Les gouvernements africains cherchent à prolonger la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (Agoa) au-delà de 2025. Cette loi a été promulguée en 2000 pour "encourager l'accroissement du commerce et des investissements entre les États-Unis et l'Afrique subsaharienne". Nous avons demandé à David Luke, spécialiste de la politique commerciale africaine et des négociations commerciales, quels avantages l'Agoa a apportés aux pays africains éligibles et comment elle peut être améliorée.
Dans quelle mesure l'objectif de l'Agoa a-t-il été atteint ?
L'accès libre de droits et de quotas au marché américain accordé par l'Agoa a contribué à stimuler le commerce et l'investissement entre l'Afrique subsaharienne et les États-Unis. De nombreux pays africains qui remplissent les critères ont enregistré des succès spécifiques sur les biens exportés vers les États-Unis dans le cadre de l'Agoa. Il s'agit notamment de textiles et de vêtements provenant du Kenya, de l'Éthiopie, de Maurice, du Lesotho, du Ghana et de Madagascar. Au Kenya, par exemple, les ventes Agoa dominées par l'habillement sont passées de 55 millions de dollars US en 2001 à 603 millions dollars en 2022, représentant 67,6 % des exportations totales du pays vers les États-Unis.
L'Afrique du Sud possède la liste d'exportations la plus diversifiée d'Afrique subsaharienne. La valeur de ses ventes automobiles aux États-Unis a augmenté de 447,3 % entre 2001 et 2022 dans le cadre de l'Agoa. Les exportations de véhicules de l'Afrique du Sud vers les États-Unis ont augmenté de 1 643,6 % au cours de la première année de l'Agoa, passant de 853 unités en 2000 à 14 873 unités en 2001.
Parmi les autres réussites nationales, citons le Ghana, où les produits non pétroliers tels que les racines végétales, les textiles et les articles de voyage accèdent au marché américain dans le cadre de l'Agoa. Les exportations du Ghana vers les Etats-Unis sont passées de 206 millions de dollars en 2000 à 2,76 milliards de dollars en 2022, bien que seulement 26 % de ce commerce aient été réalisé dans le cadre de l'Agoa.
Le guichet Agoa a également également permis l'exportation de chocolat et des matériaux de vannerie de l'Ile Maurice ; du sarrasin, des articles de voyage et des instruments de musique du Mali (suspendu en 2022) ; du sucre, des noix et du tabac du Mozambique ; ainsi que du blé, des légumineuses et des jus de fruits du Togo.
Peut-être que l'Éthiopie, qui a été suspendue de l'Agoa en janvier 2022, illustre le mieux l'impact de ce guichet commercial sur l'industrialisation de l'Afrique.
Selon la Banque mondiale, l'Éthiopie a attiré l'attention du monde avec ses plans d'industrialisation ambitieux, en particulier grâce à ses parcs industriels. Les parcs industriels, qui produisent principalement des textiles et des vêtements, ont prospéré grâce à l'accès libre de droits et de quotas au marché américain.
En moins de dix ans, les parcs industriels éthiopiens ont créé 90 000 emplois directs, principalement pour les femmes âgées de 18 à 25 ans. L'emploi de ce groupe est généralement associé à une série de retombées positives sur la société et l'économie.
Les exportations de l'Éthiopie vers les États-Unis ont augmenté de 29 millions de dollars US à 525 millions de dollars US en 2020, dont 45,3 % dans le cadre de l'Agoa. Les exportations de textiles et de vêtements qui, jusqu'en 2014, ne représentaient que 10 % des échanges, ont augmenté régulièrement pour atteindre 69 % au cours de la période.
Les parcs industriels ont attiré 66 entreprises étrangères investissant environ 740 millions de dollars depuis 2014/15, l'Agoa étant le principal moteur de l'investissement dans le secteur ainsi que de l'augmentation des emplois et des recettes d'exportation.
Quel a été l'impact de l'Agoa sur les exportations africaines ?
Entre 2017 et 2020, les États-Unis sont devenus la troisième plus grande destination pour les produits industriels africains, après l'Union européenne et le commerce intra-africain. L'Agoa y est pour quelque chose. Cela signifie que l'Agoa a stimulé la création de valeurs ajoutées dans la région, traditionnellement connue pour ses exportations de produits non transformés.
L'impact positif sur les chaînes de valeur explique pourquoi des pays africains tels que le Kenya, le Lesotho et l'île Maurice ont investi autant de capital diplomatique, et parfois de fonds de lobbying, dans l'articulation d'un dossier permanent pour plaider en faveur du renouvellement de l'Agoa.
Les pays africains ont exploité cette opportunité pour vendre leurs produits manufacturés aux États-Unis. C'est le type de commerce qui compte vraiment pour l'objectif de transformation économique de l'Afrique à travers "les produits manifacturés, l'industrialisation et la valeur ajoutée".
En comparaison, au cours de la période 2017-2020, 87 % des exportations africaines vers la Chine étaient constituées de combustibles, des minerais et des métaux.
Quel type d'accord les États-Unis et le Kenya négocient-ils ?
Les États-Unis et le Kenya ne négocient pas un accord bilatéral de zone de libre-échange, comme on le croit souvent à tort. Ce qu'ils négocient, c'est un partenariat stratégique en matière de commerce et d'investissement qui ne peut être décrit comme un accord de libre-échange puisqu'il n'inclut pas de nouvelles dispositions en matière d'accès au marché.
Le principal objectif de ce partenariat est d'accroître les investissements et de promouvoir une croissance économique inclusive. Il est censé profiter aux travailleurs, aux consommateurs et aux entreprises (y compris les petites). Il a aussi pour objectif de soutenir l'intégration économique régionale africaine.
Compte tenu des disparités économiques mondiales actuelles, si les pays africains veulent se développer, ils ont besoin de concessions commerciales comme l'Agoa, et non d'accords de libre-échange bilatéraux et réciproques.
Comment rendre l'Agoa plus bénéfique pour l'Afrique subsaharienne ?
Tout d'abord, l'Agoa doit être prolongée d'au moins 20 ans. Cela garantira la prévisibilité de la concession d'accès au marché et renforcera la confiance des investisseurs qui disposeront d'un délai suffisant pour récupérer leurs investissements. Deuxièmement, les pays d'Afrique du Nord devraient être inclus dans l'Agoa. Cela permettra d'étendre l'Agoa à tous les pays africains et de soutenir l'intégration commerciale du continent par le biais de l'Accord de libre-échange continental africain.
Troisièmement, l'Agoa devrait cesser de punir les investisseurs en raison les erreurs des gouvernements. Il est regrettable que les pays qui ne remplissent pas les conditions d'éligibilité à l'Agoa, qui incluent les normes de gouvernance et de droits de l'homme, soient suspendus du programme. Cela pénalise les entreprises privées qui investissent et commercent, ainsi que les personnes qui dépendent de ces entreprises pour leur emploi. Mais il est peu probable que les États-Unis modifient les critères d'éligibilité.
David Luke, Professor in practice and strategic director at the Firoz Lalji Institute for Africa, London School of Economics and Political Science