Burkina Faso: Sié Philippe Aimé Palenfo, coordonnateur national de l'Unité de Partenariat public-privé - « Le PPP se présente comme une opportunité à saisir pour la réalisation des infrastructures structurantes »

20 Novembre 2023

Depuis 2017, le Partenariat public-privé (PPP) n'a cessé de faire couler beaucoup d'encre et de salive. Dans cette interview accordée à Sidwaya, le coordonnateur national de l'Unité PPP, Sié Philippe Aimé Palenfo, revient, entre autres, sur la portée du Partenariat public-privé, l'objectivité des procédures, les types d'infrastructures que les PPP peuvent permettre de réaliser et les difficultés auxquelles est confronté ce mode de passation de la commande publique.

Sidwaya (S) : De manière succincte, qu'est-ce que le Partenariat public-privé (PPP) ?

Sié Philippe Aimé Palenfo (S.P.A.P.) : Ce qui est important à noter déjà, c'est que le Partenariat public-privé (PPP) est un mode de passation de la commande publique. En termes techniques, il peut être défini comme un contrat écrit à long terme entre une entreprise privée et un organisme public pour fournir un bien ou un service public, dans lequel il est assigné à l'entreprise privée une mission globale de financement, de conception, de réalisation et d'exploitation ou d'entretien. Pour parler de PPP, il faut donc tenir compte de cette mission globale. Le seul financement du privé ne suffit pas, il faudra nécessairement inclure les missions de conception, construction et de gestion de l'infrastructure par le partenaire privé avec en finalité, la fourniture d'un service public.

S : D'aucuns estiment que quelques éléments de la bonne gouvernance, notamment la concurrence, l'égalité et l'objectivité des procédures, sont foulés aux pieds dans les PPP. Qu'en pensez-vous ?

S.P.A.P. : Je pense que ce sont des jugements de valeur, des perceptions que certains acteurs ont des PPP, peut-être à partir de quelques cas isolés qu'ils ont rencontrés. La même perception est observée au niveau des marchés publics. Les questions de transparence, d'égalité et d'objectivité que vous soulevez sont des principes bien encadrés par les textes qui régissent la commande publique.

Les procédures de passation des contrats en PPP ne dérogent pas à ces principes de la commande publique qui sont bien énumérés par la loi 032-2021/AN portant cadre juridique et institutionnel de partenariat public-privé adoptée en 2021. Aussi, selon cette loi, il existe trois procédures de passation qui sont l'appel d'offres ouvert, l'appel d'offres restreint et la négociation directe. L'attribution d'un contrat en PPP se fera nécessairement à travers une de ces trois procédures, chacune étant bien encadrée par des textes.

S :Une certaine opinion pense aussi que le PPP a été restauré pour, en quelque sorte, contourner les effets des grèves des syndicats du Trésor public et des impôts. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?

S.P.A.P. : Personnellement, je n'ai pas encore connaissance de cette opinion dans la littérature sur les origines du PPP. Généralement, le recours au PPP est justifié par l'absence ou l'insuffisance de ressources publiques et de moyens techniques nécessaires à la réalisation des infrastructures publiques, d'où l'appel au financement et à l'expertise du privé. En d'autres termes, l'Etat transfère au privé certains risques qu'il ne peut pas gérer mais qui pourraient l'être plus efficacement par le privé.

Naturellement, le transfert de ces risques au privé lui impose des pratiques de gestion qui peuvent être différentes de celles du public au regard des objectifs de performances recherchées et des moyens qu'il mettra en œuvre pour les atteindre. Je ne perçois pas le lien car les grèves sont aussi possibles dans le secteur privé même si elles peuvent être moins fréquentes que dans le secteur public.

Concernant le Burkina Faso, le recours au PPP est justifié essentiellement par le manque de ressources. De nombreux projets d'infrastructures ne peuvent être réalisés sur le seul budget de l'État, d'où le recours aux privés à travers cette modalité qui a l'avantage de permettre en plus du financement et de l'expertise du privé, d'aller plus vite et plus efficacement.

S : À qui profitent les contrats PPP ?

S.P.A.P. : Normalement, le contrat de PPP profite aux deux parties s'il est bien négocié. On pourrait même affirmer qu'il profite à tous les acteurs impliqués dans le processus, étant donné que le projet qui est réalisé en PPP est censé apporter une solution à des besoins exprimés. Si le projet est bien identifié comme solution à un problème et le contrat bien négocié en prenant en compte les intérêts de chacune des parties, il profitera à chacune des parties naturellement. Donc le contrat PPP doit profiter à chaque partie. C'est un partenariat gagnant-gagnant.

S : S'il est mal négocié, est-ce que vous ne croyez pas que cela soit perçu comme un mauvais « deal » pour le public ?

S.P.A.P. : Je pense que le terme « deal » signifie « affaire ». Et les PPP offrent des opportunités d'affaires pour les deux parties. Le contrat de PPP permet en effet à la partie privée comme publique d'obtenir ou d'atteindre un objectif commun tout en tirant chacun profit du partenariat. Toutefois si le contrat est mal structuré et mal négocié, le « deal » profitera à la partie la plus vigilante sur la protection de ses intérêts dans le partenariat.

Dans ce cas, le contrat mal négocié sera un mauvais deal pour la partie la moins vigilante. D'où justement l'intérêt pour chaque acteur de mettre tout ce qu'il a de son côté pour bien négocier le contrat afin qu'il soit équilibré et profitable à chaque partie. Et pour bien négocier le contrat, il est important de s'entourer de conseils et experts qu'il faut.

S : Je loge le « deal » par exemple dans le contexte où je suis le parti politique au pouvoir et j'attribue le marché à quelqu'un qui m'a soutenu, est- ce qu'il y a la transparence ?

S.P.A.P. : Je pense que vous faites beaucoup plus allusion à la négociation directe qui est une procédure autorisée comme je l'ai déjà indiqué, mais bien encadrée car soumise à des conditions bien précises de recours. Dans tous les cas, la priorisation et la réalisation des projets d'infrastructures dépendent d'abord de la volonté politique avant les questions de procédures de sélection du partenaire privé. En fonction des priorités et du contexte, la négociation directe peut être privilégiée par rapport à d'autres procédures.

Le contexte, l'urgence et la volonté d'aller très vite peuvent justifier le recours aux procédures dérogatoires comme l'appel d'offres restreint ou la négociation directe. Toutefois, il faut relever que ce ne sont pas nécessairement ces procédures dérogatoires qui peuvent accélérer la réalisation du projet. Entre la signature du contrat et le démarrage effectif des travaux, il s'écoule une période de mobilisation du financement dont le partenaire privé n'a pas la maîtrise.

Généralement, les financements des projets en PPP sont lourds. Ce qui rend quelquefois assez complexe la mobilisation par les partenaires privés. Le plus souvent, après la signature des contrats, les partenaires privés sont confrontés à des difficultés dues aux exigences des banques auprès desquelles ils doivent lever les fonds. Le mode d'attribution du contrat et la nature des engagements pris par le partenaire privé constituent généralement des risques que les banques cherchent à couvrir avant l'octroi de leur financement.

De ce fait, les dues diligences qu'elles réalisent aboutissent quelquefois, voire souvent, à des demandes de garanties qui peuvent entrainer un retard et même un blocage dans le bouclage du financement. Plusieurs exemples existent où les contrats ont été attribués en entente directe sans que le bouclage financier n'ait pu être réalisé. Lorsque le bouclage financier n'est pas fait, le projet ne peut pas être réalisé sauf si le partenaire privé veut le faire sur ses fonds propres à 100%. Ce qui est très rare en PPP.

S : En cas de blocage parce que le partenaire privé n'a pas pu réunir les fonds nécessaires pour réaliser le projet, qu'est-ce que vous faites ?

S.P.A.P. : Généralement, le contrat précise tout. C'est pour cette raison que sa signature qui marque le bouclage commercial, précède toujours le bouclage financier car c'est sur la base des engagements souscrits par les parties dans le contrat que les banques font leurs analyses pour la mise à disposition des fonds. Avec la loi 032 au Burkina Faso, un délai maximum d'un an est accordé au partenaire privé à compter de la signature du contrat pour boucler les financements. Après ce délai, l'autorité contractante se réserve le droit de proroger la durée ou d'annuler le contrat. Dans tous les cas, les clauses du contrat relativement au bouclage financier précisent les conséquences pour le partenaire privé lorsqu'il n'arrive pas à mobiliser le financement.

S : Y a-t-il une différence fondamentale entre le PPP et le marché public classique ?

S.P.A.P. : Absolument. Il y a une différence nette entre ces deux modes de la commande publique. En PPP, l'autorité publique signe un seul contrat avec le partenaire privé qui a une mission globale dont la réalisation l'amènera à signer des contrats séparés pour le financement, la réalisation et la gestion. L'Etat est lié au seul partenaire privé par un contrat unique.

Avec ce contrat, il transfère au partenaire privé la maîtrise d'ouvrage ainsi que tous les risques liés à la mission de construction, de financement et de gestion. Alors que dans le marché public, l'Etat en tant que maître d'ouvrage, signera tous les contrats dont un avec la banque pour le financement, un avec l'entreprise de construction et un autre avec l'entreprise de gestion ou d'exploitation. Il garde donc tous les risques de conception, construction, financement et gestion. Ce qui n'est pas le cas en PPP.

S : En 2022, nous avons eu deux coups d'Etat. Quels ont été leurs impacts sur la mise en œuvre des PPP ?

S.P.A.P. : Nous n'avons pas constaté un impact particulier sur la mise en œuvre des PPP au Burkina Faso dû aux deux situations que vous évoquez. Nous avons plutôt constaté une continuité dans la mise en œuvre des réformes sur la gestion des PPP à travers la finalisation et l'adoption de certains textes d'application et d'opérationnalisation. Les procédures et actions qui étaient en cours avant ces deux évènements ont été poursuivies jusqu'à ce jour. L'adoption de beaucoup de textes d'application dont l'élaboration a commencé avant ces évènements, de même que l'effectivité de l'opérationnalisation de l'Unité PPP sont à mettre à l'actif des actions du gouvernement de la Transition.

Aussi, le PPP reste une option importante pour la mise en œuvre des projets d'infrastructures structurantes par le gouvernement de la Transition en cours. Il est retenu dans le plan de financement comme l'une des modalités de mise en œuvre de la politique nationale de développement ainsi que du Plan d'action pour la stabilisation et le développement (PA-SD) par laquelle le secteur privé peut apporter sa contribution dans la réalisation des projets prioritaires pour le développement.

S : Qui peut soumissionner à un marché PPP ?

S.P.A.P. : Selon la loi, toute entreprise privée nationale ou internationale en règle peut soumissionner à un marché en PPP, pourvu qu'elle respecte les conditions qui sont prévues généralement dans le cahier des charges. C'est le principe du libre accès à la commande publique consacré par la loi. Donc c'est ouvert sauf si le soumissionnaire est sous le coup d'une interdiction.

S : Alors comment sont sélectionnés les projets à réaliser en PPP ?

S.P.A.P. : Effectivement, ce ne sont pas tous les projets qui peuvent être réalisés en PPP. La règlementation précise les conditions de recours à cette modalité et les secteurs éligibles. Une revue documentaire sur la question permet de constater selon les pays que ces conditions peuvent porter sur la nature des projets, leur coût et le secteur. Au Burkina Faso, il n'y a pas de secteur exclu ni de seuil minimum fixé. Toutefois, dans le processus de sélection des projets, il est exigé certaines études nécessaires pour apprécier la faisabilité du projet en PPP et sa capacité à attirer les investisseurs.

Pour ce faire, il existe un minimum de critères techniques, économiques, financiers et commerciaux à réunir que seules les études pourront fournir. Des fiches sont renseignées à cet effet sur la base des études disponibles et soumises à l'Unité PPP pour appréciation et avis. Le projet peut être faisable économiquement pour l'État, mais financièrement et commercialement impossible pour le partenaire privé. Donc on ne décide pas d'aller en PPP parce qu'on veut le financement du privé. Si nous prenons à titre d'exemple le projet Sidwaya (NDLR : Projet de construction du nouveau siège) inscrit dans notre base de données des projets envisagés en PPP, il a été soumis à ces critères d'analyses qui ont permis de retenir le projet avec toutefois des études complémentaires à réaliser pour confirmer la faisabilité en PPP...

 

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