Les médias, les organisations internationales et monsieur tout le monde ont salué l'issue du processus électoral au Liberia, en particulier le fair-play du président sortant, George Weah, qui va céder le fauteuil dans quelques jours à Joseph Boakai. L'écart des voix entre le perdant et le vainqueur de la présidentielle des 10 octobre et 7 novembre est tellement minime (50,64%, contre 49,36%) que cette célébration unanime se justifie amplement.
Sous d'autres cieux, ce résultat serré aurait donné lieu à d'interminables contestations et à une crise politique majeure dans le pays. Chacun sait le sort que les crises postélectorales produisent généralement comme monstruosités. Au-delà de ce succès que l'on doit porter à l'actif des deux concurrents, il faut retenir que depuis près de deux décennies, le Liberia renaît de ses années de malheurs dont les meurtrissures sont encore présentes dans toutes les mémoires.
Des grandes arènes du football professionnel à la présidence de la République, George Weah est un homme habitué à gagner mais aussi à perdre. En 2005, alors qu'il venait de raccrocher ses crampons avec un ballon d'or (1995) dans son escarcelle, Mr George, ainsi l'appelait-on du temps où il enflammait les stades, n'avait pu arriver à la cheville de Mme Ellen Johnson Sirleaf qui le distança de très loin à 59,4%, contre 40,6% des voix, lors du scrutin présidentiel. Il dut se résoudre à apprendre à faire de la politique et la chance lui sourit douze années plus tard, en 2017.
Ironie du sort, cette année-là, c'est de Joseph Boakai, vice-président de Sirleaf, que George Weah triompha. Ce fut avec une marge prestigieuse de 61,5% quand son poursuivant se contentait de seulement 38, 5%. On a dorénavant le sentiment que les pays du monde peinent à fabriquer les politiques d'autant plus qu'en Afrique ou ailleurs, beaucoup vont et reviennent. Dans le cas du Liberia, la bataille entre les mêmes prétendants s'est renouvelée deux fois, le bel avantage étant que la confrontation s'est civilisée au contraire de ce qu'elle fut dans ce pays entre 1980 et 2005.
L'on se souvient, en effet, de la vague d'assassinats politiques crapuleux qui suivirent la prise du pouvoir du sergent Samuel Doe en 1980, lorsqu'il passa par les armes le président en poste, William Richard Tolbert, et plusieurs de ses ministres ; des rebellions qui éclatèrent ensuite à partir de 1989, tentaculaires entre le Liberia et la Sierra Leone ; d'intraitables seigneurs de guerre dont, entre autres, Prince Johnson, qui lui arracha la vie avec une rare cruauté mais aussi un certain Foday Sankoh et son homme de main, Sam Bockarie.
Du fond de sa cellule où il purge depuis 2012 sa longue peine de prison de 50 ans pour son rôle dans ces exactions comme rebelle avant tout, l'ex-chef de l'Etat libérien, Charles Taylor, doit peut-être se rendre à l'évidence que lui et ses adversaires ou amis rebelles de la sombre époque n'étaient pas des bienfaiteurs pour leurs pays.
Ce n'est pas tant que ceux qui les ont remplacés à la tête du Liberia ou de la Sierra Leone seraient exempts de reproches dans la conduite des affaires publiques, mais leur gouvernance n'a rien à voir avec les punitions collectives, indistinctes, injustes, inexcusables et inexplicables infligées à leurs compatriotes pendant un quart de siècle pour ce qui est du Liberia.
Nous l'avons appris, la mémoire humaine est fugace : on ne se représente presque plus ces férocités. Tandis que le Liberia continue de panser ses plaies dans la quiétude. La preuve...