Mali: Kidal, une petite ville et un immense symbole

L'armée malienne affirme ce 14 novembre 2023 avoir pris position dans Kidal (nord), fief des rébellions indépendantistes successives qu'a connues le Mali au cours de son histoire. Le contrôle de cette ville représente un enjeu aussi bien stratégique que symbolique. Décryptage.

Kidal est une petite ville et un immense symbole. Nichée aux confins du désert nord malien, entre les étendues sablonneuses parsemées d'acacias et les massifs montagneux de l'Adrar des Ifoghas, cette ville est le fief des rébellions indépendantistes successives qu'a connu le Mali au cours de son histoire. Les régions du nord du Mali sont désignées par les indépendantistes sous le terme d'Azawad.

Vidée de ses habitants

La ville de Kidal compte près de 30 000 habitants et la région éponyme 68 000, selon le dernier recensement officiel de 2009. La population de Kidal est majoritairement touareg, même si de nombreuses communautés y sont présentes.

Outre l'évolution démographique normale, la population de Kidal a considérablement augmenté ces derniers mois avec l'afflux de plusieurs milliers de déplacés internes, fuyant notamment les massacres de l'État islamique dans la région de Ménaka ou encore la progression de l'armée malienne et de ses supplétifs de Wagner - accusés d'exactions contre les civils - dans la région de Kidal.

Mais ces derniers jours, la vraisemblable imminence de combats et les bombardements de l'armée sur la ville ont suscité de nombreux départs. La ville s'est aujourd'hui, selon de nombreuses sources locales, largement vidée de ses habitants.

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Objectif immédiat : le camp de la Minusma

Les autorités maliennes de transition ont fait de la récupération de l'ex-camp onusien de la Minusma un objectif à la fois militaire et politique.

La Minusma a quitté Kidal le 31 octobre dernier, dans le cadre de son retrait définitif du Mali, qui doit être achevé d'ici à la fin de l'année. La rétrocession de ses camps par la Minusma se fait auprès des autorités politiques maliennes. Pour les autorités maliennes de transition, l'armée nationale a vocation à investir ces camps « partout sur le territoire national ». Les rebelles du Cadre stratégique permanent (CSP), qui rassemblent essentiellement des groupes armés du Nord, signataires de l'accord de paix de 2015, s'y opposent et invoquent justement cet accord de paix : Kidal (comme Tessalit, Aguelhoc et Anefis, dans la région de Kidal) était sous le contrôle des groupes rebelles lors de la signature de l'accord de paix, et le retour à Kidal de l'armée devait se faire dans ces localités selon les modalités prévues par l'accord : mise en place d'une armée nationale reconstituée intégrant des combattants issus des groupes armés signataires, installation d'autorités territoriales décentralisées.

En résumé, les autorités maliennes de transition ont fait de l'entrée de l'armée à Kidal une question de souveraineté nationale, tandis que les rebelles du CSP dénoncent une violation de l'accord de paix.

La médiation internationale pour le suivi de l'accord de paix, conduite par l'Algérie, ne s'est pas exprimée sur la reprise de la guerre et sur les responsabilités engagées.

Objectif symbolique : le berceau historique des rébellions

Au-delà de l'enjeu immédiat de la récupération du camp militaire laissé libre par la Minusma, la prise de Kidal est un immense symbole.

Cette ville, fief du CSP, est aussi le berceau de la rébellion indépendantiste de 2012 et toutes celles que le Mali a connu dans son histoire (1916, 1963-1964, 1990-1996, 2012).

Aujourd'hui, les rebelles du CSP réclament uniquement l'application de l'accord de paix de 2015 et, en dépit de la reprise des hostilités, n'ont pas réactivé la revendication indépendantiste abandonnée lors de la signature de l'accord de paix. Mais beaucoup de leurs combattants et d'habitants de Kidal voient dans la reprise de la guerre une nouvelle opportunité à saisir.

Les autorités maliennes de transition ne se sont, elles non plus, pas officiellement retiré de l'accord. Mais beaucoup de soldats et de simples citoyens du sud du Mali voient, dans la reprise de la guerre, le moment tant attendu pour prendre leur revanche après la défaite militaire de 2012.

Un règlement politique reste donc possible, sur le papier, mais très improbable dans l'immédiat.

Les deux camps semblent convaincus de leur légitimité, sûrs de leurs forces et déterminés à combattre. Le retour au dialogue ne surviendra sans doute que lorsque le nouveau rapport de force aura été établi, par les armes.

Groupes signataires, rebelles, jihadistes et terroristes

Lors de sa création en avril 2021, le CSP rassemblait la totalité des groupes armés du Nord signataires de l'accord de paix de 2015, à savoir les ex-rebelles indépendantistes de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA, qui rassemble elle-même le MNLA, le HCUA et une branche du MAA) et les groupes de la Plateforme ayant toujours défendu l'unité du Mali (notamment le MSA et le Gatia). Aujourd'hui, les groupes de la Plateforme se sont majoritairement retirés du CSP, qui n'est plus composée que des mouvements de la CMA et d'une minorité des éléments qui formaient la Plateforme.

Enfin, les autorités maliennes de transition, dans leurs communiqués, affirment mener à Kidal une guerre contre des « groupes terroristes ». Un terme utilisé depuis plusieurs mois par Bamako pour désigner, de manière indistincte, les groupes armés signataires de l'accord de paix de 2015 appartenant à la CMA, comme les groupes jihadistes du Jnim (Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans), lié à al-Qaïda, et de l'État islamique.

Le « gommage » de cette distinction entre les groupes armés portant des revendications politiques reconnues par l'accord de paix, et les groupes jihadistes qui ne sont pas impliqués dans cet accord, est une manière supplémentaire pour les autorités maliennes de transition de légitimer l'offensive en cours. Et une forme de contradiction interne, puisque les autorités maliennes de transition assurent demeurer engagées dans l'accord de paix de 2015.

De leur côté, les rebelles du CSP assurent que les groupes jihadistes sont également leurs ennemis. La porosité entre les groupes signataires et les groupes jihadistes est un fait établi : certains combattants sont passés des uns aux autres au cours des dernières années ; le HCUA, membre du CSP, est issue d'une scission d'Ansar Dine, lié à al-Qaïda. Surtout, dans la situation actuelle, les forces des groupes rebelles et celles d'al-Qaïda se concentrent toutes deux, dans le même temps, contre les forces armées maliennes. Mais les rebelles du CSP, s'ils ne peuvent nier cette convergence des intérêts, se défendent de toute coordination avec les groupes jihadistes. Le CSP et le Jnim revendiquent leurs actions séparément. En 2012, les forces maliennes avaient été vaincues par les attaques cumulées des groupes indépendantistes et des groupes jihadistes. Mais al-Qaïda et ses alliés avaient ensuite évincé les groupes indépendantistes, par les armes, pour occuper seuls les régions du Nord pendant plus de dix mois. Jusqu'à la reconquête de 2013, par les forces maliennes et leurs alliés de l'époque, les soldats français de l'opération Serval.

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