La Transition malienne a annoncé, le mardi 14 novembre 2023, avoir pris la ville de Kidal des mains des groupes armés terroristes. Dans cette interview, Laurent Kibora, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, revient sur les enjeux de cette « victoire symbolique des Forces armées maliennes (FAMa) sur le terrorisme » pour le Mali et les deux autres pays de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) que sont le Burkina et le Niger.
Sidwaya (S) : L'armée malienne a annoncé avoir pris le contrôle de la ville de Kidal. Quelle appréciation en faites-vous ?
Laurent Kibora (L.K.) : La prise de Kidal a suscité une grande satisfaction de ma part. Je tiens à exprimer mes vives félicitations au peuple malien, aux Forces armées maliennes (FAMa) et surtout au Président Assimi Goïta. C'est un objectif stratégique qui a été atteint. Cela peut même être perçu comme une victoire personnelle de Assimi Goïta qui a été arrêté à Anefis à l'époque par les forces françaises.
La mort dans l'âme, il avait dû renoncer parce qu'il a été marqué de voir ses camarades tombés sous les balles de l'armée française qui avait interdit à l'armée malienne de mettre pied à Kidal. C'est donc un moment fort pour le peuple malien et pour l'ensemble des pays du Sahel, une victoire symbolique qui doit faire renaître l'espoir pour des lendemains meilleurs pour cet espace.
S : Que représente Kidal dans la lutte contre le terrorisme ?
L.K. : La question peut être abordée sous plusieurs angles. Kidal a toujours été vu comme une pépinière djihadiste, un espace regorgeant des richesses scandaleuses et aussi comme une zone abritant une base sécrète française. Avec la prise de Kidal, la réalité nous dira davantage sur ce mythe. C'est dire que Kidal est au centre de la problématique de l'insécurité, non seulement au Mali, mais aussi dans l'espace sahélien. Sa prise aura forcément des répercussions dans la sous-région.
S : La prise de Kidal intervient quelques mois après le départ des forces d'interposition qui était basées dans la localité. Comment cela peut-il s'expliquer ?
L.K. : C'est un peu comme ce que le capitaine Ibrahim Traoré a dit. La souveraineté des pays africains est non négociable. On est donc en droit de se demander pourquoi Kidal arrive à tomber aussi rapidement, après le départ de ces forces d'interposition. Kidal était-il le bastion des groupes terroristes avec un bouclier qui lui permettait de faire face aux FAMa ? Nul n'est dupe. On entrevoit clairement que la politique de ces pays sahéliens et de leurs Présidents, Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tchani est justifiée. On comprend pourquoi ils disent non à la présence de certaines forces coloniales.
S : Comment entrevoyez-vous l'avenir de la lutte contre le terrorisme avec cette prise de Kidal ?
L. K. : Pour le moment, il est difficile de faire de l'extrapolation sur l'avenir de la lutte contre le terrorisme. Mais on peut d'ores et déjà dire que c'est un grand symbole qui prouve que l'avenir des pays sahéliens est entre leurs mains. Cette victoire montre que ce que d'aucuns pensent impossible est bien possible.
S : Quels sont les enjeux de cette prise de Kidal pour l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ?
L.K. : Il ne faudrait pas oublier que Kidal est comme une province du Sud de l'Algérie où ce pays a essayé de reloger les islamistes repentis. Avec la prise de Kidal, il y a de fortes chances que ces islamistes repentis se réfugient en Algérie. Maintenant, on se demande si l'Algérie qui est un maillon fort du système sécuritaire du Sahel va jouer franc-jeu. En fonction de la réaction de l'Algérie, on pourra entrevoir clairement l'avenir de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel.
S : N'y a-t-il pas également des risques de dispersion des groupes terroristes dans la zone sahélienne ?
L.K. : Cela est évident, mais déjà, il ne faut pas oublier que de plus en plus, l'étau se resserre autour d'eux, parce que les armées de la sous-région, notamment les forces de défense et de sécurité du Burkina Faso, sont en train de quadriller cette zone qui est la frontière entre le Burkina et le Niger avec déjà beaucoup de succès engrangés comme l'opération Kapidgou et plusieurs autres offensives. Cela montre que même si ces groupes replient, ils risquent d'être pris en étau entre la barrière de fer du Burkina et celle du Niger.
S : A votre avis que doivent dorénavant faire les trois pays de l'AES pour mieux mener la lutte ?
L.K. : Il faut que les trois chefs d'Etat arrivent à convaincre leurs peuples de les suivre. Avec la victoire de Kidal, les populations doivent comprendre que la victoire sur le terrorisme est possible et que leurs dirigeants ont besoin du soutien de leurs populations. Les trois chefs d'Etat ne doivent pas non plus dormir sur leurs lauriers, mais inscrire leurs actions sur l'anticipation parce qu'il y aura un retour des groupes terroristes pour tenter de reprendre Kidal.
Il vaut mieux donc anticiper en actionnant le système de renseignement pour voir comment ces groupes vont se réorganiser ou pour anticiper les actions de sabotage ou les actions d'éclat. Il faut enfin que le Mali oeuvre à une équité en développant la zone de Kidal qui est un peu délaissée par l'Etat du Mali et cela est valable pour nos trois pays. Il faut que les habitants de ces zones de nos trois pays se sentent partie prenante de l'Etat dont ils relèvent.
Je me rappelle que l'Assemblée nationale du Mali a décidé une année d'aller visiter Kidal comme une zone touristique où ils n'étaient jamais allés auparavant. L'intégration de cette zone dans le tissu social et économique du pays est donc capitale pour que les populations se sentent Maliens, Burkinabè et Nigériens comme tous les autres.