Ile Maurice: Après la colère de l'eau, celle des sinistrés

11 Novembre 2023

Malgré le soleil radieux du lendemain, le traumatisme et la colère des habitants des régions affectées par les inondations survenues mercredi sont loin d'être apaisés. Parmi les scènes de désolation et de destruction provoquées par les pluies torrentielles, les familles en détresse luttent pour trouver des moyens de subsistance et ont poussé leurs cris de coeur lors de notre reportage sur le terrain, jeudi.

Un pan de mur s'étant effondré par le violent passage des eaux mercredi, une barricade métallique a été mise en place. Sur place, des automobilistes s'arrêtent pour constater la catastrophe alors que des proches dont les familles sont enterrées passent de temps en temps, craignant que leurs tombes ne soient parmi celles qui ont été ravagées. Les scènes de tombes détruites au milieu des décombres et des traces de boue contrastent avec celles qui sont restées intactes, avec des fleurs encore fraîches, déposées par les familles il n'y a pas si longtemps pour la Fête des morts.

En face, un gardien veille à la sécurité des lieux. «La zone G du cimetière a été ravagée par l'effondrement du mur. Des visiteurs sont restés sur le trottoir pour vérifier si les tombes de leurs proches étaient intactes. Certains sont allés au bureau pour exprimer leur détresse.» Une dame, elle, exprime à la fois son désarroi et son soulagement. «Du jamais vu. Tou sa banané mo vinn la. Heureusement, la tombe de ma famille est saine et sauve. C'est un véritable choc émotionnel, spirituel et financier pour beaucoup de ceux dont les tombes de leurs proches sont détruites. (...) Sans compter que la construction d'une tombe coûte cher et que l'on veut faire le maximum pour nos proches décédés. La nôtre a coûté Rs 20 000 ; pour d'autres, c'est plus élevé. Qui va maintenant prendre la responsabilité totale de les restaurer ?», se demande-t-elle.

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De nombreux visiteurs sont catégoriques : le problème des inondations dans cette zone s'est considérablement aggravé après la construction du métro. D'autant plus que le cimetière se trouve bien en dessous du niveau de la route principale, là où sont construits les rails du métro. «Nous fréquentons cet endroit depuis notre enfance. Auparavant, nous étions confrontés à des problèmes mineurs d'accumulation d'eau. Lorsque cela se produisait, l'eau s'écoulait lentement le long de la voie et était en partie absorbée par le gazon. Au niveau de la route principale, il y avait un canal et l'eau s'y déversait. Depuis la construction du métro, l'eau s'accumule lors des fortes pluies et, n'ayant nulle part où se disperser, elle jaillit avec force ici, car cet endroit se trouve à un niveau de sol nettement plus bas, ce qui amplifie le problème déjà existant d'accumulation d'eau. Ce n'est pas la première fois que cet endroit est fortement inondé. Mais cette fois-ci, l'eau est arrivée avec une telle force que le mur s'est effondré. Les problèmes causés par les vivants dévastent même les morts...», disent-ils.

Cimetière de St-Jean.

Une barrière métallique a été placée.

Pas de lumière pour les familles en détresse

À l'avenue Colville à Quatre-Bornes, derrière le cimetière, des familles en détresse ont passé la nuit et la journée à nettoyer et à jeter des produits périmés. Chez les Seeboo, la maison est propre, mais en désordre, avec les meubles restants qui sont entassés. Une forte odeur d'eau boueuse et d'humidité rend la respiration difficile. L'eau a atteint le niveau de la poitrine en quelques minutes dans cette maison, emportant la plupart des objets. «L'eau a jailli alors que nous étions dans la cuisine. Nous avons juste eu le temps d'envoyer rapidement les enfants chez ma belle-soeur, qui est notre voisine. Les enfants se sont réfugiés à l'étage. En quelques minutes, nous avons lutté pour ne pas être noyés. Heureusement que personne n'a perdu la vie. Nos lits et nos matelas sont détruits. Nous avons dû payer quelqu'un pour nous aider à nettoyer. Nous n'avons pas changé de vêtements car ils sont tous trempés par l'eau boueuse qui a traversé les morts du cimetière. Comment allons-nous les porter ?», dit Shashimala.

Parmi les autres biens endommagés : four, frigidaire, denrées alimentaires, médicaments et documents. «Notre lieu de prière est protégé grâce aux étagères qui contiennent nos lampes et les photos des déités, et la structure du temple est plus élevée... Heureusement, le maire (NdlR : Dooshiant Ramluckhun) nous a distribué de la nourriture pour la nuit, mais comment allons-nous nous en sortir au fil du temps ?» Pour l'instant, la famille doit dormir, vivre et manger chez des proches. Dans la détresse, la préparation de la célébration du Divali a été perturbée et la joie a disparu.

D'autres habitants de la région ne mâchent pas leurs mots pour exprimer leur colère face à l'inaction des autorités. C'est le même son de cloche : les problèmes ont commencé en 2021, après l'arrivée du métro. «Je vis ici depuis mon mariage, en 1989. Nous n'avons jamais eu de problème d'inondation. Cela a commencé en 2021, avec la construction du métro. Pa koné ki manyer zot ranzé, tou dilo vinn la. C'est la quatrième fois que nous subissons des inondations majeures en deux ans. Nous sommes fatigués des élus du gouvernement qui effectuent des visites et nous consolent avec des mots. Nanyé pa fer.»

Un drain devait être construit sur cette voie depuis longtemps, apprend-on. Mais cette promesse n'est devenue qu'un discours, sans la volonté de résoudre le problème, disent les habitants. «Il y a deux petits canaux d'eau souterrains séparés, aux deux extrémités de la voie, qui ne peuvent pas contenir beaucoup d'eau en cas de fortes pluies. À cela s'ajoutent les volumes élevés d'eau qui jaillissent de la route principale en raison de la construction du métro et qui pénètrent nos maisons sans avoir d'autre issue. Cela fait deux ans que l'on parle de construire des drains adéquats ici, mais en vain. Cela devait se faire en octobre. Maintenant, ils disent que cela se fera l'année prochaine, en juillet. Ils nous disent de 'prendre des précautions et d'évacuer en cas de pluie'. Quelles précautions et où évacuer ? Même si nous nous mettons à l'abri pour quelques jours, lorsque nous reviendrons, nos maisons et l'investissement de toute une vie auront disparu.»

Un jeune professionnel, lui, est découragé de frapper à la porte des autorités. «La dernière fois que notre maison a été inondée, nous avons eu des dommages s'élevant à Rs 150 000. J'ai voulu demander une aide sociale, mais j'ai fini par faire le tour des bureaux, produire des documents dans le stress, pour découvrir que l'aide s'élève à quelque Rs 250 par tête. Nous sommes quatre dans la famille. S'attendent-ils à ce que nous subvenions à nos besoins ? Nous avons cessé de nous adresser aux autorités. Je comprends qu'une canalisation ne se construise pas du jour au lendemain, mais cela ne prend pas deux ans non plus. Ils ont de l'argent pour les inaugurations et d'autres projets. Quelles sont leurs priorités ?»

Les familles craignent que la prochaine averse soit encore plus catastrophique. «La saison des pluies vient de commencer ; les cyclones vont aussi arriver. Je dois prendre des jours de congé pour nettoyer ma maison après les dégâts. Nous craignons que la prochaine fois, ce soit pire. Fallait-il qu'un mur du cimetière s'effondre pour qu'ils se réveillent ? Et si les autres murs s'effondrent à leur tour ? Faut-il que des gens meurent pour qu'ils fassent enfin ce pourquoi ils ont été élus ? Nous avons acheté des produits alimentaires pour faire des gâteaux pour Divali. Ils sont tous abîmés. Ki Divali nu pu fer? Kapav ena kontantma la?», déplorent nos interlocuteurs, sous couvert de l'anonymat. Par peur des représailles et du harcèlement lorsqu'ils disent la vérité, affirment-ils.

Dooshiant Ramluckhun: «le problème n'aurait jamais dû être aussi grave»

Le maire de Quatre-Bornes a confié que des réunions de consultation avaient déjà eu lieu avec les principales parties prenantes et des solutions avaient été proposées pour résoudre le problème. Cependant, les choses n'ont pas bougé en raison de problèmes liés à l'approbation d'autres «stakeholders» majeurs. «Les mesures devaient être mises en place en octobre, mais elles ne l'ont pas été en raison de retards de la part d'autres autorités concernées. Il est grave que les régions et les habitants de cette ville aient à souffrir en 2023. La situation n'aurait jamais dû atteindre un tel niveau de gravité. J'entends maintenant qu'ils disent que les mesures par rapport à la construction des drains seront implémentées l'année prochaine. Cela n'a pas de sens. (...) Nous essayons par nous-mêmes d'alléger la souffrance des habitants, mais j'en appelle aux autres parties prenantes pour qu'elles agissent.» Contactée, la «Parliamentary Private Secretary» Tania Diolle est restée injoignable pour ce papier

St-félix : la route en cours de réparation

La vidéo a circulé sur les réseaux sociaux. Scène choquante : l'étroite route en face de la plage de St-Félix était détruite ; le tarmac littéralement en morceaux, et l'eau jaillissant en dessous avec force. Lorsque nous nous sommes rendus sur place, des matériaux avaient été posés afin que la route soit un tant soit peu plus praticable. La zone est déserte et dépourvue d'habitations, à l'exception de quelques hôtels situés non loin de là. Quand a-t-elle été construite, et comment se fait-il qu'elle ait été endommagée alors que d'autres ne l'ont pas été ? La cellule de communication du ministère des Infrastructures nous a expliqué que ce type de chemin ne relève pas de sa responsabilité, et qu'elle s'occupe de la construction des «classified roads», tels que les autoroutes. La responsabilité revient donc au conseil de district. À l'heure où nous mettions sous presse, nos appels au conseiller du district de Savanne étaient demeurés sans réponse.

Capture d'écran de la vidéo circulant sur les réseaux sociaux du chemin lors des pluies torrentielles mercredi.

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