Ile Maurice: «À La Réunion, il y aura un film sur l'inceste, qui dérange. Je ne sais pas s'il pourrait venir ici»

27 Novembre 2023

La première édition mauricienne du Festival du Film au Féminin s'est déroulée du mardi 21 novembre au vendredi 24 novembre. Edith Semmani, la fondatrice, aborde la différence entre le public local et celui de La Réunion, où le festival se tient pour la quatrième fois.

A l'ouverture du Festival du Film au Féminin, vous avez dit que l'aventure a commencé par un pari. Est-il réussi ?

Oui, dans le sens où cela s'est fait de manière un peu rapide. L'idée était de semer une petite graine à Maurice et d'exporter ce que je fais à La Réunion.

Depuis quatre éditions déjà.

C'est la quatrième édition cette année. C'était important d'allier le fond et la forme. Le fond, avec des projections, des master class. Pouvoir mobiliser la jeunesse mauricienne. Et inspirer des jeunes femmes à intégrer cette filière du cinéma.

Vous n'avez pas caché votre étonnement de ne pas trouver les réalisatrices mauriciennes de long métrage ou de documentaire long format. (NdlR : Miselaine Duval qui a réalisé plusieurs films est au Canada). Qu'est-ce que cette situation vous inspire ?

Cela m'inspire que c'est nécessaire de faire ce festival. De motiver les jeunes femmes en leur montrant des parcours de réalisatrices. De leur dire qu'il faut batailler, mais que ce n'est pas impossible.

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C'est le résultat de financements que les réalisatrices potentielles ne trouvent pas ou est-ce dû à d'autres raisons ?

Il y a un problème universel chez la femme : ce plafond de verre qu'on se met nous-même. C'est aussi ce syndrome de l'imposteur que l'on peut avoir en pensant que l'on n'est pas légitime. On se pose des questions que les hommes ne se posent pas. Dans les entreprises, ça joue des coudes pour les promotions, chez les hommes. Les femmes ont plus d'humilité. Elles s'effacent plus facilement, il ne faut pas parler trop fort.

Au Festival du Film au Féminin, on a discuté des stéréotypes liés à l'image des femmes dans les films bollywoodiens.

C'est comme cela que nombre d'entre elles ont été élevées.

Bien sûr il y a l'éducation, les schémas à déconstruire. Des actions comme le festival encouragent à aller dans cette direction. Il y a aussi des femmes qui poussent les autres. Un exemple : c'est une femme qui est à la tête de Canal Plus Réunion-Mayotte.

C'était aussi le cas à Maurice.

C'était. Concrètement, quand j'ai contacté Ghislaine Tchibozo (NdlR : ex CEO de MC Vision), c'était un grand oui pour soutenir le festival. Maintenant qu'il y a un homme, je ne dis pas que cela a été un grand non mais il a orienté sa communication vers le sport cette année.

Pour vous donner un détail qui n'en est pas un, à La Réunion, à partir du moment où Samantha Nahama a pris ses fonctions de directrice de Canal Plus, il y a trois ans, le paysage audiovisuel réunionnais s'est modifié. Il y a eu un boom des femmes dans la réalisation de films et de documentaires. Ce sont les chiffres qui parlent. Avoir Canal Plus Réunion-Mayotte pour partenaire du Festival du Film au Féminin lui donne vraiment de la visibilité.

Avant de regarder «Sira», choisi pour représenter le Burkina Faso aux Oscars 2024.

Pour qu'il y ait un boom dans le nombre de réalisatrices à Maurice, il faudrait qu'une femme redevienne directrice de la Mauritius Film Development Corporation ? (NdlR : Kamla Ramyead a déjà occupé le poste)

Non, parce que la MFDC a tout de suite adhéré au projet.

Le directeur Vikram Jootun a publiquement déclaré «ditesnous comment nous pouvons vous aider». Que comptez-vous lui demander?

De continuer à nous soutenir. Bien sûr, c'était une première, il faudra des ajustements logistiques concernant l'organisation.

Vos projections ont eu lieu chez MCiné à Trianon.

Je n'ai pas eu à supplier ou quoi que ce soit. La MFDC a participé au financement de la location de salle. On va grandir ensemble, j'espère.

Le Festival du Film au Féminin reviendra l'année prochaine pour une seconde édition ?

Oui. Ce sera articulé de manière très différente. Je souhaite passer une semaine complète ici. Faire du surmesure pour Maurice.

Pas la même programmation qu'à La Réunion ?

C'est cela.

Parce que le public mauricien est différent ?

La différence concerne les films ou les messages qui peuvent être présentés ici et là-bas. À La Réunion, je peux être plus provocatrice qu'ici. Je sens qu'ici il y a des sujets un peu plus épineux à aborder.

Comme ?

Cette semaine à La Réunion, nous faisons de la sensibilisation sur les violences intrafamiliales, sur l'inceste. Il y a aura des réalisatrices qui n'ont pas leur langue dans la poche. C'est sûr qu'elles vont tenir des discours un peu vindicatifs, mais nécessaires. À Maurice, c'est peut-être encore prématuré. Je ne dis pas qu'il ne faut pas des films qui interpellent.

Le public mauricien est plus conservateur ?

C'est comme cela que je le ressens. Peut-être que je me trompe. J'espère me tromper. De toute façon, ce n'est pas la peine de heurter. On peut très bien faire passer des messages en y allant en douceur. Là, c'était une première édition. L'année prochaine, le festival sera orienté différemment après concertation avec des associations.

Les deux films que vous avez choisi pour Maurice cette année, «Women beyond Bollywood» de Rahila Bootwala, mais, surtout, «Sira» d'Apolline Traoré n'étaient pas des bluettes. Est-ce que pour exister en tant que réalisatrice il faut avoir un discours choc?

Je n'ai pas non plus fait dans la dentelle pour Maurice. La réalisatrice qui sera à La Réunion est Andréa Bescond avec Les Chatouilles, c'est un film qui dérange. Il parle d'inceste, de viol dans la famille. Je ne sais pas si cela pourrait venir à Maurice.

On vous l'a déconseillé pour Maurice ou c'est basé sur votre connaissance du public local ?

Non, c'est ma retenue. J'ai eu besoin d'avoir une première expérience ici pour trouver mes marques. Que ce soit Women beyond Bollywood ou Sira, ce n'est pas La petite maison dans la prairie. Mais pour l'inceste, la pédocriminalité, j'ai parlé à des responsables d'associations mauriciennes qui m'ont dit d'attendre de voir comment se déroule une première édition. Cela ne veut pas dire non.

Le festival en est à sa quatrième édition à La Réunion. Vous êtes toujours seule à le porter ?

Je n'ai pas les moyens budgétaires de m'entourer. Je ne dis pas que je ne reçois pas d'aide, mais entre les billets d'avion et l'hébergement, cela coûte très cher. C'est vrai que j'aurais besoin de plus de personnes, surtout en amont, pour les préparatifs du festival. Après, je suis passionnée, j'aime ce que je fais.

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