Afrique: Les projets financés par la branche du secteur privé du Groupe de la Banque mondiale alimentent les conflits armés - Il est temps de réformer le système

L'armée nigérienne patrouille dans le désert du Sahara, ciblant les groupes militants, notamment ISIL et Boko Haram.
analyse

Dans quelle mesure l'investissement privé aide-t-il les pays en développement à réduire les conflits et la violence et à atteindre les Objectifs de développement durable ?

Cette question est très débattue. La plupart des institutions internationales, telles que le groupe de la Banque mondiale, estiment que le problème réside dans l'insuffisance de l'investissement privé. Elles mobilisent donc des ressources publiques pour subventionner et protéger les acteurs du secteur privé dans le but d'accroître considérablement les investissements étrangers directs.

Pendant ce temps, les défenseurs des communautés, du travail et des droits de l'homme - en particulier dans les pays fragiles et touchés par des conflits - ont plutôt tendance à considérer les modèles dominants d'investissement direct étranger comme faisant partie d'une histoire continue d'exploitation des pays en développement.

Pour contribuer à éclairer ce débat, nous avons entrepris une étude approfondie de milliers de projets de laSociété financière internationale(IFC), la branche du Groupe de la Banque mondiale qui s'occupe du secteur privé. Nous nous sommes concentrés sur la période allant de 1994 à 2022.

Nous avons choisi l'IFC parce qu'elle prétend investir pour atteindre le développement. Elle prétend également appliquer les normes les plus élevées en matière de performances sociales et environnementales. En outre, de nombreux autres acteurs privés et publics suivent son exemple en matière de définition des normes. Si l'IFC se trompe, ce serait un bon indicateur de la situation du système mondial au sens large. Nous avons axé notre étude sur la relation entre les projets de l'IFC et les conflits armés, car la violence a un effet négatif évident sur le développement humain.

Les résultats montrent que les projets de l'IFC sont à l'origine d'une augmentation significative des conflits armés dans le monde. Un seul projet provoque en moyenne 7,6 conflits armés supplémentaires dans l'année qui suit son lancement. Ces résultats sont en adéquation avec d'autres grandes études quantitatives qui remettent en question la relation entre l'investissement direct étranger et le développement. Les investissements directs étrangers qui accroissent les conflits violents et rendent le développement presque impossible semblent être la règle, et non l'exception.

Nous concluons que les approches actuelles de l'investissement étranger doivent être réexaminées de toute urgence, en mettant particulièrement l'accent sur le risque de conflit violent.

Notre méthodologie

De nombreux facteurs influencent les conflits violents, notamment l'histoire des relations entre les groupes et entre l'État et la société. L'étude a donc utilisé des analyses économétriques sophistiquées pour isoler l'impact de l'IFC.

Nous avons d'abord géolocalisé les projets de l'IFC et noté les années au cours desquelles ils ont été approuvés. Nous avons ensuite vérifié si les conflits armés avaient augmenté dans la région proche du projet de l'IFC au cours de l'année suivante. Nous avons identifié d'autres facteurs - tels que la présence de groupes politiquement exclus, le PIB, le type de régime ou la taille de la population - qui ont une incidence sur les conflits.

Dans l'analyse, nous avons pris soin de faire correspondre et de comparer une zone de projet de l'IFC avec les zones sans projet de l'IFC qui lui sont le plus similaires. Enfin, nous avons pris en compte et vérifié la possibilité que les conflits proliféraient déjà avant l'arrivée du projet de l'IFC. En excluant ces autres raisons qui peuvent expliquer les conflits, nous avons été en mesure d'établir des relations de cause à effet raisonnables.

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Fait inquiétant, l'étude a révélé que l'augmentation des conflits armés était concentrée dans des projets que l'IFC avait indiqués aux parties prenantes locales et internationales comme présentant des risques environnementaux ou sociaux potentiels limités. Elle a affirmé que ces risques pouvaient être facilement pris en charge par des mesures d'atténuation. Ces mesures d'atténuation semblent être soit inefficaces, soit sous-utilisées. Par ailleurs, il est possible que l'IFC fait un mauvais classement des projets comportant des risques de conflit plus élevés et qu'il ne veut pas le reconnaître ou le rendre public.

Un exemple particulièrement troublant est la campagne de terreur contre les citoyens locaux menée par le gouvernement ougandais pour céder des terres à un client de l'IFC. L'IFC n'a toujours pas donné suite aux plaintes déposées par des activistes en 2019 pour violence sexiste et menaces de représailles et d'intimidation à l'encontre de l'un de ses partenaires de projet, Salala Rubber Corporation au Libéria.

L'étude a également démontré que les projets à forte intensité de capital (c'est-à-dire l'agro-industrie, le pétrole, le gaz, l'exploitation minière et les infrastructures) ont une plus grande propension à causer des perturbations socio-politiques et socio-économiques. Les régions qui reçoivent des projets à forte intensité de capital connaissent, en moyenne, un décès de plus dû à un conflit armé au cours de l'année suivante.

Pas au-dessus de la loi

Ces résultats ne devraient peut-être pas surprendre. Les organisations de la société civile concluent depuis longtemps que l'IFC donne la priorité à ses propres profits et intérêts commerciaux au détriment des "souffrances d'autrui" contribuant ainsi à "diversifier les instruments qui conduisent à l'extraction, la dépossession et au conflit". En 2020, Human Rights Watch a décrit l'IFC comme "étant défaillante sur les recours aux abus commis dans le cadre de projets. Cette affirmation se fondait sur l'étude commanditée par le Groupe de la Banque mondiale lui-même.

Pourtant, la stratégie de l'IFC a consisté à se placer au-dessus de la loi. Elle continue de revendiquer l'immunité souveraine. Elle affirme qu'en tant qu'organisation internationale, elle ne devrait pas être responsable devant les tribunaux nationaux, même à l'égard des parties qu'elle reconnaît avoir lésées.

Elle maintient cette position en dépit des récents rapports faisant état de la complicité de l'IFC dans la dissimulation des abus sexuels commis sur des enfants afin de favoriser ses projets d'investissement.

Il est grand temps que les 186 gouvernements membres de l'IFC exigent la transparence, la responsabilité et la réparation des préjudices causés par l'institution et les acteurs du secteur privé qu'elle finance. D'autres parties prenantes peuvent également jouer un rôle. Les gouvernements qui ont peut-être naïvement compté sur le prestige de la Banque mondiale devraient remettre en question les avantages qu'on leur a dit pouvoir attendre des investissements de l'IFC. Les agences de notation qui classent les obligations de l'IFC comme positives d'un point de vue environnemental, social et de gouvernance devraient remettre en question les bases sur lesquelles ces notations sont faites.

Dans le même temps, peut-être devrait-on accorder plus de crédit aux récents appels du secrétaire général des Nations unies en faveur de la réforme du système financier mondial pour mieux soutenir la sécurité humaine et le développement humain.

Cela pourrait inclure des intermédiaires spécialisés entre l'IFC et des projets sensibles dans des endroits difficiles. Un contrôle local indépendant et renforcé semble nécessaire pour garantir des formes plus inclusives et responsables d'analyse contextuelle et de planification de l'atténuation des risques, de suivi et d'évaluation de l'impact du développement, de gestion proactive des conflits et de réparation accessible pour les préjudices subis. Cela pourrait réduire les conflits violents et permettre davange de tirer parti du potentiel de développement de l'investissement privé dans les pays en développement.

Brian Ganson, Professor and Head, Centre on Conflict & Collaboration, Stellenbosch University

Anne Spencer Jamison, Assistant Professor of International Economics, Government, and Business, Copenhagen Business School

Witold Jerzy Henisz, Vice Dean and Faculty Director, ESG Inititative; Deloitte & Touche Professor of Management, University of Pennsylvania

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