Au Burkina Faso, les Produits forestiers non ligneux (PFNL) sont une source de revenus pour de nombreuses familles. Ces produits jouent un rôle vital dans la sécurité alimentaire et la subsistance économique de la population. Sauf que ces dernières années, les forêts sont devenues inaccessibles du fait de la crise sécuritaire dans le pays. Dans les régions des Cascades et des Hauts-Bassins, les acteurs de toute la chaine de valeurs ont mis en place des stratégies innovantes pour faire face aux conséquences de l'insécurité. Immersion dans cette filière au potentiel énorme qui lutte pour son renouveau.
Le soleil se lève sur la ville de Banfora, chef-lieu de la région des Cascades à l'ouest du Burkina Faso. Nous sommes, le lundi 16 octobre 2023. Ce matin, dans le village de Tiékouna à quelques kilomètres de la cité du Paysan noir, les habitants s'affairent à leurs tâches quotidiennes. En cette période de récoltes, Issouf Sourabié, perché sur un rônier majestueux, s'active à l'extraction du bandji qui sert de boisson dans la localité. Du haut de l'arbre, il soutient avoir appris ce métier au côté de son géniteur. Cette activité, exercée d'une génération à l'autre, confie M. Sourabié, connaît des bouleversements majeurs ces dernières années du fait de l'insécurité. « Nous ne pouvons plus aller dans les plantations de rôniers qui sont en brousse, jadis accessibles et généreuses, pour l'extraction de la sève du rônier ces dernières années.
Nous nous contentons des rôniers qui sont à la maison avec quelques pieds », explique-t-il avec un soupir marqué par les épreuves. Là aussi, déplore- t-il, durant l'hivernage, quand les cultivateurs exploitent ces espaces, on n'a plus accès aux rôniers. Les conséquences économiques de ces contraintes se font sentir cruellement chez M. Sourabié, parce que même le peu qu'il parvient à extraire ne trouve pas preneur de manière régulière. « Le peu que nous gagnons, nous n'arrivons pas à vendre tous les jours », fait savoir l'extracteur du bandji avec une pointe de résignation.
Motiver les cueilleurs avec des prêts d'argent
Avant l'insécurité, Issouf Sourabié et ses pairs étaient très actifs dans l'approvisionnement des villages voisins et des sites touristiques prisés comme les cascades de Karfiguéla et les dômes de Fabédougou. « Avant, les populations des villages voisins venaient se ravitailler chez nous, mais aujourd'hui elles ne viennent plus », déplore-t-il, pour illustrer le changement radical dans la dynamique commerciale. « En une semaine, on pouvait vendre plus de 600 litres à raison de 200 F CFA le litre. Aujourd'hui, on extrait seulement 40 litres par jour. Mais vu qu'il n'y a pas de marché, nous vendons le litre à 150 F », relate-t-il, la chute drastique des revenus de sa communauté.
Afin de résoudre son problème de vente, notre extracteur a trouvé l'idée d'un partenariat avec l'entreprise Bomba Techno, spécialiste dans la stabilisation de la sève du rônier avec qui il cède toute sa production au quotidien. Dans la matinée de ce mardi 16 octobre 2023, il n'a livré que 40 litres. Cette quantité est loin des attentes. La directrice de cette entreprise, Christiane Koné, n'est visiblement pas satisfaite de l'acquisition du jour. « Depuis l'insécurité, nous avons du mal à avoir la quantité souhaitée parce que nos extracteurs n'ont plus la possibilité d'aller dans certains endroits pour faire l'extraction du bandji », regrette-t-elle. Avec un minimum de 20 extracteurs, la production de Bomba Techno, fait savoir Mme Koné, n'oscille qu'entre 250 et 300 litres par jour, peinant ainsi à satisfaire la demande. Cependant, l'entreprise ne se contente pas de subir les contrecoups de l'insécurité. « Nous encourageons souvent nos extracteurs avec des prêts d'argent pour les motiver davantage à exercer toujours leur travail malgré le risque », explique la patronne de Bomba Techno, d'une voix résolue. Une stratégie qui souligne l'importance de soutenir les acteurs locaux pour maintenir une activité vitale malgré les défis. Ces encouragements, un mélange de support financier et moral, deviennent des bouées de sauvetage pour ces acteurs de la chaîne des PFNL.
Planter des espèces pourvoyeuses de PFNL
L'entreprise fondée par Soungalo Koné dit Bomba Techno est aussi engagée dans la préservation de l'environnement. « L'entreprise a un bosquet par exemple à Tiékouna », partage avec fierté Christiane Koné. Chaque année, des rôniers y sont plantés et la communauté est sensibilisée à la préservation de ces joyaux naturels. Dans la quiétude de sa cour familiale, au centre de Banfora, Monique Sirima, artisane de la transformation agro-alimentaire (jus de liane, bissap, gingembre, pain de signe, tamarin ...), incarne la résilience face aux vents tumultueux de l'insécurité qui ont secoué le marché des PFNL qu'elle affectionne depuis 2000. Sous le doux ombrage des arbres familiers, dame Sirima jongle avec les défis de la raréfaction des PFNL sur le marché. Notre transformatrice, illustrant sa résilience, partage son expérience de plantation de lianes sur un terrain de deux hectares à quelques kilomètres de la cité du Paysan noir. Elle décrit le dilemme qu'elle a rencontré lorsque des cueilleurs non autorisés ont envahi son champ, récoltant les lianes avant maturité. « Personnellement, j'ai un champ de lianes de deux hectares que j'ai conservé en forêt où j'ai planté d'autres lianes ajouter. Comme la zone est accessible, les villageois se sont rués sur mon champ et ont cueilli les lianes non mûres à mon insu. Je n'ai rien récolté cette année dans mon champ », raconte la cinquantenaire avec amertume. Cet épisode souligne la rareté de ces ressources, les transformant du même coup en produits de luxe.
Stocker certaines matières premières
Dans l'enceinte pittoresque du restaurant Calypso, à l'ombre des majestueux arbres de lianes, Salimata Koné révèle avec perspicacité les solutions innovantes qu'elle a trouvées dans son approvisionnement en PFNL comme la liane, le bissap, le gingembre, le pain de singe et le tamarin. « Aujourd'hui, on ne peut pas faire des bénéfices compte tenu du prix des matières premières sur le marché », confie-t-elle, soulignant le défi économique auquel elle est confrontée. Pour faire face à cette situation, elle a eu l'idée de stocker certaines matières premières quand les prix étaient « un peu » abordables. La cuisine du Calypso devient ainsi un entrepôt stratégique où chaque sac de PFNL est soigneusement conservé pour assurer la pérennité de l'activité. Cette stratégie montre la capacité de Salimata Koné à s'adapter et à trouver des solutions novatrices dans un marché qui subit les affres de l'insécurité. Dans sa stratégie de résilience, notre restauratrice a aussi revu les prix de ses jus naturels à la hausse pour faire face à la flambée des coûts des matières premières.
« Le bidon de 1,5 litre de chaque jus qui était à 1 000 F CFA est passé aujourd'hui à 1 500 F », explique-t-elle. Ces prix révisés révèlent une restauratrice déterminée à maintenir la qualité tout en préservant la viabilité économique de son entreprise. De l'autre côté de la ville de Banfora, Brigitte Bakyono, transformatrice d'amandes de Karité en beurre, a également mis en place la même stratégie de stockage des amandes pour pérenniser sa production. Mais avec une production artisanale, elle dit peiner à s'en sortir dans une filière aux potentiels pourtant énormes par manque de moyens de production. De son côté, Victorine Sanou, productrice de soumbala, pour faire face à cette rareté des PFNL, notamment les graines de néré, a eu l'idée de diversifier sa production. En effet, elle s'est lancée dans la transformation du fonio, du sésame et de l'attiéké. Ces produits agro-alimentaires sont disponibles. Cette stratégie permet à Mme Sanou de maintenir la cadence en attendant une amélioration de la situation sécuritaire.
Participer à des foires
Chef de service régional du changement climatique à la direction régionale de l'environnement des Cascades, le commandant des Eaux et forêts, Assami Sawadogo, est cité comme un fervent défenseur des PFNL, n'hésitant pas à proposer des solutions novatrices aux acteurs de la région. Ainsi, il dit user savamment de sensibilisation et d'encouragement des acteurs à participer à des foires pour exposer leurs produits afin de renforcer leur résilience.
«Certains acteurs utilisent des machines pour faire la transformation, d'autres produisent toujours artisanale- ment. Nous les sensibilisons donc à améliorer continuellement leur technologie de production », souligne le commandant Sawadogo. Les partenariats, même informels, jouent un rôle crucial dans la région, poursuit-il. « Nous sommes comme une interface entre les partenaires financiers et les acteurs eux-mêmes. Nous orientons les projets et ONG pour qu'ils puissent intervenir efficacement », confie le chef de service avec satisfaction. Avec les pressions croissantes sur ces ressources disponibles, Assami Sawadogo encourage la plantation d'espèces et la mise en place de jardins nutritifs, soulignant l'importance de préserver les PFNL tout en les exploitant. En dépit du manque de données récentes sur les pertes financières liées à l'insécurité, il appelle à des études pour éclairer les autorités et les acteurs sur la situation réelle. « C'est une doléance parce qu'au niveau des données, on n'a pas d'étude récente. Si on peut faire ces genres d'études, cela va éclairer tout le monde », suggère-t-il.
La résilience sociale des femmes
Dans la région des Hauts-Bassins, les acteurs des PFNL ne se contentent pas de subir eux aussi les conséquences de l'insécurité. Dans un coin paisible du quartier Sabaribougou, secteur 28 de la ville de Bobo-Dioulasso, se trouve le foyer de l'Association Neeb-Noma. Ici, chaque coin de la cour est une scène dynamique où des femmes engagées produisent avec passion le soumbala à base de graines de néré. Elles sont divisées en petits groupes et chaque groupe exécute une tâche spécifique. L'ambiance est électrique, ponctuée par des chants mélodieux et des cris de joie qui accompagnent les différentes étapes du processus de production. Chaque geste porte l'héritage d'une pratique artisanale transmise de génération en génération. C'est un lieu où la tradition se mêle à la résilience. Mais ce mercredi 25 octobre 2023, une énergie particulière imprègne l'air. Les femmes de Neeb-Noma reçoivent une visite spéciale, celle du Directeur général du Fonds national de solidarité et de Résilience sociale (FNS-RS), Sami Nicolas Kambou. Cette association a été soutenue par le Fonds à hauteur de 250 000 F CFA.
« Le fonds nous a permis de créer des Activités génératrices de revenus (AGR). Cela nous a permis de progresser dans nos activités. Avant, on partait dans d'autres zones pour s'approvisionner, mais présentement, avec l'insécurité, on a peur de voyager. On est obligé de nous servir au niveau de nos petits marchés », nous confie la présidente de Neeb-Noma, Bernadette Bama. Avec les défis, cette aide financière a joué un rôle crucial dans la motivation des femmes à intensifier leurs efforts et prendre en charge leurs familles respectives, selon Mme Bama. Pour le DG du FNS-RS, il faut aller au-delà de l'assistance sociale en développant des AGR qui permettront aux bénéficiaires d'atteindre une autonomisation totale. « Nous voulons développer ce pan de la résilience sociale avec certainement des AGR que nous allons pouvoir déployer sur le terrain pour soutenir nos cibles en termes de capacité », déclare M. Kambou. Pour lui, c'est une mission qui doit être développée pour que les personnes vulnérables qui reçoivent des appuis puissent bénéficier d'une autonomisation réelle.