Ile Maurice: 14e mois, Glenryck et sardines sur la table

22 Novembre 2023

Le leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, voulait savoir du ministre du Travail Soodesh Callichurn si le gouvernement compte légiférer pour que tous les employés touchant moins de Rs 50 000 mensuellement, qu'ils soient du secteur public ou du privé, aient exceptionnellement droit à un 14e mois comme bonus de fin d'année pour compenser l'inflation subie depuis deux ans. Et si le gouvernement aidera les entreprises en ce sens.

La réponse de Soodesh Callichurn : ni oui, ni non. Il renvoie la balle aux employeurs et aux syndicats d'employés en affirmant que des consultations auront lieu en décembre. «On décidera s'il faut payer un 14e mois en décembre ?» s'est interrogé Xavier-Luc Duval. Au ministre Callichurn de dire qu'en fait, les consultations concerneront le montant de la compensation, pas du 14e mois.

Un peu d'histoire...

Pour ne pas déroger à une habitude bien ancrée depuis 2019, Soodesh Cal- lichurn avait précédé sa réponse de l'historique - pas trop longue cependant - du paiement du 13e mois. Référence a été faite aux «barons sucriers» qui ne voulaient au début pas payer le 13e mois en dépit de la hausse du prix du sucre sur le marché mondial mais qui se sont pliés à la fin face aux manifestations des travailleurs de l'industrie sucrière. Et que les autres secteurs ont eu droit eux aussi à un 13e mois lorsque «in 1975, the then government decided that a 13th month salary/ bonus would have to be paid to every employee».

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«The then government», lui rappellera Xavier Du- val, c'était la coalition PTr-PMSD et plus particulièrement feu sir Gaëtan Duval qui avait présenté un projet de loi en ce sens. Soodesh Callichurn, lui, soulignera que c'est le «MSM-led governement» qui avait légiféré pour que le paiement du 13e mois soit obligatoire chaque année, passant sous silence le partenaire MMM de l'époque. Sinon, le ministre du Travail s'est contenté d'énumérer à plusieurs reprises les différentes mesures de soutien aux travailleurs et consommateurs prises par le gouvernement. À cela, Xavier a déclaré : «Ce n'est pas possible que chaque semaine on nous rebatte les oreilles avec ces mesures de soutien sans parler du revers de la médaille qu'est l'inflation. Ou que l'on nous parle de 2010 ou 2011 alors que ma question concerne 2023.» Tout en faisant remarquer à Callichurn que le ministre des Finances en 2010 et 2011 dans le gouvernement travailliste était «votre boss», c'est-à-dire Pravind Jugnauth.

«Bond» de 250 % des bénéfices

Lorsque le ministre du Travail viendra sur l'éventualité du paiement d'un 14e mois pour 2023, il parlera de consultations mais tout en introduisant un élément de doute en ajoutant, «pour nous assurer de sa soutenabilité». Si l'on comprend bien, ce 14e mois dépendra de la bonne volonté des employeurs mais aussi de l'état de l'économie. À cet effet, Duval attirera l'attention du ministre sur les récents chiffres publiés dans la presse et qui montrent que pour les top 20 entreprises du privé, les bénéfices ont fait un grand bond de 80 % comparé à 2022 et de 250 % comparé à 2019. Et aussi sur les Rs 25,6 milliards supplémentaires que la MRA a encaissées pour 2022-2023, sur les «énormes» taxes engrangées par l'État sur le carburant, sur les revenus du Trésor qui ont connu une hausse de Rs 72 milliards et qui augmenteront encore de 17 % dans la prochaine année financière. Le leader de l'opposition voulait ainsi démontrer que les entreprises privées ont de quoi payer un 14e mois et pour celles qui ne le peuvent pas, le gouvernement a les moyens de leur venir en aide.

Si Callichurn n'a pas trop élevé la voix et laissé parler Xavier-Luc Duval, en revanche, le speaker a hurlé : «Put your questions. It's Question Time», à chaque fois que le leader de l'opposition appuyait sa demande par des chiffres. Ses interruptions étaient si pressantes que Duval perdra pendant un bref moment son calme habituel en criant lui-aussi que «c'est la première fois de [ma] vie que [je] vois une Question Time comme cela».

Sardines et Glenryck

Xavier-Luc Duval s'est appesanti sur l'inflation qui frappe les consommateurs. Et a donné des exemples de produits de base dont les prix ont augmenté : 68 % pour la boîte de thon, 67 % pour l'huile Rani, 43 % pour le dentifrice Colgate, 48 % pour la savonnette Palmolive et 56 % pour le Glenryck. «Même les prix des sardines ont grimpé. Mais peut-être que vous n'en consommez pas, Monsieur le Président.» Xavier-Luc Duval a demandé au ministre s'il est au courant du fait que le sondage Synthèses-l'express démontre que pour 82 % des personnes interrogées, c'est le pouvoir d'achat et l'inflation qui les préoccupent le plus. Et que 91 % de la population sont d'avis que le gouvernement gère mal, voire très mal, la stabilité des prix.

Sans compter le fait que les intérêts bancaires ont augmenté, a continué le leader de l'opposition, ce qui provoque des déboursements additionnels de Rs 2 000 à Rs 4 000 par mois. Il a parlé de la dépréciation de la roupie, voulue par le gouvernement selon lui, et qui fait grimper les coûts des importations pour en même temps rapporter des windfall gains à des entreprises.

Au final, le leader de l'opposition n'a pas obtenu une réponse claire du ministre sur l'éventualité du paiement d'un 14e mois. Soodesh Callichurn a toutefois laissé entendre que le salaire minimal sera revu et payable à partir de janvier 2024. Les élections n'auront donc probablement pas lieu cette année.

Des syndicalistes réagissent

Narendranath gopee : «encore des 'delaying tactics'...»

Pour Narendranath Gopee, président de la Federation of Civil Service and Other Unions, le paiement du 14e mois serait une très bonne chose pour les travailleurs. «Nous l'avons déjà réclamé par le passé et c'est bien que le sujet soit remis sur le tapis.» Concernant les consultations évoquées par le ministre Soodesh Callichurn, le syndicat souligne ne pas comprendre sa logique. «Pour légiférer le 13e mois, les consultations n'étaient pas obligatoires, pour- quoi le faire pour le 14e mois ? Ce sont encore des delaying tactics utilisées par ce gouvernement.» Il affirme qu'il se peut que le ministre du Travail «tâte un peu le terrain et utilise ce 14e mois comme carte politique dans un futur proche en vue des prochaines élections. J'ai l'impression que ces élections ne sont d'ailleurs pas très loin».

Ashok subron : «il faut plus qu'un 'one-off'»

Ashok Subron, membre de Rezistans ek Alternativ et militant syndical, souligne que le 14e mois aiderait définitivement les familles mauriciennes. Que ce soit pour profiter des fêtes de fin d'année mais aussi pour préparer la rentrée scolaire des enfants en janvier prochain. «Mais il aurait été plus souhaitable qu'il y ait l'intégration de Rs 2 000 mensuellement au salaire de tous ceux qui touchent moins de Rs 25 000 et non pas qu'un one-off, le 14e mois.»

Radhakrishna Sadien : «il faut se pencher sur les paramètres»

Le président de la Government Services Employees Association, Radhakrishna Sadien est d'avis qu' «en soutenant qu'il y aura des consultations, le ministre Callichurn laisse cette option du paiement d'un 14e mois ouvert. Nous ne rejetons pas cette idée. Mais il faut se pencher sur les paramètres». D'expliquer que plusieurs compagnies ont bénéficié du soutien du gouvernement en période de Covid et maintenant qu'elles font de gros profits, «qu'elles jouent également le jeu en récompensant ceux qui ont contribué à cela, soit les travailleurs». Pour le syndicaliste, il faut aussi en parallèle améliorer le pouvoir d'achat et réduire l'écart entre les salaires des travailleurs en général.

Deepak Benydin : «cela soulagerait le petit peuple»

Le président de la Federation of Parastatal Bodies and Other Unions, Deepak Benydin, est aussi en faveur du fait qu'un 14e mois soit payé à tous les employés. «Il y a des indications claires selon lesquelles plusieurs secteurs comme le tourisme ou encore le textile ou encore celui de la santé entre autres, font de gros progrès économiques. Plusieurs compagnies affichent de gros chiffres d'affaires. Elles ont ainsi la capacité de payer ce 14e mois.» D'ajouter qu'il «faut reconnaître que plusieurs Mauriciens sont endettés et que le 14e mois viendrait soulager le petit peuple, sans aucun doute...»

Arvin boolell : «Payez !»

«Que les énormes bénéfices engrangés en 2023 soient redistribués aux travailleurs.» L'opposition s'en est prise hier au gouvernement mais aussi au secteur privé. C'était lors de la conférence de presse de l'opposition après la «Private Notice Question». Xavier-Luc Duval, Reza Uteem et Arvin Boolell ont ainsi rappelé que les Rs 80 milliards de la Banque de Maurice ont été mises à la disposition de grandes entreprises à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC). Le leader de l'opposition soulignant que quand il s'agissait de se serrer la ceinture, toute la population a été appelée à le faire durant le Covid. «Alors que quand les profits par milliards sont là, ces entreprises les gardent pour elles.» Xavier-Luc Duval et Reza Uteem ont également parlé des BMW, Mercedes, Porsche, Jaguar des CEOs qui sillonnent les rues.

Arvin Boolell met en garde : «Nous ne demandons pas d'imposer des 'windfall gains taxes' aux entreprises avec des superprofits. Qu'elles payent le 14e mois. Un point c'est tout.» Le député travailliste rappelle que c'est le ministre des Finances lui-même qui s'était vanté au Parlement en affirmant que «grâce à la stratégie de croissance du gouvernement, l'économie s'est redressée». Et de citer l'express du 20 novembre qui parlait de 37 % d'augmentation des profits d'un seul groupe. «Les consommateurs qui subissent l'inflation n'ont pas bénéficié d'helicopter money' eux.» Tout en rappelant que les petites et moyennes entreprises non plus n'en ont pas profité. «Que le gouvernement prenne ses responsabilités vis-à-vis de ces petites entreprises.» Reza Uteem a lui aussi cité le ministre Padayachy qui avait parlé de reprise économique. «Alors que les consommateurs payent non seulement les produits de base plus chers mais aussi les médicaments.» Pour le député du MMM, la hausse des taux d'intérêt ne concerne pas seulement les emprunts mais aussi les produits électroménagers achetés à crédit. «Le pouvoir d'achat a ainsi été fortement réduit.» Et de rappeler que le gouvernement dispose de plusieurs fonds comme ceux concernant des projets qui n'ont pas été exécutés. Xavier-Luc Duval de se demander: «Que fera-t-on de cet argent ? Shopping à Dubaï, projets 'éléphants blancs', gaspillage de nourriture dans les hôpitaux ?»

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