Tunisie: HIRAFEN, Talan l'expo 2023 Quels talents ! Mais...

12 Novembre 2023

«Nous avons rêvé grand, mais je ne m'attendais pas à que ce soit aussi grand ! C'est magique, c'est magnifique !».

C'est en ces termes et avec une grande fierté que s'est exprimé Mehdi Houas, président du groupe Talan lors de la conférence de presse de Hirafen qui a eu lieu le 3 novembre 2023. Après l'exposition monumentale «Gorgi pluriel» montée en 2018 au Palais Kheireddine à la Médina de Tunis et qui est restée gravée dans les annales des arts plastiques en Tunisie, le directeur de Talan Tunisie, Bahjet Boussoffra, la galeriste Aicha Gorgi, la chercheuse et commissaire Nadia Jelassi réitèrent avec une nouvelle exposition de grande envergure. Mais cette fois tout est différent : le concept, le processus, le lieu, les artistes, les partenaires, etc.

Un concept, un process...

Concevoir des oeuvres artistiques résolument contemporaines avec comme point de départ les métiers du fil et de la fibre en Tunisie, tel était le défi lancé aux artistes par les commissaires d'exposition Ludovic Delalande et Nadia Jelassi.

A Hirafen, comme le suggère son nom, c'est un mariage entre l'artisanat et l'Art.

C'est un partage, un dialogue, un va-et-vient entre deux mondes esthétiques qui se nourrissent l'un l'autre que l'on nous donne à voir.

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Dix-neuf artistes contemporains de treize nationalités, installés pour la plupart d'entre eux entre Tunis et Paris, ont pris part à cet exercice et se sont donnés à ce jeu.

Ils ont sillonné la Tunisie du Nord au Sud, «dans les villes et les villages, dans l'espace public des médinas comme dans l'intimité des maisons», pour aller à la rencontre des brodeurs, nattiers, tresseurs et tisserands.

Des hommes et des femmes au savoir-faire millénaire qui les ont accueillis à bras ouvert et leur ont transmis les gestes ancestraux avec toutes leurs technicités et toutes leurs esthétiques.

Cela a été possible grâce à une résidente inédite en Tunisie. Nous pouvons lire à ce propos : «Talan et les commissaires de l'exposition peuvent s'enorgueillir d'avoir proposé un modèle de résidence de production totalement inédit en Tunisie.En effet, chaque résidence a été spécifique au projet développé par chacun.e des artistes selon ses besoins. Les artistes ont ainsi bénéficié d'un accompagnement sous forme d'un support technique, financier et humain dédié. Tout au long de la période de résidence, les artistes ont notamment pu s'appuyer sur des consultants».

Un rendu, une équipe...

Au final, chaque artiste a réinventé, d'une manière singulière et d'une approche personnelle, l'artisanat tunisien avec des conceptions contemporaines et futuristes.

La plupart des oeuvres étaient monumentales, occupant de grands espaces dans le lieu d'exposition.

Certaines ne sont pas sans nous rappeler des oeuvres que nous avons découvertes lors de la dernière Biennale de Venise...

Toutes les oeuvres tournent autour de la main et du geste, partent du patrimoine matériel et immatériel, font appel à la mémoire avec une ouverture vers le futur.

Si la géographie et le territoire de jeu sont tunisiens, les interventions artistiques et les résonnances, elles, sont universelles.

Hirafen est l'affaire de Talan, mais également, et sans conteste, l'affaire de plusieurs talents : l'équipe Talan, les commissaires d'exposition, les artistes, les artisans, les consultants pour l'artisanat, le coordinateur artistes/artisans, les chargées de production, l'équipe architecture et scénographie, l'équipe communication et presse, etc.

Des talents privés et publics qui ont travaillé dans une étroite collaboration et une entière symbiose. Ils ont fait naître un espace, un projet, une exposition et un récit...

Un espace, un deal...

Si nous parlons de Hirafen, il nous faut indubitablement parler de l'espace où elle a lieu.

L'équipe Hirafen a investi les ateliers désaffectés du Centre technique du tapis et du tissage (C3T) qui est sous la tutelle de l'Office national de l'artisanat tunisien (Onat).

Après une restauration assez réussie, assurée par Memia Taktak et Azza Ayachi (Agence Dzeta), 2.450 m2 ont été prêts pour accueillir les oeuvres et 447 m2 ont été affectés à la médiation.

Après les travaux et l'aménagement, l'espace, désormais au code couleur blanc, jaune et gris, est nickel.

Il faut avouer que le choix de ce lieu incongru est très judicieux. Mais nous y reviendrons...

Après le finissage de l'exposition qui aura lieu le 20 mars 2024, ce site re-naissant servira à la pérennisation de sa vocation initiale d'aide à la création artisanale.

Le deal est des plus intéressants, un deal gagnant-gagnant : Talan profite, le temps de l'exposition, d'un espace immense, symbolique et fort original pour son exposition édition 2023 et le C3T et le Centre technique de création d'innovation et d'encadrement dans le Secteur du tapis et de tissage Tunisie gagnent en visibilité et s'enrichissent d'un espace réhabilité et prêt pour accueillir ses différentes activités.

Ceci permettra de faire revivre cet espace, mais aussi d'ouvrir de nouvelles voies et de nouveaux horizons pour les artisans tunisiens.

Cette opération, qui a fait l'objet d'une convention, est une première en la matière en Tunisie. Un partenariat privé/public à saluer vivement.

Notre «mais»...

La gestation de Hirafen a pris environ une année, une année dans la plus grande discrétion.

Etant proche des acteurs du milieu artistique, nous savions depuis seulement quelques mois que ça allait être un événement d'envergure, que ça allait être l'exposition de l'année !

Finalement, ça l'est d'une certaine manière, mais pas tout à fait.

Nous ne pouvons pas nier que l'alibi artistique est pertinent, que le choix du lieu est fort réussi, mais nous ne pouvons pas nous interroger sur le choix des artistes.

Pourquoi cette bipolarité Tunis/Paris ? Nous ne pouvons pas non plus ne pas regretter le manque d'éclectisme dans les formes artistiques retenues qui se sont presque réduites à des installations.

La qualité des oeuvres, elle aussi, est assez discutable : pour nous --et c'est peut-être subjectif--, une poignée seulement sort du lot et titille.

Par ailleurs, Memia Taktak et Azza Ayachi n'ont pas du tout osé dans la restauration des anciens ateliers du C3T, un lieu au grand potentiel pourtant.

Aussi, mis à part les cartels très basiques, nous ne trouvons aucune signalétique sur le site.

Une signalétique qui oriente et informe le visiteur, mais qui fait aussi partie intégrante de la scénographie et du parcours.

Nous pensons que beaucoup aurait pu être fait pour mettre en valeur le côté insolite de ces anciennes bâtisses délabrées, pour en faire une oeuvre à part entière.

Notre dernier «mais» concerne la communication. Une telle exposition avait besoin d'une communication de la même envergure.

Il y a eu certes un affichage urbain, mais il n'était pas très clair avec une affiche qui n'accroche pas du tout et un titre de l'exposition à peine visible de loin.

Les relations presse n'étaient pas non plus assurées comme il le fallait.

Le jour de la conférence de presse, nous avons dû attendre plus d'une heure pour que quelques journalistes arrivent enfin.

Des interviews auraient dû être organisées avant le vernissage, en amont, pour faire la promotion de l'exposition.

Nous ne savons pas pourquoi tous ces hics communicationnels ont été faits et ce n'est nullement une question de moyens, nous en sommes certains.

Ceci dit, bon point pour le dossier de presse qui est très exhaustif et très bien mis en forme.

Pour terminer, Hirafen est une exposition qui dit que la tradition et la contemporanéité ne s'opposent pas, qu'un mariage entre l'Art et l'artisanat, que gestes millénaires et esthétiques actuelles font bon mariage.

Hirafen met en lumière aussi le rapport d'artistes occidentaux et d'artistes tunisiens au patrimoine local et cela peut être très intéressant.

Ce qui est également intéressant c'est le processus adopté, notamment à travers les résidences et les immersions avec les artisanes et les artisans tunisiens qui ont transféré leurs savoir-faire à des artistes visuels contemporains bien que ce ne soit pas une première en Tunisie.

Malgré les lacunes relevées, Hirafen, 5e édition de Talan l'expo, reste un beau projet qui raconte un fragment d'un récit possible sur la Tunisie.

Une exposition qui montre l'implication des privés dans le soutien et la propulsion de la création contemporaine et l'importance de la collaboration entre le secteur privé et le secteur public.

Deux bonnes nouvelles : Hirafen sera accessible au monde entier à travers Metavers et c'est une première en Tunisie et un ouvrage bilingue sera publié au mois de janvier prochain dans les éditions Lalla Hadhria. Nous y reviendrons.

Les artistes

- Majd Abdel Hamid

- Joël Andrianimearisoe

- Asma Ben Aissa

- Mariem Bouderbela

- Dorra Dalila Cheffi

- Binta Diaw

- Jennifer Douzenel

- Aicha Filali

- Mohamed Amine Hamouda

- Sonia Kallel

- Abdouley Konaté

- Aymen Mbarki

- Chalisée Naamani

- Sara Ouhaddou

- Zineb Sedira

- Aicha Snoussi

- Moffat Takadiwa

- Ali Tnani

- Najah Zarbout

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