grand Remplacement » qui est la hantise de certains d'entre eux. Dans les Amériques, en Océanie et même en Afrique, et peu après une phase des pillages et d'exploitation des ressources, ils se sont livrés à un véritable déménagement humain, lequel est à l'origine de la création de « nations européennes » jusqu'aux antipodes, bâties sur les décombres de peuples autochtones. L'opération se poursuit d'ailleurs sous nos yeux mais, contrairement à ce que pense Eric Zemmour, elle se passe à 17000 km de la France, en Nouvelle Calédonie, où des « immigrés » cherchent à imposer leur culture et leur langue à la population autochtone qui ne représente plus que 40% des habitants.

A ma connaissance il n'y a pas eu de référendum pour savoir si les Kanaks voulaient autoriser les Français à s'installer chez eux, pas plus qu'il n'y en a eu, quelques siècles plus tôt, auprès des Aborigènes d'Australie pour légitimer l'installation de bagnards à Botany Bay ou de colons anglais dans ce qui sera rebaptisée Nouvelle Galle du Sud ! Mais Zemmour est trop outrecuidant pour reconnaitre ces faits historiques ou admettre que les immigrés européens avaient d'autres méthodes et d'autres objectifs que ceux qui arrivent aujourd'hui par la Méditerranée et qui débarquent sans armes et sans bibles, sans aucune intention d'exterminer ou de repousser les autochtones vers les terres les plus hostiles, de s'emparer de leurs mines, d'exploiter leur pétrole, d'emporter leurs monuments ou leurs oeuvres d'art pour décorer leurs places et leurs maisons !

On peut pardonner à Zemmour son ignorance, mais on ne peut pas comprendre que Giorgia Meloni, Première Ministre d'un grand pays, si prompte à stigmatiser les immigrés africains, ait oublié que 3 millions d'Italiens ont débarqué aux Etats-Unis entre 1900 et 1914, ou que plus de la moitié de la population de l'Argentine et 15 % de celle du Brésil sont d'ascendance italienne !

Dans la tragédie de l'émigration, qui a atteint cette année son paroxysme au Sénégal, les Européens ne voient que les arrivants, ils ne voient pas les partants. Ceux qui partent de chez nous sont pourtant des êtres de chair et de sang, des hommes, des femmes certaines enceintes ou accompagnées d'enfants, tous désireux d'échapper à la misère et aux guerres, aux intolérances en tous genres et à la confiscation des libertés auxquelles s'ajoute l'insoutenable inégalité des échanges entre le Nord et le Sud. Tous imaginent qu'ils ne peuvent pas manquer de trouver du travail dans une communauté de pays qui est la deuxième plus riche du monde, avec 16,5 du PIB de l'ensemble du globe. Tous ont cru aux discours de ses dirigeants qui se sont attribués le monopole de la défense du respect des droits humain, mais tous ignorent, parce qu'ils ne savent pas lire ou que la presse de leurs pays n'en parle pas, que ceux-ci passent le plus clair de leur temps à ériger des murs et des barrières légales pour leur fermer l'accès à leurs territoires (30 lois sur l'immigration en France en 40 ans !),ou que certains parmi eux prônent la non-assistance aux embarcations en perdition dans la Méditerranée (laquelle a déjà englouti dans ses eaux 24.000 victimes en dix ans ! ), ou qu' on condamné des gens chez eux pour « délit de solidarité » !

Paradoxe, à moins que ce ne soit cela qu'on appelle le zèle du nouveau converti, quelques-uns des plus virulents pourfendeurs de l'immigration sont eux-mêmes issus de l'immigration, comme l'attestent souvent leurs noms, tels les actuels ou anciens ministres de l'Intérieur Suella Fernandes, « Moussa » Darmanin, Manuel Vals ou Sarkozy de Nagy Bocsa, ou encore Eric Ciotti, qui pour cacher son origine italienne prêchait pour qu'on fasse « repartir » daredare les 11.000 rescapés de Lampedusa au lieu de les « répartir » entre les pays européens !

Les africains candidats à l'émigration croient que les Européens, qui ont si souvent frappé aux portes des autres, ne peuvent pas être réfractaires à l'hospitalité. Surtout lorsqu' il s'agit d'eux, parce que, pensent-ils, les Européens ont des dettes à leur endroit parce que leurs pères et grands-pères ont participé à la défense de leurs pays, parce qu'ils avaient répondu à leur appel, pendant les « Trente Glorieuses » en venant occuper les emplois dont ne voulaient pas leurs citoyens ! Parce qu'enfin certains d'entre eux viennent de contrées déstabilisées par l'interventionnisme intempestif des puissances occidentales et qu'ils sont donc éligibles au droit d'asile, au même titre que les 5 millions d'Ukrainiens accueillis à bras ouverts en deux ans.

Mais il n'y a pas que de l'amnésie dans les propos des dirigeants européens, il y a aussi de la mauvaise foi, du populisme à outrance, une récupération politique honteuse de la misère humaine, lorsque ,tous partis confondus, ils font de l'immigration le principal thème de leurs campagnes électorales, avant la qualité de la vie et la préservation des acquis sociaux, lorsqu'ils la comparent à un nouveau Péril Jaune, avec à la place de troupes sino-japonaises, des « cohortes étrangères (qui menacent) de faire la loi dans (leurs) foyers ...et de devenir les maitres de (leurs) destinées » (1),lorsqu'ils laissent prospérer des discours souvent racistes qui parasitent les médias, s'accompagnent de dérapages verbaux, charrient des fantasmes et des contrevérités, ignorant superbement que la principale terre d'accueil des Africains en détresse c'est l'Afrique elle-même (450.000 Soudanais entrés au Tchad en six mois).

Mais ce n'est pas seulement sur l'immigration que la mémoire des Européens flanche. Voilà que leurs dirigeants, si prompts à boycotter les voix discordantes, acceptent en leur sein, sans état d'âme, la présence du Premier Ministre hongrois Viktor Orban qui clame urbi et orbi qu'il va proscrire dans son pays « tout mélange avec des non Européens » et y rétablir une « race hongroise non mixte ! »

Vous avez dit « race pure » ? Cela avait commencé ainsi, il y a moins d'un siècle, et cela s'était achevé par plus de 60 millions de morts, majoritairement européens, dont plus de la moitié étaient des civils...

(1) extrait des paroles de... La Marseillaise ! Karim Benzema avait été traité de « français de papier » pour avoir dénoncé le ton guerrier de l'hymne de la France. On n'a jamais fini d'être enfant d'immigré en France quand on est arabe ou noir !

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