Ile Maurice: 27 novembre 1987 - «Mme X.» tuée par «une grande intolérance»

1 Décembre 2023

Le 27 novembre 1987, Maurice enregistrait un premier décès pour des causes liées au sida. Testée positive en septembre, alors que sa santé était au plus mal, à travers des manifestations et d'autres expressions d'intolérance, cette femme de 60 ans fut davantage affectée par la stigmatisation et le rejet. En ce 1er décembre, PILS rend hommage à celle que la presse avait surnommée «Mme X». Ce drame rappelle qu'aujourd'hui encore le stigma, la discrimination, l'intolérance sont les plus grands obstacles dans la lutte contre le VIH.

«Elle ne souffrait pas. Elle était tout simplement très affaiblie.» Telle avait été l'annonce faite par le médecin de l'hôpital de Moulin-à-Poudre pour annoncer le décès de «Mme X.», le 27 novembre 1987. Elle s'en est allée vers 11 heures, après presque trois mois d'hospitalisation. Par le biais des médias, le pays avait suivi les derniers jours de sa vie marqués par des réactions opposées. Face aux quelques marques de soutien et de compassion, une grande intolérance, exprimée par des manifestations, des gestes stigmatisants, de la discrimination et de la peur.

Habitant la région nord, employée d'hôtel, cette femme âgée de 60 ans avait été admise à l'hôpital de Port-Louis. Un des membres du personnel soignant présent à l'époque se souvient : «C'était une femme soignée. Elle était bien habillée ; elle avait les ongles bien faits et avait de bonnes manières.» Souffrant de diarrhée, affaiblie, elle suscitait une constante vigilance du personnel de la salle où elle avait été admise. «Personne ne parlait de VIH ou du sida à l'époque. Nous ne savions pas de quoi elle souffrait, et nous étions à son chevet pour la changer et la réhydrater. Nous avons appris qu'elle avait vécu sur le continent africain pendant quelque temps. Elle était rentrée après le décès de son époux.»

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«C'est le sida !»

Le 3 septembre 1987, elle est transférée à l'hôpital de Poudre-d'Or pour des troubles pulmonaires. Les symptômes qu'elle présente inquiètent. Un échantillon de son sang est envoyé à Candos où un appareil nouvellement installé dans le laboratoire évoque une possibilité de VIH. Sur les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé, un échantillon de son sang est analysé à Munich pour des tests approfondis.

«C'est le sida !» titre en gros caractères la presse le 12 septembre, suivant la réponse du laboratoire. La récente reconduction au pouvoir de sir Anerood Jugnauth, après les élections du 30 août, est reléguée au second plan. Les journaux parlent d'un «véritable coup de tonnerre ». L'affaire atténue momentanément l'esprit festif du Festival de la mer, lancé en grande pompe par sir Gaëtan Duval quelques jours plus tôt pour booster le secteur touristique.

À Poudre-d'Or, les personnes des alentours descendent dans la rue. Elles réclament le départ de la patiente des lieux de manière virulente. «Encore sous le choc, l'opinion publique n'est pas capable d'assumer, avec un minimum de responsabilité, l'échéance inévitable à laquelle il [sic] n'a pas été préparé [sic]», dit la presse. L'ignorance permet aux pires suppositions de se répandre comme une épidémie incontrôlable. Les uns et les autres évoquent la possibilité d'une épidémie à travers l'air ou encore les piqûres de moustiques. Sans compter les préjugés qui accablent «Mme X.».

Isolée, attristée, résignée

De sa chambre, «Mme X.» entend ces voix qui la vilipendent. «Cela l'a beaucoup affectée. Elle en était très attristée», raconte un témoin. Les choses se passent aussi mal à l'intérieur des murs de l'hôpital. «On a isolé la malade dans une salle. Tout le monde a peur de l'approcher. On dit qu'elle est une malade du sida, une maladie plus grave que la variole», écrit alors un journaliste. Quelques membres du personnel médical réclament des bottes et des gangs en caoutchouc pour approcher la patiente. Elle est transférée à la Skin Diseases Infirmary, dans un bâtiment datant du 18e siècle, au fond de la forêt de sapins. C'est là qu'étaient généralement envoyés les patients souffrant de lèpre ou de la variole.

Séparée de sa famille et privée de visites, la patiente est au plus mal. «Elle manifeste des symptômes inquiétants, avec toutefois une tranquillité et une sérénité surprenantes. Mme X. appartient à la catégorie des résignées ; elle trouve normal de souffrir, naturel de ne pas voir son état s'améliorer», témoigne un membre du personnel médical à l'époque. Des échantillons de sang de la patiente sont régulièrement envoyés à Munich pour d'autres analyses, tandis qu'elle perd du poids et ses cheveux. Son état est suivi par la presse, au milieu d'autres affaires d'actualité, dont l'exécution d'Eshan Naeck, dit Alexandre, dernier condamné à mort conduit à l'échafaud à Maurice.

Pour certains médias, «Mme X.» ne pouvait être qu'une bête de foire. Une infirmière barre la route au journaliste qui tentait de s'immiscer dans la chambre de la patiente : «I forbid you to enter here. Try to understand she is ill. Why do you want to expose yourself to an infection?» «Je vous interdis d'entrer. Comprenez qu'elle est malade. Pourquoi vouloir vous exposer à une infection ?» Dans son reportage intitulé «J'ai vu la malade», le journaliste écrit : «Je suis resté sur les lieux malgré l'interdiction et j'ai pu voir la malade. Le teint jaunâtre, accroupie sur son lit, elle pleurait toute seule. Elle toussait de temps en temps. J'ai vidé les lieux. J'ai pensé aussi que cette place constitue peut-être un vivant foyer de virus.»

Polémique, stigma, discrimination

Cette épidémie qui venait de débarquer à Maurice, le monde en parlait depuis 1981 et les recherches étaient lancées pour la comprendre. En 1985, l'annonce de la contamination de l'acteur Rock Hudson avait attiré l'attention internationale sur cette «nouvelle peste», qui touchait officiellement 13 500 personnes dans le monde. En 1987, les estimations parlaient de cinq à dix millions d'individus touchés. À août de la même année, le nombre de cas connus était de 53395. On parlait de 1000 tests positifs par quinzaine. Aucun traitement n'existe alors; un test positif équivalait à la mort.

«Maurice n'échappera pas au sida», disait le Dr Clément Chan Kam, dans une interview publiée en juin 1987. Des programmes de prévention sont menés par les autorités avec le soutien de AIDE Amitié, organisation de lutte contre le VIH qui réunissait Marie-Michèle Etienne, Cadress Runghen, et le Dr Chan Kam, entre autres. Les préjugés sont forts face à cette maladie associée à des malédictions divines et d'autres spéculations d'illuminés.

Suivant la découverte du premier cas, une polémique éclate avec le ministre de la Santé, Jagdish Goburdhun, qui annonce que le gouvernement réprimera les «déviations» sexuelles, dont «les homosexuels et les prostituées». Comme pour se rattraper, il nie avoir tenu ses propos, et finit par réunir différents ministères et services pour lancer un programme en affirmant: «Il faut tout faire afin d'empêcher que la panique ne s'installe.»

«Mme X.» est enterrée quelque temps après sa mort. Ses funérailles ont lieu dans la plus grande discrétion afin que la famille et le personnel soignant ne soient pas harcelés et stigmatisés à leur tour.

Le drame que vécut «Mme X.» est similaire à celui de Malini Veeramalay qui avait voulu faire évoluer les mentalités en parlant de sa séropositivité le 1er décembre 2004. Elle est décédée à peine six mois plus tard, dans un refuge pour femmes où Malini Veeramalay a trouvé asile après avoir été chassée de chez elle. Des histoires qui rappellent qu'aujourd'hui encore le stigma, la discrimination, l'intolérance sont les plus grands obstacles dans la lutte contre le VIH.

«Art F Stigma»

À l'occasion de la Journée mondiale du sida, l'ONG Prévention information et lutte contre le sida (PILS) a mis l'accent sur la lutte contre la stigmatisation et la valorisation de la dignité humaine. Un événement spécial, sous le thème «Leadership dan lame bann kominote - Let Communities Lead», a été organisé, offrant un espace sûr pour les personnes touchées par le VIH.

L'événement, baptisé «Art F*** Stigma», a vu la participation d'artistes variés, y compris l'artiste américain engagé dans la lutte contre le VIH, Todd Lanier Lester. Ce rassemblement a permis aux participants d'exprimer leurs espoirs et leurs rêves, et de plaider contre la discrimination et le stigma. Annette Ebsen Treebhobun, directrice exécutive de PILS, a souligné l'importance de combattre la stigmatisation, un obstacle majeur dans la lutte contre le VIH à Maurice. Elle a rappelé le cas tragique de «Mme X.», première personne testée positive au VIH à Maurice en 1987, qui avait subi une forte stigmatisation.

Malgré des avancées significatives dans le traitement et la prévention du VIH, Maurice a enregistré une augmentation de nouveaux cas, avec une prévalence plus élevée chez les hétérosexuels de 15 à 54 ans, et une vulnérabilité accrue chez les 25 à 39 ans. Depuis 1987, 8 831 cas ont été enregistrés, avec une estimation de plus de 14 000 Mauriciens vivant avec le VIH. PILS, en collaboration avec d'autres associations, a organisé la Semaine internationale de dépistage et le Moris AIDS Tour, visant à promouvoir le dépistage et à lutter contre l'ignorance et la stigmatisation. PILS rappelle que toute personne testée positive a accès à un traitement gratuit, lui permettant de mener une vie normale et de réduire le risque de transmission du virus.

Exposition

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