Il convient de rappeler qu'en matière de contentieux de l'inscription sur les listes électorales, les délais de pourvoi prévus par la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême (les articles 76, 76-1 et 76-2) ont été transposés dans le code électoral, notamment la partie législative (L.45 à L.47), et à l'article R.43 dans la partie réglementaire régissant la procédure de la radiation d'office ayant lieu principalement à phase de la consolidation du fichier électoral par les services centraux du Ministère de l'Intérieur.
En l'absence de dispositions expresses relatives aux délais encadrant le renvoi en l'espèce, et compte tenu de la célérité qu'exige le traitement de ce type de contentieux, les délais susvisés, à défaut d'être réduits, doivent s'appliquer à bon droit.
Il y a lieu de rappeler qu'en cas de cassation, le principe est que la Cour suprême renvoie le fond à la juridiction compétente. De ce fait, le contentieux sur les inscriptions n'échappe pas à la règle du renvoi prévu par la loi organique sur la Cour suprême. Il revient ainsi à la Cour d'apprécier l'opportunité du renvoi conformément à l'article 53 in extenso :
« Après avoir cassé les arrêts ou jugements, la Cour suprême renvoie le fond des affaires aux juridictions qui doivent en connaître. Si la Cour suprême admet le pourvoi formé pour incompétence, elle renvoie l'affaire devant la juridiction compétente. Si la cassation est prononcée, pour violation de la loi ou de la coutume, elle indique les dispositions qui ont été violées et renvoie l'affaire devant une autre juridiction du même ordre. La Cour suprême peut casser sans renvoi, lorsque la cassation n'implique pas qu'il soit à nouveau statué au fond.
Elle peut aussi, en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d'appliquer la règle de droit appropriée. Dans les cas visés aux alinéas 4 et 5 du présent article, elle se prononce sur les dépens afférents aux instances devant les juges du fond. L'arrêt emporte exécution forcée ».
En conséquence, l'Arrêt de la Cour rendu dans le cadre du pourvoi dirigé contre l'ordonnance du Président du Tribunal d'Instance de Ziguinchor obéit aux règles de la Cour suprême.
Toutefois, il est regrettable que cette décision tende plus à repêcher l'auteur du pourvoi qu'à garantir au citoyen l'exercice du droit fondamental de suffrage, le droit de vote et d'éligibilité. Or, il apparaît clairement quelques constats :
- l'exceptionnel pourvoi formé par l'Agent Judiciaire de l'Etat (AJE) contre l'inscription d'un Électeur qui est inédit dans les annales du contentieux électoral ;
- le refus par l'autorité administrative d'appliquer l'ordonnance du Président du Tribunal d'Instance de Ziguinchor, juge en dernier ressort du contentieux de l'inscription sur les listes électorales en violation de l'article L.47 du code électoral ;
- la défiance de la Direction Générale des Elections (DGE) à la CENA qui est une autorité investie du pouvoir de faire respecter et de veiller à l'application de la loi électorale aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs, en vertu des dispositions du code électoral (L.5, L.6, L.13) ;
- la faiblesse du motif de renvoi au Tribunal d'Instance hors classe de Dakar qui semble se fonder non pas sur la substance de la décision du juge de Ziguinchor mais sur un hypothétique vice de forme.
Enfin, il ne serait pas insensé de s'interroger légitimement sur le déroulement du contentieux :
Pourquoi la Cour a-t-elle rompu d'avec sa jurisprudence en matière électorale ?
Le juge ne devrait-il pas, dans son appréciation tenir compte du préjudice irréparable induit par ce renvoi ?
Par ce renvoi, la Cour suprême n'a-t-elle pas décidé d'éliminer un candidat à la présidentielle à place du juge de l'élection, le Conseil constitutionnel ?
La décision de cassation est-elle totale ou partielle ? Le dispositif de l'arrêt nous édifiera sur la portée de la cassation...
En tout état de cause, au vu des délais cités plus haut, le dépôt des candidatures à l'élection présidentielle qui démarre le 11 décembre 2023 sera probablement bouclé sans que le contentieux soit définitivement vidé et que O. Sonko puisse disposer d'un dossier de candidature complet en l'absence de fiche de parrainages conforme.
Voilà qui laisse perplexe tout démocrate soucieux de la préservation de l'État de droit et la capacité à garantir l'impartialité, l'inclusion, la crédibilité, la confiance et la transparence, gages d'un processus électoral intègre et apaisé !
Le 19 novembre 2023