Afrique: Propriétés confisquées - Biens mal acquis, un processus toujours au point mort

19 Novembre 2023

Vraisemblablement, avec des commissions fantoches, très mal structurées, dépourvues de pouvoir et relevant de départements ministériels différents, rien ne pouvait être fait face à une mafia bien organisée

L'épineux dossier des biens confisqués et des avoirs gelés traîne toujours en longueur et le bilan, plus que mitigé sur le plan de la récupération, ne fait qu'appuyer les thèses de manipulation, de manoeuvres dilatoires visant essentiellement à renvoyer aux calendes grecques la mise en vente de ces biens.

Il semblerait que le lobby du clan du président déchu est toujours à l'oeuvre.

En recevant, ce mercredi au Palais de Carthage, la ministre de la Justice, Leila Jaffal, et la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, le Président de la République, Kaïs Saïed, a pointé du doigt des « manipulations récurrentes» et « des retards délibérés» visant à s'emparer des propriétés confisquées à bas prix et n'a pas manqué par la même occasion d'admonester et de mettre en garde ceux qui tentent de gaspiller les biens qui reviennent à l'Etat en usant de subterfuges qui n'échappent plus à personne et en évitant les poursuites grâce à un système judiciaire mis en place après le 14 janvier 2011, qui n'a fait qu'amplifier encore plus le phénomène de la corruption et qui a contribué à affaiblir le principe de reddition des comptes.

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Abus et cafouillage dans le traitement des dossiers

Des voitures de luxe qui n'ont plus de valeur ou qui ont été vendues à bas prix , des villas délabrées qui ne sont plus que le vestige d'un régime déchu et d'autres biens immobiliers dans des quartiers huppés, notamment dans la banlieue nord, n'ont pas à ce jour reçu d'offre d'achat au prix de vente souhaité.

A qui incombe la faute?

A ces multiples commissions spécialisées plongées depuis 2011 dans une léthargie consternante pour des considérations partisanes ou à cet arsenal juridique qui n'a servi à rien, ou aux sempiternelles recommandations qui sont restées lettre morte?

Ou mieux encore à une justice transitionnelle sacrifiée sur l'autel d'une réconciliation à deux vitesses ? Que de questionnements.

Vraisemblablement, avec des commissions fantoches, très mal structurées, dépourvues de pouvoir et relevant de départements ministériels différents rien ne pouvait être fait face à une mafia bien organisée et bien décidée à ne pas lâcher prise et à récupérer ces biens au nez et à la barbe de tous.

Et puis, il faut bien le souligner, le travail de ces commissions n'avait rien de sérieux.

Les paroles dépassaient de très loin les actes et les gouvernements qui se sont succédé avaient d'autres chats à fouetter.

La Tunisie n'a pu, depuis 2011, récupérer en particulier qu'un avion dont Sakhr el-Materi détenait 50 % du capital, un yacht de Kais Ben Ali, la somme de 28 millions de dollars sur un compte libanais au nom de Leila Trabelsi veuve de l'ancien président, la somme de 250 mille euros de Sofiane Ben Ali; ainsi que 3,5 millions de francs suisses.

Des miettes, par rapport aux sommes d'argent détournées .

Le président de la République espère récupérer plus de 13 millions de dinars détournés durant la période de l'ancien président grâce au processus de réconciliation pénale dans sa nouvelle version adoptée suite au décret-loi n° 2022-13 du 20 mars 2022 .

Mais ces efforts ont buté contre divers obstacles.

A cet effet, il est bon de rappeler que certains pays n'ont jamais été coopératifs avec la Tunisie pour faciliter la récupération des biens mal acquis.

Il est question d'évoquer à ce propos la France et la Suisse.

Pour rappel, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en France a rendu, en janvier 2021, un avis défavorable à l'extradition vers la Tunisie du beau-frère du président déchu Belhassen Trabelsi impliqué pourtant dans de nombreux dossiers de corruption.

L'autre gendre de l'ancien président Sakhr El-Materi a fini par se réfugier aux Seychelles et par obtenir la nationalité de ce pays, emportant avec lui une énorme fortune.

«Un laxisme étonnant de l'Etat» au niveau du traitement de ce dossier en 2018, avait accusé l'ONG I Watch.

Les banques suisses n'ont restitué à l'Etat tunisien que trois millions de dinars en mars 2019!.

Mieux légiférer la conciliation pénale

En dépit de ces échecs enregistrés avant le coup de force du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed n'est pas prêt à plier l'échine.

Un message bien clair a été passé aux nouveaux représentants de la diplomatie tunisienne à l'étranger en août dernier, mettant en exergue la nécessité d'intensifier davantage les efforts diplomatiques visant à récupérer l'argent spolié aux Tunisiens.

Comme l'avait démontré le Président de la République lors de l'audience accordée au ministre de la Justice et au ministre des Finances, la mafia qui est entrée en ligne dans ce dossier complexe ne perd pas son temps, contrairement aux diverses commissions amorphes qui ont été mises en place durant cette noire décennie.

Kaïs Saïed a cité l'exemple d'une propriété à Hammamet (Nabeul) acquise par une personne pour la somme de 2 millions de dinars et vite revendue à 20 millions de dinars! A cet effet, il a indiqué que l'État ne restera pas les bras croisés.

«Ces personnes seront poursuivies au même titre que ceux qui croient encore pouvoir dilapider les biens publics en toute impunité».

Par ailleurs, pour desserrer l'étau qui jugule les efforts pour le traitement rapide des affaires liées aux biens mal acquis, Kaïs Saïed compte apporter des modifications au décret relatif à la conciliation pénale. «Chaque millime obtenu injustement devra être restitué à l'État tunisien».

Plus d'une décennie après la chute du régime de Ben Ali, toutes les commissions mises en place, à commencer par celle de feu Abdelfattah Amor, visant à récupérer les biens mal acquis ont lamentablement échoué pour diverses raisons, dont primordialement la gestion opaque par l'Etat des biens confisqués depuis 2011 sur fond d'un grand nombre de commissions appelées à exercer quasiment les mêmes tâches sans appui juridique susceptible de leur faciliter la mission.

Entre-temps, une mafia bien structurée a profité de la cacophonie de ces missions pour retarder la prise des décisions inhérentes à la restitution des biens spoliés, à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

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