Ile Maurice: «On est presque en train de mendier pour notre anniversaire»

20 Novembre 2023

L'association d'artistes partage célèbre ses 20 ans d'existence. Son atelier résidentiel annuel s'ouvre aujourd'hui, pour deux semaines, jusqu'au 3 décembre. Thème choisi : le réchauffement climatique.

À la création de l'association partage, il y a 20 ans, vous traitiez Maurice de «désert culturel et artistique». Depuis, le pays est-il devenu une oasis pour les créateurs ?

Nous n'avons pas vu les progrès qu'il aurait dû y avoir. C'est toujours le désert. Il y a tellement de choses qui ne se sont pas concrétisées dans le domaine de l'art.

Par exemple ?

Le gros manque, depuis que je suis rentré à Maurice dans les années 1990, c'est une galerie d'art nationale. Les gouvernements successifs l'ont promis. On a créé toutes sortes de musées, mais on n'a pas encore vu de galerie d'art nationale, pour montrer ce qui a été fait à Maurice.

Depuis 1999, la National Art Gallery (NAG) a des bureaux mais pas d'espace d'exposition.

La NAG a un bureau, un président, un conseil d'administration, un commissaire d'exposition. Il y a tout ce qu'il faut, mais il n'y a pas de galerie. Il avait été question de rénover l'ex-Borstal, puis un espace à côté de l'ex-hôpital militaire. On n'entend plus rien.

Pourquoi est-ce si important d'avoir une galerie d'art nationale ?

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Même sans galerie, la NAG organise des expositions. C'est pour que les artistes, les étudiants, le public en général et les visiteurs étrangers puissent voir ce qui a été fait dans le domaine de l'art dans le passé. L'art raconte l'histoire d'un pays. Une galerie d'art nationale donne de la visibilité aux artistes. Être exposé dans une collection muséale, donne la cote de l'artiste.

L'association partage a été lancée grâce au soutien financier de Triangle Arts Association, un programme de résidences artistiques américain. Vingt ans plus tard, vous déplorez que partage n'est pas éligible à l'appel à projets lancé par le «National Arts Fund», le mois dernier. Deux décennies plus tard c'est toujours autant la galère pour trouver des fonds ?

Il a fallu attendre beaucoup de temps avant d'avoir le National Arts Fund (NdlR, le fonds existe depuis février 2018). C'est quelque chose de très positif, qui représente une lueur d'espoir pour beaucoup d'artistes, des gens dans l'événementiel. Mais il ne fonctionne pas comme il faut. Les appels à projets devaient être lancés tous les trois mois (NdlR, ils sont annuels). Nombreux sont ceux qui dépendent de ce financement et qui construisent leurs activités en fonction de cette subvention qu'on ne peut obtenir que tous les deux ans.

Vous en avez déjà bénéficié ?

Une fois, mais cela s'est mal passé. Nous n'avons eu qu'une maigre partie de l'argent. C'est très bureaucratique. Tous les apports en nature de l'artiste et des organisateurs ne comptent pas. Par exemple, nous avons eu droit à la salle de conférences de l'hôtel Hilton, en guise de parrainage. Ce n'est pas de l'argent. Mais le National Arts Fund demande un reçu justificatif pour ça.

L'année dernière, lors d'une rencontre entre des acteurs culturels et le ministre des Arts et du patrimoine culturel dans un hôtel, nous en avons parlé. Il avait promis que ce type de rencontre serait régulière, tous les trois mois. Mais on n'a rien vu venir. Une discussion franche entre les acteurs culturels et le National Arts Fund n'a jamais eu lieu. Pourtant nous avons des choses à dire parce que ce fonds est fait pour nous. Les autorités doivent écouter les acteurs culturels, cela ne peut pas être un trafic à sens unique.

Depuis mai 2023, nous essayions de savoir quand l'appel à projets du National Arts Fund serait lancé. On nous répondait : «Bientôt.» Quand c'est sorti en octobre, on nous l'a refusé parce que les déboursements seront effectués l'année prochaine. Je ne sais pas si cela correspond à un agenda politique. Là, on est presque en train de mendier pour trouver des fonds pour l'atelier cette année.

C'est choquant d'entendre un artiste utiliser le verbe «mendier».

Ce sera un anniversaire un peu triste, parce que nous n'avons pas les moyens de célébrer les 20 ans. Heureusement qu'il y a quand même des hôtels et quelques personnes qui nous aident.

Vous avez parlé de l'état des subventions de l'État. Qu'en est-il du secteur privé ? En 20 ans, l'accès aux financements s'est-il amélioré ?

C'est aussi très difficile. Il faut avoir des connexions, être in the good books.

En 20 ans d'existence, pARTage n'est pas rentré «in the good books» ? Non. Même si des gens apprécient notre travail, quand il faut nous aider, il n'y a rien qui vient. Je ne sais pas ce qu'il faut avoir pour y être.

Pourtant, l'un des objectifs de pARTage - que vous mettez en avant auprès des bailleurs -, c'est de rendre l'art accessible au plus grand nombre. En 20 ans, vous avez le sentiment d'avoir touché le public qui n'ira pas dans une galerie mais en plein air à Flic-en-Flac ?

pARTage a pu toucher le public mais aussi les artistes. Il y a maintenant une plus grande compréhension de l'art contemporain. Quand je suis rentré à Maurice dans les années 1990, l'art à Maurice était surtout pictural. C'était la peinture, la sculpture. Très figuratif. Au fil des ateliers pARTage, cela a changé. Les perceptions aussi ont changé. On a vu de l'art fait autrement, avec des matériaux de récupération. Des matériaux pas considérés comme artistiques, mais qui sont détournés pour exprimer des idées. Les performances aujourd'hui sont attendues. L'expression conceptuelle en couleurs et en mouvements est mieux appréciée.

Nous avons aidé à ouvrir les esprits, autant chez ceux qui créent que ceux qui reçoivent les créations. Nous avons aussi mis en place un espace démocratique de création parce que nos appels à participation sont ouverts à tous les artistes. Nos activités sont ouvertes à la communauté, les jeunes, les écoles.

Dans quelle mesure le frottement avec les participants étrangers a-t-il contribué à améliorer le niveau à Maurice ?

C'est primordial d'avoir ce frottement parce que c'est assez difficile pour les artistes mauriciens de voyager pour aller à la rencontre d'autres artistes. Malheureusement, entre deux ateliers pARTage, il n'y a pas de suivi. Même si on participe à d'autres activités locales, on retombe dans le conventionnel.

Avec pARTage, les artistes ont deux semaines pour créer. Ils arrivent à vendre ces oeuvres par la suite ?

C'est l'un de nos objectifs, mais le marché est très restreint, il n'y a pas de grands collectionneurs d'art contemporain. Il n'y a pas non plus de structures pour promouvoir l'art contemporain. C'est très difficile de faire circuler une installation, de l'envoyer à l'étranger. La plupart du temps soit l'oeuvre est recyclée, soit elle reste comme ça, chez soi.

Comment envisagez-vous les prochains 20 ans ?

C'est assez sombre. On ne sent pas qu'un avenir plus brillant s'annonce.

Vous ne faites pas un dernier atelier avant de prendre votre retraite ?

Tant que j'aurais de l'énergie je continuerais. Mais les choses vont devenir encore plus difficiles. Toutes les structures qui sont mises en place le sont pour la galerie.

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