Afrique de l'Ouest: Dr Mohamed Habib Diallo, ambassadeur du Sénégal à Doha - «Le Sénégal peut réussir mieux que le Qatar dans la gestion de son pétrole»

20 Novembre 2023

Ingénieur et Docteur en Mathématiques, l'Ambassadeur du Sénégal au Qatar, Mohamed Habib Diallo, connaît bien ce petit pays du Golfe pour y avoir passé une bonne partie de son cursus universitaire, vers les années 1980. Dans cet entretien avec « Le Soleil », en marge de l'Exposition internationale horticole de Doha qui se tient depuis octobre dernier, il a tiré un bilan à mi-parcours positif de la participation du Sénégal, seul pays ouest-africain parmi les 80 Nations présentes à cette foire.

Dr Diallo a, par ailleurs, magnifié l'excellence des relations bilatérales entre les deux pays, notamment dans les domaines de l'agriculture, du commerce, de l'éducation, du sport... Sur l'exploitation du pétrole et du gaz en particulier, le diplomate sénégalais pense que le Qatar peut bel et bien servir d'exemple à notre pays, même s'il « reste convaincu que le Sénégal, du fait de son savoir-faire et son expertise, peut réussir mieux que le modèle qatari ».

Excellence, le parc Al-Bidaa de Doha a ouvert ses portes à l'Exposition internationale d'horticulture à laquelle le Sénégal est le seul pays ouest-africain présent. Quelles sont les retombées que notre pays pourrait attendre de cet événement mondial ?

Un pavillon sénégalais à l'Expo Doha est une belle occasion de mettre en valeur ce que nous avons dans le domaine de l'horticulture au niveau mondial et africain en particulier. Et nous avons une participation distinguée avec les sept tonnes de plantes que nous avons apportées. À cela, il faut ajouter la densité des visiteurs au pavillon et la présence des autorités qataries.

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Après l'ouverture du pavillon, on aura beaucoup plus de visiteurs, car il faut le souligner, cette foire sonne comme un défi pour le Qatar qui est le premier pays au Moyen-Orient à organiser un événement de cette envergure. Du point de vue de l'horticulture, notre pays regorge de beaucoup de particularités. D'ailleurs, c'est ce que l'Asepex (Agence sénégalaise de promotion des exportations) a matérialisé en aménageant un espace vert de 1800 m2. Tous les 80 pays participants pourront tirer des leçons de cette expérience.

Comment se portent les relations entre le Sénégal et le Qatar ?

Les relations diplomatiques entre le Sénégal et le Qatar remontent à 1974 et elles ont continué à se développer jusqu'à l'ouverture de l'Ambassade du Sénégal, en 1999, puis du Qatar, en 2001, avec le grand intérêt des dirigeants des deux pays. D'ailleurs, on pense, en collaboration avec les deux États, à célébrer les 50 ans de collaboration. Ceci va consolider et renforcer encore les liens étroits entre Son Excellence le Président Macky Sall et Son Altesse Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, Émir du Qatar. Le Président Macky Sall est venu trois fois au Qatar et l'Émir aussi a fait le déplacement au Sénégal. Tout cela témoigne d'une très bonne collaboration entre les deux pays.

Plus concrètement, quels sont les principaux domaines de coopération entre Dakar et Doha ?

La coopération entre les deux pays repose sur les accords conclus entre leurs dirigeants respectifs au sein du Comité suprême conjoint tenu à Doha, en 2013, ainsi que sur les accords signés lors de la visite de Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani à Dakar en 2017. Ils tournent autour de la culture et du sport. Le plus important, c'est l'aspect éducation avec le volet « Éducation pour tous », un accord qui est déjà ficelé. Vous n'êtes pas sans savoir que c'est le Qatar qui a fait profiter au Sénégal du poste de vice-président de l'Organisation de la Conférence islamique (Oci).

Pourriez-vous nous citer un exemple de succès diplomatique entre le Sénégal et le Qatar ?

On peut dire que la dernière Coupe du monde est un exemple. Le Ministre sénégalais des Sports de l'époque (Yankhoba Diattara, Ndlr) et le président de la Fédération de football du Qatar, Cheikh Hamad bin Khalifa bin Ahmed Al Thani, ont longuement échangé sur les opportunités de collaboration. En tant que champion de l'Afrique, le regard porté sur notre pays dans le domaine du sport est très positif dans ce pays. En atteste le nombre de joueurs sénégalais qui y résident. Il y a aussi l'aspect éducation et culture, des volets sur lesquels les deux pays sont en train de travailler. Notre pays va commencer, très prochainement, l'exploitation des hydrocarbures.

Exactement ! Dans l'exploitation de ces hydrocarbures, que vous inspire le modèle du Qatar avec ses plus de 30 ans d'expérience ?

Le Qatar est devenu un pays très influent dans le monde. La recette du succès économique qatari repose sur le développement de la filière Gaz naturel liquéfié (Gnl). Les hydrocarbures représentent environ 39 % du Produit intérieur brut (Pib), sans compter l'industrie issue de la pétrochimie, 87 % des exportations (soit 42 millions de dollars), dont 75 % proviennent du gaz et 78 % des recettes budgétaires.

Il faut aussi noter que les réserves de gaz qataries sont extrêmement importantes. Le Qatar est le cinquième producteur de gaz naturel avec 4,5 % de la production en 2020), derrière les États-Unis, la Russie, l'Iran et la Chine. C'est donc une occasion pour nous d'échanger avec les autorités locales sur les possibles collaborations entre nos pays dans ce domaine.

Le Sénégal peut-il copier ce modèle de réussite pour ne pas vivre ce que beaucoup appellent la malédiction du pétrole ?

Je ne pense pas que le Sénégal puisse un jour vivre cela. Nous avons une population responsable et nous connaissons très bien les enjeux liés à l'exploitation du pétrole. Il faut comprendre que pour vivre ces genres de situations, il y a toujours une influence extérieure. J'ai été étudiant ici en 1985. À ce moment-là, ce pays était encore un grand désert. Ils ont réussi à sortir de cette situation en seulement 12 ans. Vu sous cet angle, le Qatar peut bel et bien nous servir d'exemple, même si je reste convaincu que le Sénégal peut réussir plus que le modèle qatari. Nous en avons le savoir-faire et l'expertise.

Quels sont les enjeux internationaux auxquels le Sénégal et le Qatar font face en tant que partenaires ?

Le Qatar et le Sénégal ont beaucoup de points communs. Comme vous le savez, le Qatar joue un rôle de pacificateur dans la région. C'est le même rôle que joue le Sénégal en Afrique pour défendre les intérêts des Africains. Et le Président Macky Sall a toujours oeuvré dans cette quête de la paix en Afrique. D'ailleurs, son passage à la tête de l'Union africaine a été remarquable du fait de ses positions remarquables en faveur du continent. Cela est d'autant plus important que notre pays entame un tournant décisif de son histoire économique avec l'exploitation, très prochainement, du pétrole et du gaz. Il fait l'objet de beaucoup de convoitises par les pays. Et nous savons tous que le Qatar dispose de beaucoup d'expertises dans ce domaine qui pourra énormément nous servir.

Comment les deux pays coopèrent-ils sur les questions mondiales liées aux défis environnementaux et de sécurité ?

Comme je viens de le mentionner plus haut, la position du Sénégal et celle du Qatar lors des sommets internationaux, et même par rapport aux normes internationales, ont toujours été similaires. Les questions environnementales sont au coeur de la politique des deux pays. Et l'Exposition internationale de Doha en est un exemple.

Le Qatar est un pays désertique qui a réussi à faire dompter sa nature et à lutter contre la désertification. Au sortir de cette Expo, les autorités qataries feront des déplacements au Sénégal pour s'imprégner de notre modèle environnemental. À cet effet, nous envisageons des rencontres avec des experts de l'horticulture et des membres de Hassad Food, premier investisseur qatari dans l'alimentation et l'agroalimentaire à l'international et au niveau local, en vue de nouer des partenariats entre les deux pays.

Comment l'Ambassade travaille-t-elle pour encourager les échanges culturels et éducatifs entre les deux pays ?

Il existe un accord culturel et éducatif entre les deux pays. Nous avons beaucoup d'étudiants boursiers qui viennent ici, au Qatar, et étudient dans les grandes universités avec plusieurs filiales qui s'offrent à eux. Il y a la Fondation Qatar pour l'éducation, une organisation à but non lucratif qui les appuie dans ce sens à travers ses domaines d'intervention que sont l'éducation, la science, la recherche et le développement communautaire. Il y a aussi le système français qui est dispensé dans certaines universités, une particularité au Qatar si l'on sait que ce n'est pas le cas dans beaucoup de pays du Moyen-Orient.

Les conditions d'admission dans ces universités ne sont pas très difficiles. L'admission se fait souvent en ligne. Une fois que votre candidature est acceptée, le voyage, l'hébergement, le logement et la nourriture sont pris en charge avec l'État du Qatar.

Y a-t-il, aujourd'hui, de nouveaux projets ou événements prévus en vue de renforcer l'axe Dakar-Doha ?

Oui, très prochainement, vous verrez des coopérations entre les deux pays, surtout dans le domaine de l'investissement. Les retombées de cette Exposition horticole seront ressenties par le Sénégal dans les mois à venir.

Excellence, combien de Sénégalais avez-vous recensé au Qatar et dans quels domaines sont-ils généralement le plus actifs ?

Le nombre de compatriotes vivant ici, au Qatar, n'est pas assez important. Nous sommes seulement 260 Sénégalais à vivre sur le sol qatari. Comme vous le voyez, le Qatar est une presqu'île qui s'étend sur 11 500 km2 et qui, jusqu'à un moment, n'attirait pas beaucoup d'Africains en termes d'émigration. Le plus souvent, on retrouve des ressortissants des pays anglophones comme le Kenya, le Ghana, etc. La plupart des Sénégalais qui vivent ici s'activent dans le domaine du sport, mais on a aussi des étudiants, des ingénieurs, des pilotes et certains qui travaillent dans le privé. Cependant, il faut préciser que le nombre de compatriotes a augmenté après la Coupe du monde de novembre-décembre 2022. Ils viennent donc de plus en plus.

À quels genres de difficultés sont-ils le plus souvent confrontés ?

Ce ne sont pas des problèmes en tant que tels. On a eu des cas de sportifs qui ont perdu leur travail parce que, souvent, ceux qui s'activent dans le sport travaillent aussi dans l'Armée. Donc, si l'État qatari prend certaines décisions, ce n'est pas fortuit. Mais, le Président Macky Sall a réussi, avec le soutien de son homologue qatari, à réintégrer 70 % des sportifs qui avaient perdu leur travail. Ils étaient 27, au total, et les 10 autres ont été accompagnés avec l'aide de l'Ambassade vers d'autres corps de métiers.

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