Dans la foulée de la célébration de la victoire de Joseph Boakai, un drame est survenu, le 20 novembre dernier à Monrovia, la capitale du Liberia, où un véhicule a fini sa course folle dans une foule de manifestants en liesse. Relatant les faits, des sources parlent d'un chauffeur inconnu, qui roulait à bord d'un bolide sans plaque d'immatriculation, phares éteints et qui aurait foncé dans la foule. D'autres indiquent que le véhicule était garé non loin du lieu de rassemblement, et que le conducteur aurait fait des jeux de phares avant de foncer dans la foule.
Le bilan provisoire fait état de trois morts et d'une vingtaine de blessés graves qui comptent tous parmi les supporters du président nouvellement élu, Joseph Boakai. Ce dernier avait officiellement été déclaré vainqueur quelques heures plus tôt par la Commission électorale nationale avec 50,49% des voix, contre 49,36% pour le président sortant, George Weah, à l'issue du dépouillement de l'ensemble des bulletins de vote du second tour de la présidentielle du 14 novembre dernier.
En pareilles circonstances, les susceptibilités sont vite apparues
Une tragédie qui vient jeter une ombre sur une élection présidentielle unanimement saluée par la communauté internationale pour sa bonne tenue et qui ne manque pas d'interroger au regard des circonstances du drame. S'agit-il d'un accident survenu dans l'euphorie de la victoire après que le chauffeur a perdu le contrôle de son véhicule ? Ou bien s'agit-il d'un acte délibéré comme le subodorent des partisans du nouvel élu dont le parti n'a d'ailleurs pas tardé à réagir en appelant les autorités à mener une enquête complète et transparente afin d'établir les causes du drame ?
Bien malin qui saurait répondre à ces questions. En tout cas, pour le Parti de l'unité (UP) qui vient de conquérir le pouvoir d'Etat, « la Justice doit être rendue non seulement pour les victimes et leurs familles, mais également pour l'ensemble de la communauté, alors que nous visons à instaurer la confiance, la stabilité et le respect de l'Etat de droit au Liberia ». De là à voir derrière cet accident malheureux, une attaque ciblée, il y a un pas que certains partisans du vieil opposant n'ont pas hésité à franchir.
Du reste, en signe de deuil et de solidarité, le Parti de l'unité, en intelligence avec son leader de président nouvellement élu, a décidé de suspendre tous les rassemblements de célébration jusqu'à nouvel ordre. Une décision aussi compréhensible qu'elle est empreinte de cette sagesse africaine qui proscrit les effusions de joie dès lors qu'un incident dramatique survient lors de la célébration d'un événement heureux. Car, en pareilles circonstances, les susceptibilités sont vite apparues. C'est pourquoi il convient de laisser la Justice faire sereinement son travail en évitant toute récupération politique susceptible de dresser les Libériens les uns contre les autres. Le Liberia n'a pas besoin de ça.
Les mauvaises langues ne manqueront pas de voir derrière cette tragédie, les signes prémonitoires d'un difficile règne à venir
Surtout après avoir donné une si belle leçon de maturité démocratique au reste du monde à travers ces élections qui marquent un tournant dans l'histoire du pays qui s'apprête à vivre sa deuxième dévolution pacifique du pouvoir depuis la fin de la transition en 2006. Et dans l'élan de solidarité envers les familles des victimes, le président Georges Weah serait bien inspiré de ne pas passer l'événement sous silence en montrant de l'empathie envers les familles des victimes. Et il ferait davantage montre d'élégance politique s'il se mettait en tandem avec son challenger du second tour pour leur traduire sa compassion et celle du peuple libérien.
La symbolique serait d'autant plus forte que ce geste, à lui seul, sonnerait comme un appel à la retenue, qui pourrait valoir son pesant de paix et de cohésion sociale dans ce pays qui continue de panser ses plaies et qui cherche à se reconstruire sur les ruines des guerres civiles qui l'ont déchiré pendant plus d'une décennie. Cela dit, avec ce drame qui vient gâcher la fête de sa victoire, le président Joseph Boakai ne pouvait pas entamer son mandat sous de pires auspices. Et ce, dans une Afrique où les superstitions et autres croyances occultes restent encore très prégnantes.
Pour le reste, tout le mal qu'on lui souhaite, c'est de briller par une gouvernance des plus vertueuses, qui réponde aux aspirations de son peuple. Cela, à l'effet de conjurer le mauvais sort, mais aussi et surtout de faire taire les mauvaises langues qui ne manqueront pas de voir derrière cette tragédie, les signes prémonitoires d'un difficile règne à venir. Des langues qui ne manqueront pas, le cas échéant, d'établir des liens de cause à effet entre ce drame et le règne du septuagénaire nouveau locataire de l'Exécutive Mansion, si les Libériens venaient à vivre le calvaire sous son magistère, durant le sextennat qui s'annonce. C'est aussi cela l'Afrique ! Et le président Joseph Boakai devra aussi faire avec.