Burkina Faso: Epidémie de dengue - Au coeur des épicentres

Moustique Aedes Aegypti, responsable de la propagation de la dengue.
21 Novembre 2023

A la date du 12 novembre 2023, la dengue a causé plus de 500 morts sur toute l'étendue du territoire national. A Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux épicentres de l'épidémie, les populations de plus en plus touchées par la maladie souffrent le martyre. Dans les CMA de Kossodo, Saaba, Houndé et au CHU Souro Sanou de Bobo-Dioulasso, les agents de santé multiplient les efforts pour vaincre l'épidémie.

Dans la salle B de consultation enfants du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Saaba, Maimouna Sanou est « étalée » sur un matelas posé à même le sol. Couchée près de sa mère, sa main droite sur sa face, la fille de 7 ans se tord toujours de douleurs. Maux de ventre, douleurs abdominales, fortes migraines l'ont éloignée des bancs depuis quelques jours.

Transportée d'urgence de son quartier Djinkouma, commune rurale de Saaba et hospitalisée depuis le 15 novembre 2023, son Test de diagnostic rapide (TDR) est sans équivoque : elle souffre de dengue. « Elle avait de forts maux de ventre et des vertiges lorsque nous l'avons conduite à l'hôpital. Le test de dengue est positif. Placé sous perfusion, elle a toujours mal. Elle pleure et se plaint de douleurs des membres supérieurs », tente de raconter sa mère, Assita Traoré.

Au CMA de Saaba, l'élève de CE1, Maimouna Sanou, n'est pas la seule que le virus de la dengue martyrise. Ce mercredi 15 novembre, le hall du centre de santé est bondé de monde. Si, certains sont assis devant la salle de consultation, d'autres sont en attente de leur TDR. Couchée sous une gigantesque tente aménagée pour la prise en charge des malades de la dengue, les yeux écarquillés, la peau pâle, Zalissa Sawadogo (11 ans), élève en classe de 6e, se tord également de douleurs.

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La voix inaudible, c'est sa mère qui nous relate son calvaire. « Depuis 5 jours, elle souffre de fièvre, maux de ventre, douleurs articulaires...Nous l'avons conduite au CMA. Le test de palu s'est révélé négatif, mais celui de la dengue positif. Elle est sous traitement, son état s'améliore même si, elle se plaint souvent. Elle n'arrive plus à aller à l'école », explique sa mère, Fatoumata Ouédraogo qui ne cesse de la fixer du regard. Dans cette tente, plus d'une dizaine de personnes bénéficient de soins pour se débarrasser de leur mal, la dengue.

Une prise en charge coûteuse

Le TDR vient à compte-goutte. Donc, nous faisons les tests en fonction de la disponibilité. Notre laboratoire fonctionne 24h/24. Si, nous recevons 100 tests, le même jour, cela s'épuise. Pour le personnel, nous sommes deux. Si nous pouvons avoir un renforcement en termes de personnel de laboratoire, cela allait nous aider dans la prise en charge », affirme le technicien biomédical, Joseph Kouaré.

Un tour au CMA de Kossodo, la situation est aussi critique. Joseph Soubeiga, médecin épidémiologiste, directeur technique du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS) de confirmer : « nous avons une situation épidémique qui touche pratiquement toutes les régions, majoritairement les régions du Centre et des Hauts-Bassins. Environ 45 000 cas probables et 511 décès et une létalité d'environ 1% au Burkina ».

Le Médecin- chef du district sanitaire (MCD) de Nongr- Massom, Bertrand Somé, explique que dans son aire sanitaire dans la surveillance épidémiologique, lorsque les agents de santé collectent les informations au niveau des consultations, tous les cas qui les font penser à la dengue sont notifiés. Dans la recherche active des cas, « nous allons vers les registres de consultation dans les formations sanitaires et nous recherchons les cas qui ont pu être probablement des cas de dengue qui sont passés entre les mailles du diagnostic.

Pour la semaine 45 qui vient de finir, sur 1 360 cas suspects, nous avons eu 542 cas confirmés », révèle-t-il. Dandi Yarga en fait partie. Il n'a pas pu échapper aux piqûres des moustiques aèdes qui ont dispatché le virus dans son corps. Les vomissements, la diarrhée, des douleurs articulaires, difficultés respiratoires...ont fini par le terrasser. Le 13 novembre, il s'effondre. Inconscient, il est transporté d'urgence de Toudweogo (environ 10 km) dans une ambulance au CMA de Kossodo. Hospitalisé depuis trois jours, son état est passé de critique à mieux.

Assis sur son lit, l'air extenué, il lâche : « Ma respiration se coupait souvent. J'ai fini par perdre connaissance et je ne sais pas comment, je suis arrivé dans cet hôpital. C'est grâce à la prise en charge avec des sérums et des comprimés, que je me sens mieux ». A proximité de Dandi Yarga, Chantal Kondombo, résidant à Nioko 2, partage la même peine. « Bombardée » de perfusions, elle arrive désormais à marmonner quelques mots. Après avoir « englouti » 11 poches de sérum, du Perfalgan, elle dit se sentir bien.

Mais, le hic, les soins lui ont coûté presque une « fortune ». « La prise en charge n'est pas à la portée de tous. J'ai bénéficié de la gratuité du TDR, mais, je suis à presque 100 000 F CFA de dépenses dans les produits. Comme c'est une épidémie, l'Etat doit subventionner les soins. Sinon certains malades qui meurent, ce n'est pas à cause de la maladie, mais par manque de moyens. Un patient qui vient avec 50 000 F CFA, cette somme ne pourra pas assurer sa prise en charge », s'indigne-t-elle.

Dofini Sinkondo qui comptabilise 11 jours au chevet de son neveu au service des maladies infectieuses, partage son avis. « C'est une maladie très dangereuse. Depuis 11 jours, je suis avec mon neveu. Il est conscient, cela fait trois jours maintenant. Il vomissait du sang. Après 11 jours de traitement, il saignait encore du nez. A ce jour, nous avons dépensé près de 200 000 F CFA. L'Etat doit voir comment subventionné le traitement », plaide M. Sinkondo, rencontré, le 17 novembre au CHU Souro Sanou de Bobo-Dioulasso.

Plus de 50% de patients hospitalisés

Venu de Bereba, à environ 30 km de Houndé, au chevet de son épouse, Cheick Sanou garde espoir qu'elle recouvrera la santé. En plus d'être testée positive à la fièvre typhoïde, le virus de la dengue n'a pas épargné Mme Sanou. Couchée sur le flanc, après 7 jours

d'hospitalisation, elle ne cesse de se tordre de douleurs. « Dans notre village, son TDR a confirmé qu'elle a le paludisme », indique-t-il.

Internée au CMA de Houndé, pour cause de paludisme, trois jours plus tard, elle est autorisée à regagner son domicile. A Bereba, contre toute attente, elle rechute. « Comme son état ne s'améliorait pas, nous sommes revenus au CMA. Ici, son TDR dengue est positif avec un taux de 8%. Sa température peut monter au-delà des 37°. Elle crie souvent de douleurs, car, elle a mal partout. Et ses vomissements ne n'arrêtent pas.

Il faut que le gouvernement trouve une solution pour éradiquer cette maladie. Je suis très inquiet parce qu'elle a perdu connaissance aujourd'hui avant de reprendre ses esprits », relate Cheick Sanou. « A ce jour, nous n'avons pas de rupture de TDR, ni de médicaments. Nous avons beaucoup d'affluence. Plus de 70% des patients hospitalisés, ce sont des cas de dengue », confirme le responsable des activités cliniques du CMA de Houndé, Alliance Ramdé.

Au CMA de Do, au secteur 22 de Bobo-Dioulasso, la quasi majorité des patients souffrent aussi de dengue. « Nous recevons une dizaine ou une vingtaine de patients par semaine pour hospitalisation. Mais, la tendance est à la baisse pour les cas compliqués », informe le responsable de la médecine hospitalisation, surveillant de l'unité de soins au CMA de Do, Drissa Lougué. Dans la salle d'hospitalisation, nous tentons d'arracher quelques mots à Alice Sanou.

Visiblement affaiblie par la maladie, elle arrive à peine à prononcer quelques mots. « J'ai des migraines et des maux de ventre. Je suis là, depuis trois jours... », s'efforce-t-elle de dire. « De quel mal souffres-tu ? », demandons-nous. Venue du secteur 18, Alice Sanou est essoufflée. Elle ne pourra pas dire plus.

Assise à son chevet, c'est sa soeur cadette, Caroline Sanou de dire : « depuis trois jours que nous sommes là, elle souffre énormément ». Selon le technicien biomédical, surveillant de l'unité technique au CMA de Do, Saidou Fotoré, par jour, environ 100 tests TDR de dengue sont réalisés. « Actuellement, il y a eu une augmentation. Avant, nous réalisons environ la moitié.

Eviter l'automédication, un danger

Présentement, nous avons beaucoup d'affluence parce qu'à partir de 3 heures ou 4 heures du matin, des patients sont déjà en rang et ils attendent le début des prélèvements. En termes de ravitaillement des actifs, il n'y a pas de souci. Les tests sont disponibles et gratuits. Actuellement, nous sommes à un taux de positivité d'environ 50 % », déclare-t-il.

Au service des maladies infectieuses du CHU Souro Sanou, il y a toujours des patients qui viennent grabataires à cause des retards de consultation, de l'utilisation des médicaments phytotoxiques, d'après Pr Jacques Zoungrana, agrégé en maladies infectieuses.

« Certains malades qui ne sont pas totalement sensibilisés de ne pas utiliser des médicaments contre- indiqués au cours de la dengue continuent à le faire et nous reviennent avec des complications surtout avec l'hémorragie et d'autres pathologies comme des antécédents, des cardiomiopathies, l'hypertension, le diabète et cela aggrave leur situation », regrette-t-il. C'est le cas de Germain Eliou (25 ans).

Transporté d'urgence en ambulance au CHU Souro Sanou, il a failli passer de vie à trépas. Tremblotant, il a du mal à s'exprimer. Depuis 10 jours, il tente de récupérer des forces. Sa tante essaie de lui faire avaler quelques tranches d'orange. Difficile pour lui de les avaler. « Je vomis souvent du sang. On m'a demandé de boire et manger beaucoup de jus et de fruits. Mais ça commence à aller... », dit-il.

« Beaucoup de patients ont des complications liées, entre autres à l'automédication ou à la phytothérapie, que les gens consomment de façon abondante et cela crée des problèmes de complications au niveau rénal, au niveau hépatique », précise le directeur technique du CORUS, Joseph Soubeiga. Pr Jacques Zoungrana de confirmer : « Nous continuons d'enregistrer de nombreux décès.

Car, nous constituons la dernière pyramide sanitaire de la prise en charge et nous continuons de recevoir les cas compliqués surtout. Nous avons 40% à 50% des patients avec des cas compliqués ». A ses dires, plusieurs complications sont liées à l'automédication, car, lors de la prise en charge, nous cherchons à savoir comment s'est installée cette complication surtout l'hémorragie, ou une hyper transaminamie... « Et, nous nous rendons compte que ce sont des patients qui ont utilisé des médicaments contre-indiqués et d'autres des décoctions et des produits que nous ne connaissons pas. Cela contribue à avoir un impact sur les patients », soutient Pr Zoungrana.

« Dans la région, nous sommes à environ 180 décès. Nous avons eu malheureusement 4 décès dus à l'automédication. Lorsqu'on regarde les statistiques, nous nous rendons compte que nous avons beaucoup d'automédication, beaucoup de prises de médicaments non pharmaceutiques, des tisanes... En plus, les jeunes en meurent beaucoup », déplore le responsable des activités cliniques du CMA de Houndé, Alliance Ramdé.

La réponse épidémiologique

Selon Joseph Soubeiga, le ministère de la Santé a déclaré la gratuité des TDR au niveau des centres médicaux, des CMA, des hôpitaux et des hôpitaux universitaires. « Actuellement, nous n'avons pas un problème de disponibilité des TDR pour faire des tests de diagnostic rapide dans ces centres. Nous avons un stock suffisant au niveau national que nous envoyons au niveau périphérique en fonction de la demande des structures de santé.

Ces TDR sont gratuits au niveau des centres de santé pour pouvoir faire le diagnostic précoce et orienter le patient en fonction de son état de santé vers des structures supérieures ou directement le prendre en charge dans ces structures où le test a été réalisé », insiste-t-il. Il ajoute : « dire qu'il n'y a pas de traitement contre la dengue, ce n'est pas juste. Si, on déclare une personne atteinte de dengue, le traitement est fonction de son état clinique.

Il n'y a pas de traitement directement sur le virus, mais il y a des traitements que nous procurons aux patients qui permettent d'éviter la survenue des complications. Et le plus souvent, les décès de la dengue, ce sont des décès de complications. Les traitements symptomatiques que nous donnons dans les centres de santé permettent d'éviter la survenue des formes graves et d'éviter, en fait, l'évolution vers le décès ».

Le directeur de la protection de la santé de la population, Sidwaya Ahmed Ouédraogo, affirme que le gouvernement burkinabè fournit beaucoup d'efforts pour que les malades puissent bénéficier de soins appropriés. Mais, aux CMA de Kossodo, Saaba, Houndé et au CHU Souro Sanou de Bobo-Dioulasso, les centaines de malades n'ont qu'un voeu : que les agents de santé les aident à vite se débarraser de la dengue.

La lutte anti-vectorielle actionnée

Pour contrer la maladie, le ministère de la Santé a entamé la pulvérisation intra domiciliaire (2 129 concessions) dans les villes de Bobo-Dioulasso (393) et de Ouagadougou (1736), la pulvérisation spatiale (238 espaces publics) dans les villes de Bobo-Dioulasso (104) et de Ouagadougou(134), des sorties de destruction des gites larvaires par les volontaires nationaux et agents de santé à base communautaire dans la riposte communautaire, l'organisation des journées de salubrité publique par les autorités administratives, le renforcement des compétences et équipement des agents conduisant les activités de pulvérisation. Toute cette batterie d'actions vise à freiner la propagation de la dengue.

A.A.N

La polémique des moustiques génétiquement modifiés...

Dans l'opinion populaire, l'épidémie de dengue est une résultante des lâchers d'environ 6 400 moustiques génétiquement modifiés en juillet 2019 à Bana, Pala et Sourkoudiguin à quelques kilomètres de Bobo-Dioulasso, par le projet Target Malaria. Mais, cette assertion est battue en brèche par de nombreux professionnels de la santé. « Les informations nous reviennent que ce sont les moustiques génétiquement modifiés qui sont la cause de la dengue. Ces informations ne sont pas seulement véhiculées à Houndé mais partout. La population en parle depuis Ouagadougou jusqu'à Bobo-Dioulasso. La dengue est provoquée par le moustique aèdes. Par rapport aux moustiques lâchés à Bana, nous savons que cette localité est très loin de Ouagadougou. Donc, si ce sont ces moustiques qui sont la cause de la dengue, c'est sûr que la population de Bana allait avoir beaucoup de problèmes. La dengue n'a pas de lien avec ces moustiques », affirme le responsable des activités cliniques au CMA de Houndé, Alliance Ramdé.

A.A.N

Des TDR gratuits

Pour lutter contre l'épidémie, le gouvernement a décidé de la gratuité des TDR dengue. Ceci, afin de diagnostiquer la maladie pour assurer un traitement rapide aux malades. Dans tous les centres de santé parcourus à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les patients ont confirmé l'effectivité de cette gratuité. Néanmoins, ils souhaitent une subvention du traitement qui s'avère coûteux pour de nombreuses bourses.

A.A.N

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