Ouagadougou, la capitale burkinabè est un grand centre de consommation de viande de petits et gros ruminants. Mais, le transport de cette denrée animale laisse à désirer. En effet, entre l'abattoir et les centres de commercialisation, la viande est transportée très souvent dans des tricycles, sur des motos et des vélos, à ciel ouvert, malgré l'interdiction de cette pratique par la commune de Ouagadougou. Gros plan sur un phénomène à la peau dure.
En ce mois de septembre 2023, un appel nous parvient à la rédaction. Au bout du fil, l'un des responsables de la Police municipale de Ouagadougou en service à la Direction de la police de la salubrité et de la tranquillité urbaine (DPSTU). « C'est Les Editions Sidwaya ? Nous avons tenté de vous joindre la semaine passée par rapport à votre correspondance pour une demande d'interview avec le directeur de la police de la salubrité et de la tranquillité urbaine de Ouagadougou.
Nous profitons vous dire qu'il y a une sortie que nous allons effectuer, le jeudi 21 septembre prochain, justement sur la question des mauvaises conditions de transport de la viande dans la capitale». Nous comprenons tout de suite que c'est à la suite de notre demande d'interview sur ce sujet préoccupant que la décision pour le contrôle a été prise. Jeudi 21 septembre 2023, nous embarquons avec deux équipes d'une vingtaine de personnes.
Un jour noir pour les transporteurs de la viande sur des motos et dans des tricycles, à ciel ouvert, sous l'effet de la poussière et de la boue remplies de microbes, surtout, en cette saison où la pluie continue de tomber. Sur leur engin, aux environs de 7 h du matin, en provenance de l'abattoir frigorifique de Ouagadougou situé sur la Route nationale 3 (RN3), ces derniers tombent très vite dans « l'embuscade » dressée par la Police municipale au rond-point de Kossodo, un quartier de la capitale, après que leurs motos ont ravalé quelques kilomètres de bitume.
Nez-à-nez avec les policiers municipaux, certains d'entre eux tentent de s'échapper, mais le dispositif est tel qu'ils tombent dans les mailles du filet. Une quantité importante de viande, difficile à évaluer, à l'instant donné, est saisie par la Police municipale, sous le regard impuissant et furieux de leurs propriétaires. Impossible, dans cette atmosphère délétère, d'arracher le moindre mot aux contrevenants.
Ils n'ont que leurs yeux pour pleurer sachant les sanctions prévues comme l'amende forfaitaire de 24 000 F CFA à honorer avant de rentrer en possession de la viande saisie, après inspection, selon le chef adjoint du service de la salubrité publique, le contrôleur de Police municipale, Casimir Wend-Yam Nacoulma. A l'entrée de Saaba, à la périphérie Est de la capitale, une autre équipe y prend ses quartiers pour traquer les transporteurs de la viande foraine venant d'abattages de la commune de Saaba, à destination de Ouagadougou.
Là-bas aussi, des bouchers tombent dans les filets de la Police municipale. Il est 10 heures. C'est la fin de l'opération. Après évaluation par la DPSTU, près de quatre tonnes de viande, transportées illégalement (viande foraine) et à ciel ouvert par des bouchers à motos ou en taxis-motos, sont saisies, face au refus de contrevenants de céder, souvent équipés, aux dires des forces de sécurité municipales, d'armes blanches qu'ils brandissent lors de certaines opérations.
Les fautifs n'ont pas attendu la fin de l'opération de saisie pour prendre d'assaut la DPSTU dans le dessein de rentrer en possession de leurs viandes en s'acquittant de l'amende forfaitaire. A notre retour, nous trouvons Naaba Ligdi du quartier Wemtenga, boucher de son état, en compagnie de ses employés arrêtés devant la DPSTU. Il est présent pour s'acquitter des frais de contravention pour le transport de la viande en taxi moto, à ciel ouvert, par ses employés.
Il exprime son mécontentement face au coup dur porté à son commerce de viande. Il reconnaît, certes, le bien-fondé du travail réalisé par la Police municipale, mais il lance un cri du coeur aux autorités pour l'accompagnement du secteur afin de permettre aux acteurs de ne pas enfreindre la loi. Comme l'eau qui a une source, les mauvaises conditions de transport de la viande à Ouagadougou prennent naissance généralement dans les lieux d'abattage, notamment à l'abattoir frigorifique, piloté par la Société de gestion de l'abattoir frigorifique de Ouagadougou (SOGEAO), au su et au vu des responsables et des bouchers.
De bonne heure, les auteurs infractionnistes s'y approvisionnent en viande et ensuite, slaloment entre motos et véhicules pour arriver aux lieux de consommation. Un transporteur, conscient de cette mauvaise pratique s'apprête à « larguer les amarres » avec une quantité énorme de viande sur sa moto », lorsque, ce jour, nous faisons notre entrée dans l'abattoir.
C'est une infrastructure visiblement vétuste, ne répondant plus aux normes internationales de qualité et insalubre. Une petite halte du transporteur illégal pour échanger avec des bouchers nous donne l'opportunité de l'accoster. Ainsi, nous lui demandons les raisons qui le poussent à fouler aux pieds les textes et à attenter à l'hygiène alimentaire publique.
« Je suis pressé, je ne peux pas répondre à vos questions », dit-il sous anonymat avant de déclarer que les transporteurs de viande attendent le jour où les autorités mettront à leur disposition des moyens de transport adéquats. La mine renfrognée, il part en trombe sur sa moto, transportant la viande couverte négligemment avec du papier pour la consommation des Ouagavillois.
Manque de véhicules de transport convenables
Le président des bouchers chevillards de l'abattoir frigorifique de Ouagadougou, Ousmane Nikiéma, reconnaît un phénomène qui n'honore ni les bouchers ni les consommateurs encore moins les autorités. « Nous voyons des gens qui transportent la viande à ciel ouvert qui peut être source vraiment de maladies. Ce n'est pas souhaitable que nous transportions la viande avec des engins à deux roues.
Cela devrait être tellement bien emballé dans des conteneurs frigorifiques, jusqu'à destination», soutient-il. Malheureusement, la mise sous cale des deux camions frigorifiques de l'abattoir, complique les choses, malgré les multiples sollicitations à l'endroit de l'autorité compétente, ne serait-ce que pour des subventions. La SOGEAO a été créée en octobre 2004 et bénéficie actuellement d'une concession de services publics. 300 grands animaux, 100 petits animaux et 20 porcs sont abattus par jour sur un potentiel de 400 grands animaux, 960 petits ruminants et 200 porcs par jour, en raison de la vétusté de l'infrastructure d'abattage.
Sa directrice générale, Fatimata Zerbo/Zongo, explique, avec amertume, que deux camions frigorifiques qui avaient été mis à la disposition des bouchers ont fait l'objet de manque d'entretien et de maintenance pour assurer le transport de la viande. Elle attribue cette situation aux prix dérisoires de transport de l'ordre de 1 000 F CFA par carcasse de grands ruminants qui ne fait pas rentrer de devises à même de prendre en charge les coûts d'amortissement des camions et au refus des bouchers d'utiliser souvent ces véhicules. A la DPSTU, un autre son de cloche résonne, s'agissant des entraves à la lutte contre le phénomène.
Une matinée, assis dans son bureau, le visage serein, le chef du service de la salubrité publique de cette structure, le contrôleur de Police municipale, Ablassé Douani, nous reçoit avec hospitalité. Au regard de l'immensité, dit-il, de la lutte contre les mauvaises conditions, il déplore, au niveau de son service, l'insuffisance de ressources humaines. « On fonctionne avec moins de 40 personnes sur plusieurs fronts à la fois, à savoir, la lutte contre la viande foraine, le contrôle des débits de boisson, la divagation des animaux, les abattages clandestins, etc. », expose-t-il.
Des conséquences sanitaires déplorables
La viande transportée en tricycle, à moto et même souvent à vélo, à ciel ouvert, à travers la ville de Ouagadougou, n'est pas sans retombées sans conséquences sur la santé des consommateurs. Le technicien d'Etat du génie santé, Adlaye Nabaloum, chef de section hygiène alimentaire et éducation pour la santé de la commune de Ouagadougou, soutient qu'il y a des risques pour la santé des populations.
Même si, certaines personnes tentent de couvrir la viande transportée, Adlaye Nabaloum pense que les emballages utilisés portent en eux-mêmes, des dangers sanitaires. « Sur des motos, plusieurs fois, nous avons rencontré des gens qui utilisent de vieux emballages de ciment. Ils oublient que cette viande absorbe le gaz carbonique (CO2) rejeté par les engins, les véhicules, l'air ambiant sans oublier les germes pathogènes. Tout ce qui est suspension gazeuse va être absorbé par cette viande.
Il faut noter que ces moyens de transports ne sont pas adaptés, car ne sont pas hermétiquement couverts. En plus, ce n'est pas exclu qu'on utilise ces mêmes moyens de transport avant ou après le transport de la viande pour transporter autre chose », clame-t-il. Si, le tricycle ou le véhicule avait servi à transporter des produits chimiques dangereux, comme les pesticides, les engrais, quel qu'en soit le traitement qui sera fait à cette viande, la vie du consommateur est à risque, ajoute-t-il.
Pour les motos, la viande est généralement déposée devant, souligne le technicien d'Etat du génie santé. Avec cette façon de transporter la viande, notamment, les abats comme le foie, les intestins, les reins subissent des transformations, d'un lieu à l'autre en fonction de la distance et de la chaleur ambiante. « Si, vous les transportez à une certaine distance sans moyen de conservation, à l'arrivée, ces morceaux vont se décomposer avant terme. Si, le client ne consomme pas immédiatement, il sera confronté par la suite à une viande putréfiée », renseigne M. Nabaloum.
Lors du transport, la viande peut être affectée par des germes pathogènes comme les salmonella, les campylobacter. A ce propos, explique-t-il, tout dépendra du mode de cuisson à savoir qu'il faut bien cuire la viande pour anéantir ces germes. La spécialiste vétérinaire en santé animale, Dr Gisèle Paré, indique qu'en tant que vétérinaire, quand on voit ces conditions de transport, on ne peut qu'être désolé. « Depuis l'inspection de la viande jusqu'à sa commercialisation, il n'y a plus de contrôle.
Mais on doit s'assurer que les conditions de transport, de conservation, d'exposition de la viande pendant la commercialisation, n'entrainent pas son altération. Si la viande est inspectée et vous la mettez sur une moto ou dans un taxi-moto sale et vous couvrez avec une bâche sale, il y aura des contaminations croisées, soit à travers l'engin de transport, soit à travers le matériel qui a été utilisé pour couvrir la viande », renchérit-elle. Dans ces cas de figures, la viande sera contaminée et va accélérer ou déclencher le processus de sa putréfaction. Au lendemain de sa non-commercialisation elle commence à être verte.
La touche des OSC
La viande consommée issue de nos marchés et « yaars » est de qualité douteuse, pensent certaines organisations de la société civile. Pour le coordonnateur du Réseau national des consommateurs du Faso (RENCOF), Adama Bayala, il n'est pas surprenant de voir la fréquence des maladies diarrhéiques dues à la mauvaise qualité de la viande.
« Donc, la viande aujourd'hui au Burkina est une source de contagion des maladies. Il faut avoir le courage de le dire, parce que les conditions de transport ne sont pas réunies. Les organisations professionnelles des bouchers sont aussi interpellées de même que celles de défense des droits des consommateurs, les collectivités territoriales, la Police municipale, la Police nationale, car les responsabilités sont largement partagées », prévient-il.
Le gouvernement, à ce niveau, recommande-t-il, doit prendre ses responsabilités pour ériger des abattoirs frigorifiques qui respectent des normes modernes de qualité. Le RENCOF, assure Adama Bayala, fait de la lutte contre les mauvaises conditions de transport de la viande à Ouagadougou, son cheval de bataille. Il informe que sa structure se rend souvent sur les sites d'abattage pour des contrôles en même temps qu'elle sensibilise aux bonnes conditions de transport de la viande.
La lutte ne faiblit pas du côté de la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB). Son président, Dasmané Traoré, martèle que les conditions actuelles de transport de la viande à travers la ville de Ouagadougou sont inacceptables car ne répondant à aucune norme. « Nous achetons de la viande de mauvaise qualité, si bien qu'avec les autorités, nous avons, plusieurs fois, rencontré les acteurs pour leur dire pourquoi, il n'est pas bien de transporter la viande dans cet état », rappelle-t-il. Pour l'instant, foi de M. Traoré, la LCB tente d'accompagner les autorités par la sensibilisation afin que cette pratique puisse être abandonnée à jamais.
Mettre d'abord fin aux abattages clandestins
Le transport de la viande est l'un des maillons importants dans la chaine d'approvisionnement. Toutefois, les mauvaises conditions de transport de la viande dans la ville de Ouagadougou ne sont que la partie visible de l'iceberg en matière de difficultés de fonctionnement de ladite chaîne. En effet, le premier maillon concerne l'abattage des animaux avant toute consommation.
Mais, le constat qui se dégage dans la capitale est l'existence de sites d'abattage clandestins qui échappent réellement aux contrôles vétérinaires et hygiéniques. Comment peut-on vouloir de la viande de qualité même en la transportant dans de bonnes conditions, quand l'animal lui-même est abattu dans des conditions insalubres ? Cette question n'est plus à poser au regard de sa pertinence et de l'évidence de sa réponse.
C'est pourquoi, des spécialistes insistent sur la nécessité de contrôler sur les plans sanitaires et hygiéniques la viande et s'assurer que l'animal lui-même ne comporte pas dans sa chair des pathologies. Les organisations de défense des droits des consommateurs ont fait l'amer constat que ces sites d'abattage clandestins ne sont pas conformes aux standards modernes avec à la clé, des animaux abattus à ciel ouvert sans systèmes d'évacuation d'eau et de sang qui ruissellent à fleur de sol, polluant l'atmosphère et entrainant des maladies pour les bouchers eux-mêmes et les riverains.
Il faut, dans ces conditions, selon des acteurs, que l'Etat prenne ses responsabilités pour doter la capitale d'abattoirs de type moderne proches des consommateurs pour non seulement garantir de meilleures conditions d'abattages mais aussi celles de transport de viande pour la consommation.