Ile Maurice: «Bientôt l'histoire de notre pays commencera en 2014»

16 Novembre 2023

L'émission dominicale «Rétroscopie» a fêté sa 80e édition le dimanche 12 novembre. Durer 80 numéros pour un rendez-vous qui parle d'histoire, c'est un exploit dans le paysage audiovisuel local ?

Je ne sais pas si c'est un exploit ; je ne le crois pas. J'ai juste l'impression de faire une émission qui a l'air de correspondre au désir de nombreux Mauriciens. C'est vrai que c'est une émission qui demande beaucoup de recherches, beaucoup de travail de réécriture. Je fais un choix d'informations susceptibles d'intéresser les auditeurs. J'essaie de parler de faits divers, de politique, d'économie, de culture. Si faire une émission radio avec de la recherche constitue un exploit, alors je veux bien. Mais pour moi, c'est simplement offrir un travail fait avec soin et rigueur.

Dans un pays où l'on reste frileux sur l'enseignement de l'histoire contemporaine, avez-vous le sentiment d'avoir une portée pédagogique ?

Les gouvernements successifs n'ont jamais été intéressés à parler de notre histoire contemporaine. Encore moins à l'enseigner. Ou alors s'ils le font, c'est pour tout peindre en orange. Bientôt l'histoire de notre pays commencera en 2014. On dira bientôt que Mahé de La Bourdonnais ou Pierre Poivre sont des inventions. Lorsque vous voyez le zèle avec lequel on détruit férocement et avec une jouissance non dissimulée tous les vieux bâtiments qui parlent de notre histoire, vous comprenez pourquoi on ne veut pas enseigner l'histoire à nos enfants.

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Allez faire un tour à Pamplemousses, vous verrez le carnage. Le poste de police en pierres de taille, bâti il y a plus d'un siècle, la magistrature, tout tombe en ruines et cela n'est pas le fruit du hasard. Le jardin, autrefois un joyau, fait aujourd'hui honte. La paroisse de Pamplemousses sous la férule de l'abbé Grégoire rivalise de laideur pour essayer d'être à la hauteur du jardin. Les murs bicentenaires du cimetière sont badigeonnés de peinture grise. Et maintenant le comble : la cour de l'église Saint-François d'Assise où brillaient des petits coraux blancs est maintenant couverte d'une bonne couche de goudron bien frais, bien luisant, le tout décoré de petites dalles en béton de fort bon goût donnant au jardin autour de l'église une allure d'hypermarché. Peut-être installera-t-on bientôt un petit parc pour caddies, qui sait ?

Le public de «Rétroscopie» a-t-il dépassé le cercle des nostalgiques ?

Je ne peux pas répondre pour les auditeurs, mais si j'en crois le courrier, ce qu'ils aiment, c'est écouter l'histoire de leur pays à travers les journaux. Essayer de connaître et de comprendre les faits qui ont construit notre pays ne relève pas de la nostalgie.

Mais cela dit, je m'empresse d'ajouter : et même si c'est de la nostalgie ? Et alors ? On n'a pas le droit de garder en mémoire ce qui nous a plu, ce que nous avons aimé ? Depuis quand aimer sa vie passée constituerait-il un acte répréhensible ? Il y a bien des gens qui aiment tout ce qui est nouveau pourvu qu'il soit nouveau. Chacun sa maladie, pourrait-on dire. Aimer ce qu'on a vécu n'empêche pas d'apprécier le présent. Pourquoi des émissions comme La Nouvelle Star, par exemple, reprennent des vieux succès ? C'est un hasard d'après vous ? On ne peut pas empêcher les gens de dire qu'ils vivaient mieux avant. Et puis, si vous voulez savoir le fond de ma pensée, ils n'ont de compte à rendre à personne. Alors quoi, je devrais me cacher pour dire que je préférais Le grand Échiquier de Jacques Chancel à Touche Pas À Mon Poste (TPMP) de Cyril Hanouna ? Que je préfère Jacques Brel à Gims ?

Vous avez raconté sir Anerood Jugnauth, Anjalay Coopen, la Citadelle au fil des émissions récentes. L'actualité est-elle la route royale pour entrer dans l'histoire ?

L'actualité, c'est un peu, comme le dit souvent Yvan Martial, l'histoire au quotidien. Et cette actualité est marquée par des femmes et des hommes qui sont dans l'action. Et à ce titre, ce sont des bâtisseurs. Quand vous feuilletez les journaux des années 50/60/70, vous constatez l'omniprésence de Seewoosagur Ramgoolam et Gaëtan Duval. Tout simplement parce qu'ils ont consacré leurs vies au pays. Dans les années 70/80/90, la présence de Paul Bérenger est marquante. Toutes ces personnes seront dans nos livres d'histoire. Si bien sûr nos gouvernants estiment que l'histoire sert à quelque chose.

Vous avez animé l'émission consacrée à 1968 en public et en direct. Y aura-t-il d'autres éditions en public ?

Il y a en aura probablement mais je dois en décider avec le Labourdonnais Waterfront Hotel qui, depuis deux ans, est le soutien indéfectible de Rétroscopie. Il est réconfortant de constater qu'une entreprise privée s'intéresse et soutient une émission culturelle et historique.

Après 80 numéros, envisagez-vous de modifier la formule de l'émission?

J'y pense, c'est en construction et il est trop tôt pour moi d'en parler. Je voudrais dire à quel point je prends plaisir à construire la programmation musicale de Rétroscopie, qui me demande du temps et des recherches. Il s'agissait d'éviter une programmation oldies, ce que font très bien et avec beaucoup de succès les émissions de mon ami Elvis Quenette. J'essaie surtout de faire découvrir des chansons dont les thèmes collent aux informations puisées dans les archives.

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