Afrique: Relations France/Afrique - Créer la juste distance

En février dernier, le président français, Emmanuel Macron, formulait le vœu de bâtir avec l'Afrique « une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable ». Qu'en est-il aujourd'hui ? Le sujet était traité dimanche matin par Namouri Dosso et ses invités dans Le débat africain sur RFI. Un échange éclairant après la publication en France d'un rapport parlementaire très étayé sur cette question.

La relation de la France avec l'Afrique francophone a-t-elle effectivement changé ? Oui, répond Bruno Fuchs, député français co-auteur de ce rapport (*), considérant que ce processus est engagé depuis 2007 et que beaucoup a été fait dans de nombreux domaines. Cependant, il n'est pas abouti. « Nous gardons des pratiques anciennes, » observe-t-il.

Pour Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, reconstruire une relation différente prendra du temps comme il en a fallu pour arriver à la situation d'aujourd'hui. C'est un long processus qui a conduit à la rupture de certains pays avec la France. Pourtant, tempère Cheikh Gueye, chercheur secrétaire permanent du Rapport alternatif sur l'Afrique, il reste beaucoup de l'influence française en Afrique francophone, ne serait-ce qu'à travers le métissage, la langue, une histoire commune difficile faite de violence mais aussi de coopération.

Avec le temps, les relations de coopération ont évolué : de bilatérales, elles sont devenues multilatérales. L'Afrique très attractive travaille désormais avec de nouveaux partenaires, ce qui induit d'autres formes de relations. Pourtant, il est reproché à la France de continuer de fonctionner sur le principe d'une doctrine érigée en 1990 par le président François Mitterrand dans son discours de la Baule qui propose aide et sécurité en échange d'un engagement vers la démocratisation.

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Un grief formulé parmi d'autres grands sujets d'incompréhension, analyse Cheikh Gueye, ainsi l'intérêt économique pour le continent est vu comme un objet à conquérir tandis que, parallèlement, les débats en France concernant les questions identitaires, la laïcité, le racisme alimentent le sentiment que ces questions sont soulevées contre les Africains, en particulier les Africains de la diaspora. « Les nouvelles générations portent en bandoulière la question de la souveraineté et revendiquent du respect mais aussi de la distance », avance-t-il.

Nombreuses décisions prises en France par un exécutif fort dominé par le chef de l'Etat (ce que Moussa Mara nomme une « sorte de monarchie institutionnelle ») ne sont pas toujours en phase avec l'époque et les attentes des peuples.

Il relève également « ces images anodines » qui créent un sentiment de domination. Une certaine familiarité d'un président français avec les chefs d'Etat africains frappe les esprits des peuples qui n'ont pas toujours une connaissance politique profonde, estime-t-il. « C'est la forme qu'il faut regarder, y compris dans le contact physique, parfois beaucoup plus que le fonds. »

Le président Félix Tchisekedi avait interpellé très directement le président Emmanuel Macron, en mars dernier, sur ce sujet. « Regardez nous autrement ! Pas seulement la France mais l'Europe en général, l'Occident... Regardez nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste avec l'idée de savoir toujours ce qu'il faut pour nous », avait-il dit.

Un message ferme qui a le mérite de faire prendre conscience que les comportements doivent changer. Mais aussi qu'il convient de prendre en compte ces rancoeurs très anciennes persistantes auxquelles il n'est pas prêté assez d'attention : la question des anciens combattants non traités, des mémoires communes, des visas...

Sans oublier, pour Cheikh Gueye, de prendre en considération la dimension religieuse dans la région francophone d'Afrique de l'Ouest car selon lui, un ressentiment très fort de cette population vis-à-vis de la France est clairement porté par la question religieuse.

Créer de nouvelles relations avec les pays d'Afrique francophone

La prise de conscience maintenant bien réelle des autorités françaises, les rapports réciproques sont à redéfinir. Cependant, observe Moussa Mara, face à des ruptures exprimées dans les pays, il convient de poser les actes qui s'inscriront dans la durée.

Et pour cela, il convient de marquer une vraie volonté de refondation qui peut s'appuyer sur des leviers, notamment la coopération. Si la France a des rapports privilégiés avec l'Afrique, elle connaît peu son interlocuteur et de moins en moins bien, note le rapport. Il y a moins de coopérants civils ou militaires depuis la suppression du ministère de la Coopération à la fin des années 1990. « Nous avons perdu la connaissance du terrain, les chercheurs sont moins écoutés. Oui nous préconisons un nouveau ministère de la Coopération », soutient-il.

Pour Moussa Mara, la coopération décentralisée en fort recul impacte les interrelations culturelles, éducatives, les échanges universitaires. C'est pourtant en travaillant sur ces sujets que se créeront « les nouvelles relations avec la société civile, notamment les diasporas qui sont une chance extraordinaire et méritent davantage d'attention. »

Aujourd'hui, si la suspension de visas dans certains pays cristallise la colère, les financements orientés vers les grands projets d'infrastructures restent opaques pour la population. Mieux communiquer et investir davantage dans le capital humain peut inverser la tendance. Tout en faisant preuve de retenue sur certains sujets difficilement compréhensibles des pays africains comme la question des LGBT. Un message à l'adresse des pays occidentaux. « Nous sommes loin de ces valeurs que nous n'avons pas. N'essayez pas de nous les imposer et de conditionner certains financements à des attitudes d'ouverture vis-à-vis de ces communautés », interpelle Moussa Mara.

Quant à la question des sujets irritants comme le franc CFA ou la question militaire, il convient de les dépasser. La réforme du franc CFA est maintenant entre les mains des pays d'Africains. Et concernant les bases militaires, symboles de l'époque coloniale, beaucoup considèrent qu'elles doivent être fermées et la coopération militaire réorientée vers le renforcement des capacités. Mais il faut le faire au cas par cas et l'exprimer clairement dans sa finalité comme dans ses objectifs finaux et par toutes les parties.

Recréer la confiance oui mais pour cela il est nécessaire de lever le doute sur les intentions réelles de la France, revoir la doctrine du discours de la Baule appliquée à géométrie variable selon les pays, expliquer les actes posés, prendre de la distance... Ce quéAchille Mbembe nomme « la juste distance ».

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