C'est dans un mouchoir de poche que s'est jouée la finale de la compétition électorale qui a opposé au Libéria, la star planétaire du foot dans les années 90 et président sortant, Georges Opong Weah, à l'ancien vice-président de la République et candidat malheureux lors de la dernière présidentielle, Joseph Nyumah Boakai.
Avant même le coup de sifflet final de la Cour suprême, l'ancien et emblématique attaquant des Leone stars a sportivement reconnu sa défaite et a salué la victoire de celui qui, malgré le poids de ses 78 hivernages, a utilisé ses pieds non pas pour fuir son pays comme l'a fait le commandant Toumba Diakité de la Guinée-Conakry, mais pour dribler son adversaire et marquer le but le plus précieux de sa carrière politique.
C'est une bien belle revanche pour Joseph Boakai qui avait subi une déculottée électorale face à Georges Weah en 2017, et ses partisans n'ont pas boudé leur plaisir en sortant les vuvuzelas pour célébrer cette victoire sur le fil à Monrovia, la capitale et à Sanniquellie, la principale ville de la région densément peuplée du Nord du pays.
L'ancienne légende du football quitte la pelouse de Executive Mansion avec les honneurs
Ce ténor de la politique libérienne et infatigable serviteur de l'Etat a, pour monter sur la plus haute marche du podium, dû compter sur l'éternel faiseur de roi, le sénateur et ex-chef rebelle, Prince Johnson, qui a mis à contribution l'immense réservoir de votants du Comté de Nimba dont il est originaire et dans lequel le nouveau président a battu son challenger à plate couture. Exit donc "Mister Georges" après seulement un mandat passé à la tête du Libéria avec un bilan en demi-teinte, mais avec le fair-play dont il a fait montre jusqu'au bout du soulier.
L'ancienne légende du football quitte la pelouse de Executive Mansion ( le palais présidentiel) avec les honneurs pour entrer dans le cercle fermé et très enviable des présidents africains ayant reconnu avec élégance et dignité, leur défaite. Depuis le retour de la démocratie dans les pays de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) au début des années 90, en effet, seuls Nicéphore Soglo, au Bénin, en 1996, Goodluck Jonathan, au Nigéria en 2015 et John Dramani Mahama, au Ghana, en 2016, ont eu le mérite d'accepter sans sourciller de quitter leurs postes douillets de présidents au terme de leurs premiers mandats, contrairement à certains de leurs homologues du continent qui n'hésitaient pas à bidouiller leurs Constitutions ou à tripatouiller les résultats des votes pour se maintenir au pouvoir.
Par ce geste d'une grande portée historique et démocratique, l'ancien Ballon d'or africain apporte la preuve à ceux qui en doutent encore, que « Liberia is really back », en matière d'alternance et d'exemplarité démocratique, après que ce pays a ému et traumatisé le monde entier avec les atrocités et les violences en politique commises pendant les deux décennies de guerres civiles.
Pour le reste, les défis restent entiers et le nouveau président élu aura du pain sur la planche pour les relever, au regard de son âge qui est presque rédhibitoire et de l'immensité des attentes de la population libérienne dont 60% a moins de 25 ans. Joseph Boakai devra, en effet, fournir des efforts surhumains pour résorber le chômage endémique des jeunes, et faire nettement mieux que son prédécesseur dans le domaine de la lutte contre la corruption et la mal gouvernance.
Espérons que Boakai a pris toute la mesure de ces challenges
Ce sera un travail d'Hercule que lui-même n'aurait peut-être pas réussi à faire, et beaucoup de Libériens se demandent comment ce bientôt octogénaire qui est passé par un trou de souris pour arriver à la tête du pays, va s'y prendre pour tenir ses promesses électorales, surtout dans ce contexte de récession économique et de paupérisation galopante de la population qui sont toutes à mettre au passif du très "bling bling" Georges Oppong Weah.
Autant de facteurs déstabilisants qui risquent de compliquer la tâche déjà titanesque du nouvel élu qui n'a glané qu'un peu plus de la moitié des suffrages exprimés, avec des risques énormes d'explosion sociale, notamment dans les grandes villes du pays où la vie est de nos jours plus que jamais dure.
Espérons que Boakai a pris toute la mesure de ces challenges et qu'il mettra à profit sa riche expérience d'homme d'Etat qui a cogéré le pays pendant les deux mandats d'Ellen Johnson Sirleaf, pour prendre rapidement le taureau de la gouvernance kleptocratique du président sortant par les cornes, en commençant par mettre l'homme qu'il faut à la place qu'il faut dans le gouvernement inclusif qu'il a promis à ses compatriotes.
C'est vrai que tout cela ne sera pas facile dans un pays à forte fragmentation ethnique et caractérisé par d'énormes disparités régionales comme le Libéria, mais les électeurs qui lui ont fait confiance savent qu'il a le profil de l'emploi et l'expérience qu'il faut pour transformer l'essai.
Reste à savoir s'il aura les ressources physiques et financières nécessaires pour prouver aux Libériens qu'il est un bon maçon pas seulement dans les discours électoraux, mais aussi au pied du mur, d'autant qu'il hérite d'un pays économiquement sur les rotules et que sa santé serait déclinante depuis quelques années, si l'on en croit certaines sources.
Quoi qu'il en soit, ses compatriotes lui ont donné l'ultime chance de laisser une image positive de lui-même à la postérité, et il devrait considérer ce premier et probablement dernier mandat comme sa porte d'entrée dans le Panthéon de l'histoire de son pays, en ayant à l'esprit qu'à son âge, il n'a plus rien à gagner mais tout à perdre s'il se laisse influencer ou manipuler par de vulgaires opportunistes qui pensent plus à leurs panses qu'au développement du Libéria et au bien-être des Libériens.