Les affrontements entre le JASDJ, le véritable de nom de Boko Haram, et l'Iswap affilié à l'État Islamique sont réguliers ces dernières années pour contrôler les zones autour du lac Tchad, à cheval sur le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad. Ce week-end, l'Iswap s'en est pris à des embarcations du JASDJ, faisant une soixantaine de morts.
Selon un chef de milice anti-jihadiste de la région, les combats ont commencé dans l'après-midi de vendredi et auraient duré jusqu'au samedi matin.
Vers 16h vendredi, des membres de l'État islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap) ont tendu une embuscade à plusieurs bateaux de JASDJ en transit. L'attaque a lieu sur l'îlot de Kaduna Ruwa, dans le lac Tchad. Neuf embarcations de JASDJ et toutes les personnes qui se trouvent à leur bord, auraient coulé.
Selon un autre chef de milice anti-jihadiste, au moins 60 personnes seraient mortes, dont des civils enlevés deux semaines plus tôt. Mais aucun corps n'a été pour le moment retrouvé et les autorités locales n'ont pas confirmé ce bilan.
Ces derniers mois, les attaques entre les deux groupes jihadistes se sont en tout cas multipliées. Pour un observateur de la région, la relative accalmie des affrontements entre l'armée camerounaise et l'Iswap ou le JASDJ tenait d'ailleurs moins de leur affaiblissement qu'aux luttes intestines qui les déchirent... Et qui pourraient à terme les affaiblir durablement.
RFI : Quel est l'état des forces jihadistes en présence dans la zone, que ce soit pour Boko Haram ou l'Iswap ? Cela représente combien d'hommes ?
Vincent Foucher : Alors, on a effectivement toujours ces deux groupes. Boko Haram, que je préfère appeler le JASDJ, qui est son nom officiel. Et puis, l'Iswap, la province de l'État islamique en Afrique de l'Ouest, affilié à l'État islamique. Ils sont en confrontation depuis 2021 et l'offensive de l'Iswap, qui avait conduit à la mort d'Abubakar Shekau, le leader historique de JASDJ.
Pour ce qui est du nombre de membres, c'est extrêmement difficile d'avoir des comptes précis. Il y a eu des défections, vers le gouvernement, ainsi que d'un groupe à l'autre, et cela, dans les deux sens. D'ailleurs, il y a eu beaucoup de morts aussi dans les combats internes, plusieurs centaines au minimum.
Et puis par ailleurs, on est dans des organisations où il y a des combattants permanents, mais il y a aussi toute une série de gens qui sont mobilisés ponctuellement. Donc c'est très difficile d'avoir des chiffres sérieux et il n'y en a aucun qui a été proposé récemment par des sources utilisant une méthodologie précise. On peut estimer qu'il y a un millier de combattants de part et d'autre.
On a vu une multiplication des affrontements entre ces deux groupes ces derniers mois. Comment l'expliquer ?
L'Iswap a fait une grosse attaque en 2021 et pris la Sambisa, qui était un peu la base historique de JASDJ, poussant Shekau à se tuer. Il y a eu des affrontements tout au long de l'année 2022. Et en fin d'année 2022 et début d'année 2023, le JASDJ a fait une poussée assez inattendue sur le lac en prenant contrôle d'une bonne partie du lac Tchad. Cela a poussé l'Iswap à se redéployer en dehors du lac Tchad, vers l'est du Borno, au Nigeria. On observe donc que les affrontements continuent, dans des sortes d'aller-retour, de poussées entre le JASDJ et l'Iswap.
L'objectif affiché est de contrôler davantage de territoire à chaque fois ?
Il y a des enjeux territoriaux effectivement importants, notamment dans le contrôle du lac. Ce dernier est une zone très riche sur le plan agricole, pour l'élevage, mais aussi pour la pêche.
C'est aussi majeur, car Iswap avait mis en place un système fiscal qui dépendait en bonne partie de l'accès aux ressources du lac. Le groupe est donc en train de voir comment transformer son économie et s'adapter pour continuer à gagner de l'argent.
On peut donc imaginer qu'ils s'affrontent pour garder le contrôle de la zone.
Existe-t-il des échanges entre ces deux groupes ? Autre que lors d'affrontements armés ?
Dès 2021 et la mort de Shekau, il y avait eu des conversations et au début, toute une partie de JASDJ s'était ralliée à l'Iswap. Avant de faire défection vers le gouvernement ou de reprendre la lutte contre le groupe affilié à l'EI.
Il y a donc des échanges et même à plusieurs reprises des discussions pour des cessez-le-feu, mais ils n'ont jamais tenu. Je pense que la tension très forte, la contradiction fondamentale, qui existe entre les deux groupes sur leur mode opératoire rend un accord très difficile à obtenir.
Qu'en est-il des civils dans la zone ? Sont-ils pris pour cibles et victimes des affrontements entre les deux groupes ?
Ce qui est intéressant, c'est que les divergences très fortes entre le JASDJ et l'Iswap portaient notamment sur le traitement des civils. L'Iswap estimait dans une logique modérée qu'il fallait travailler avec les civils musulmans, mais aussi les protéger et les administrer. Au contraire, le JASDJ considérait que toutes les personnes qui n'avaient pas rejoint leur groupe étaient des païens, des renégats. Et cela lui donnait le droit de les attaquer, les réduire en esclavage ou bien les capturer et les rançonner.
Et aujourd'hui, on observe bien une intensification des violences contre les civils dans les zones contrôlées par le JASDJ. Et en cas de renforcement du groupe, je crains que ces violences n'augmentent dans les prochains mois.