Ile Maurice: «Maurice a impérieusement besoin d'un plan de transition énergétique et de décarbonation»

22 Novembre 2023

Ce Mauricien de nationalité française s'intéresse au sort de son pays d'origine face aux conséquences du changement climatique. Il est pessimiste par rapport aux initiatives prises par les entreprises depuis des décennies et regrette que celles-ci n'aient pas débouché sur la transformation, et la décarbonation de leur «business model» ainsi que l'ouverture de marchés verts. Il demeure cependant très positif sur le rôle que Maurice peut jouer dans ce domaine.

Bon nombre d'entreprises prennent de plus en plus les devants pour repérer ce qu'elles doivent faire pour atténuer les effets de leurs activités sur l'environnement. Quel est votre constat ?

Malgré des études récentes, sérieuses et publiques qui montrent que des entreprises cultivent l'écoblanchiment (greenwashing), elles pratiquent délibérément le ralentissement de l'application de leurs plans de durabilité. En effet, elles ont toutes des programmes verts, prêts à sortir du tiroir en cas de questionnement, mais ceux-ci sont inefficaces. Les choses n'ont évolué que très peu depuis 30 ans face aux alertes incessantes des milliers de scientifiques réunis autour du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Pire, la situation de la planète se détériore chaque année. Du côté des politiques, le comportement n'est pas plus exemplaire. La majorité des pays se contente de pallier les urgences les moins contraignantes pour un impact médiatique maximal au gré du rapprochement des échéances électorales ou de la pression des organisations écologiques.

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Quant aux citoyens, malgré leur attachement à la cause de la planète et leur écoeurement face aux nombreux effets délétères du réchauffement climatique, ils se sentent impuissants, contraints par leur survie économique, et sont finalement peu efficaces au point que ce sont les plus jeunes qui crient au loup. Alors, que faire pour sortir du green Bollywood et agir avec impact dans le cadre d'une visée stratégique ? Comment attaquer ce problème complexe ? Les uns ont-ils finalement raison de penser que Maurice ne peut pas grand-chose face aux enjeux du réchauffement climatique ?

La réponse à de telles questions n'est-elle pas dans le camp des scientifiques et, dans une moindre mesure, celui des entreprises ?

Qu'ont fait les scientifiques depuis plus de 30 ans sinon lancer des alertes qui font de beaux sujets médiatiques ? Mais la méthode ne prend pas assez vite, la dégradation de la situation s'accélère ; et oui, ce n'est pas à eux d'agir sur le fond. Qu'ont fait les entreprises depuis des décennies ? Pour l'essentiel, de la réduction des coûts au nom du climat, du marketing médiatique et du greenwashing au lieu d'investir dans des programmes de transformation, de décarbonation de leur business model, d'ouverture de marchés verts. Mais ils diront qu'ils ont intérêt à conserver le statu quo si les clients, la compétition et la loi ne bougent pas suffisamment. Qu'ont fait les politiques depuis plus de 30 ans ? Trop peu sur un sujet si brûlant eu égard à des enjeux colossaux ; trop peu sur les décisions stratégiques ; beaucoup trop sur le saupoudrage de mesures médiatiques, qui ne répondent pas aux problèmes de fond. Qu'ont fait les gens depuis 30 ans ? Sinon s'indigner sans pour autant se radicaliser suffisamment afin que les décideurs s'activent, se détachent du sujet au point de laisser la place aux jeunes pour des combats auxquels ils ne sont pas toujours préparés, au risque de se faire politiquement récupérer.

Quel est, selon vous, le sort que le débalancement climatique réserve à Maurice ?

Maurice ne sera pas épargné par les multiples conséquences du drame climatique. Les prières ne suffiront pas. Depuis début 2023, dans un silence médiatique assourdissant, nous apprenons que les records quotidiens de température de l'air à la surface de la Terre sont battus. Dans la foulée, l'Organisation météorologique mondiale confirme que le mois de juin 2023 a été le mois le plus chaud depuis le début des mesures enregistrées et je vous épargne l'alerte catastrophique qui vient d'être annoncée sur l'accélération de la fonte de la banquise en Antarctique. Ces évènements et d'autres qui se succèdent dans l'insensibilité générale ont des effets sur l'accélération de la dégradation de nos écosystèmes, de nos conditions de vie et de travail, de nos économies, du rythme de la montée des eaux, de la qualité de l'air intérieur. Attention : la dégradation ne sera pas progressive, mais croissante !

La transition énergétique impose à tous les pays de s'y préparer en conséquence. Que faut-il au pays pour assurer la réussite de l'amorce de cette étape décisive de son évolution, conformément aux exigences d'un modèle de développement durable ?

Maurice a besoin d'expertise et de leadership immédiatement pour développer et mettre en oeuvre un plan de transition énergétique et de décarbonation adapté et activable. Pour le dire autrement : définir ce qu'il faut faire pour agir avec impact sur des horizons clairs ; expliquer comment le faire et pourquoi les scénarios sont bons ; le valider avec les parties prenantes ; se mettre en action sur des directions et des apports d'innovations sélectifs, et se mesurer. La condition initiale est simple : disposer d'expertise et de compétences aptes à cristalliser et à embarquer la volonté d'agir de tous sur le projet, sur des choix technologiques, plutôt que de continuer avec des copier-coller inadaptés made in web.

Êtes-vous d'avis qu'on a fait des progrès sur ce plan ?

Malheureusement, l'évolution de Maurice sur les sujets de la transition énergétique, de la décarbonation, de l'innovation verte, de la prise en main des technologies d'avenir, de la formation des hommes dans ces domaines, et de la définition d'une stratégie pertinente et activable pour le pays ne peut pas être considérée comme satisfaisante face aux enjeux et à la situation d'urgence environnementale, sociale et économique. Maurice est dans une situation très pré-occupante, contrairement aux pays économiquement forts qui tentent encore de jouer contre la montre, se cachent derrière des mécanismes de levées financières résilients, même si les contestations sociales deviennent plus dures, parfois à la limite de l'absorption du modèle sociétal.L'idée est là : les Mauriciens doivent penser au-delà de Maurice pour être utiles à Maurice en cette période de transition économique et sociale. Il est nécessaire d'apporter de nouveaux savoir-faire, des fruits d'expérimentations validées, et de les adapter au contexte mauricien. Maurice dispose de sources d'énergies renouvelables qu'il est temps d'activer avec un contrôle des impacts par des indicateurs de données. Messieurs les décideurs, il est temps de bouger plus rapidement.

Il tombe à point nommé votre plaidoyer pour que les décideurs fassent leur entrée en scène. Comment le scientifique que vous êtes vit cette relation parfois conflictuelle entre les urgences qui appellent à des prises de décisions immédiates et la mobilisation parfois tardive des décideurs ?

Durant ces 30 dernières années, j'ai eu le grand privilège et, à un niveau international, de développer ou de pilote le développement de technologies d'avenir, de projets complexes, de marchés émergents, d'innovation durable, avec la lourde charge d'activer des écosystèmes internationaux privés et publics de grande taille, en coordination avec la réglementation, pour atteindre les objectifs assignés. Cela a souvent été de grandes réussites, parfois avec l'échec qu'il a fallu intégrer, mais chaque expérience m'a permis de cumuler des savoirs et compétences qui m'ont rendu humble de- vant les chantiers lourds à forts enjeux ; chaque expérience a fait la différence sur un projet d'après.

Ce parcours industriel - durant lequel j'ai aussi développé des programmes de recherche, d'innovation, et d'enseignement pour les ingénieurs, managers, docteurs, cadres ou employés, car piloter un écosystème émergent signifie aussi mobiliser des réseaux variés d'acteurs, en coordination avec les dispositifs publics - a forgé au fil du temps un solide leadership. Ce sont notamment ces qualités qui ont conduit à la création de valeurs, de revenus, de croissance. Elles m'ont permis d'accéder à des comités exécutifs ou à la direction d'organisations internationales, de recevoir des prix d'innovation sur quatre continents, et d'être distingué. L'expérience forge le leadership, pas le lobbying. S'il y a un doute sur la capacité d'action, le bon réflexe est de monter l'équipe-projet apte à prendre en main le problème, et d'y associer un leadership et une gouvernance effectifs.

Face aux grands enjeux qui défient les plus grandes intelligences de la terre, est-il raisonnable pour la petite île Maurice d'imaginer qu'elle serait en mesure d'apporter sa contribution à la résolution des problèmes qui, de toute évidence, la dépassent ?

J'entends parfois dire que Maurice ne peut rien face à un problème qui le dépasse, qui est finalement global, sur lequel toutes les actions sont marginales. Il s'agit d'une erreur fondamentale d'analyse et de compréhension du sujet. C'est aussi à ce titre que l'apport d'expériences et de compétences est urgent. Comme tous les problèmes complexes, avec des expertises scientifiques fortes, la durabilité doit s'appréhender de façon systémique avec des méthodologies agiles et un leadership d'écosystème, que peu d'acteurs ont construits au-delà des grands groupes technologiques.

Il est vrai que tous les pays n'ont pas vocation à être leader, mais Maurice a montré, en d'autres temps, sa capacité de leadership dans la région et doit être leader sur ces sujets afin de dégager de nouveaux relais de croissance verts et préparer sa population aux changements qui se dessinent. Un pays qui s'est émancipé depuis quelques décennies ne peut se contenter d'attendre ou de suivre. Nous ne devons pas nous résoudre aux jeux de pouvoir de quelques acteurs en place, qui se dérobent devant les changements nécessaires tant qu'ils ne sont pas en mesure de se garantir une mainmise quasi totale sur les nouvelles opportunités qui se construisent. Cela a été le cas dans le passé, mais les jeunes, le pays, la vivacité démocratique, les enjeux de survie qu'imposent le réchauffement climatique et les nouvelles technologies doivent conduire à des ouvertures plus appropriées sur les acteurs.

Si,face à ces enjeux, Maurice ne peut rester sur la touche, comment peut-il y prétendre si ses talents continuent à quitter le territoire ?

On ne peut plus laisser les jeunes et les talents quitter l'île ou rester loin du pays. Cette stratégie a montré ses limites. La promotion de la médiocratie n'est pas une réponse au manque de méritocratie. Cela annihile le potentiel créatif, scientifique, démocratique et le leadership du pays. Il est temps de réintroduire ce sens de l'exploration et du risque qui nous a tous conduits, quelle que soit notre ethnie d'origine, à fonder, en diverses étapes, le pays qu'est Maurice. Car aujourd'hui, il s'agit de préserver son existence dans un monde où les lanternes du passé ne vont plus éclairer la carte des bouleversements engagés.

Biodata

Le Dr Ramesh Caussy est né à Port-Louis. Il est docteur-ès-sciences de l'École polytechnique, inventeur de produits technologiques, notamment de Diya One, le premier robot centré sur «l'efficacité énergétique des bâtiments et la décarbonation de l'air», doté d'une intelligence artificielle neuro-inspirée et d'une plateforme de données dynamiques. Diya One a été identifié comme «disrupter» aux USA au «Global Wellness Summit» de 2017 en Floride. Dr Caussy a été fait Chevalier de la Légion d'honneur en France en 2019 pour son parcours industriel et scientifique. Il est un fervent défenseur de la cause de la place des hommes, de la nature et de la nouvelle économie de la décarbonation dans un monde où la transition énergétique doit être une priorité pour tous. Il est l'auteur du livre «Yuga : les derniers pas de l'Homme moderne», une alerte pour l'humanité et les jeunes en quête d'un avenir meilleur.

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