Tunisie: Le pays face à l'équation économique - Entre résilience et urgence des réformes

1 Décembre 2023

Alors que le pays oscille entre l'impératif de réformes profondes et les influences ainsi que les facteurs venant d'ailleurs, le chemin vers la reprise économique se dessine au cœur d'un paysage complexe où l'optimisme et la réalité se rencontrent.

Dans le cadre d'un récent colloque portant sur «Ticad 8 et relance de l'économie tunisienne», les regards se sont tournés vers la Tunisie, où une exploration approfondie de sa situation économique a été entreprise. Cette analyse méticuleuse a mis en lumière les aspects les plus pressants tout en jetant un regard vers l'avenir, offrant ainsi une tribune cruciale pour examiner de près les enjeux critiques auxquels le pays est confronté.

Une décennie de résilience et de remise en question

La Tunisie, au cours de la dernière décennie, a navigué à travers des eaux tumultueuses, marquées par des événements majeurs, tels que la révolution de janvier 2011 et les élections d'octobre de la même année. Si cette période a incontestablement présenté des défis majeurs, il faut reconnaître que la nation n'était pas exempte de problèmes avant 2011. Comme l'ont si bien souligné plusieurs économistes, «nul n'est parfait». Ces moments critiques ont toutefois engendré des conséquences économiques notables, soulignant la nécessité d'une réflexion approfondie sur la voie à suivre.

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Pourtant, dans ce contexte difficile, des secteurs cruciaux de l'économie n'ont pas flanché. Des milliers, voire des centaines de milliers de Tunisiens ont persisté dans leurs activités, générant une valeur ajoutée malgré les difficultés omniprésentes. Cette persévérance témoigne de l'engagement profond envers le développement économique du pays.

À cet égard, la relance économique de la Tunisie est indéniablement liée à la réaffirmation de la valeur du travail. Mais il est préoccupant de constater un affaiblissement de cette valeur, ayant des répercussions désastreuses sur l'économie. Face à cette situation, une confiance renouvelée en l'avenir est essentielle pour insuffler de l'espoir et de la clairvoyance dans le futur du pays et de ses citoyens.

La jeunesse tunisienne, consciente des défis, est et restera une force qui travaillera activement à relever les défis difficiles, mais inévitables qui l'attendent... Certes, à nos jours, le phénomène de la fuite des cerveaux est l'un des défis majeurs. Cependant, malgré ces départs, il est impératif de rester optimiste et de reconstruire ce qui a été détruit au cours de la décennie noire. Et là, les mots de Nietzsche, "ce qui ne tue pas rend plus fort", résonnent comme un appel à la résilience.

Des défis cruciaux pour un avenir plus stable

Au cours des dernières années, la Tunisie a été soumise à des chocs externes significatifs, ajoutant des pressions à des vulnérabilités déjà existantes.

En 2022, bien que le pays se remette progressivement du choc du Covid-19, il doit également faire face aux problèmes engendrés par la guerre en Ukraine. Et malgré une croissance de 2,5%, indiquant une reprise, celle-ci montre des signes d'essoufflement cette année, marquée par une faible production agricole et l'absence de réformes. Ces éléments ont conduit à une détérioration de l'emploi, avec un taux de chômage atteignant près de 17%, accentuant les disparités entre hommes et femmes, les femmes étant plus fortement touchées.

Parallèlement, la Tunisie connaît une inflation élevée, estimée à environ 9,5% en moyenne pour l'année en cours, entraînant une diminution du pouvoir d'achat des ménages. Pour faire face à ces défis, la Banque centrale a pris des mesures, augmentant son taux directeur de 175 points de base entre le printemps 2022 et le début de l'année 2023, ce qui a complexifié la situation des investissements privés. Néanmoins, malgré ces défis, une amélioration du compte courant a été constatée, résultant de la résilience du tissu industriel tunisien et d'une gestion efficace des exportations. Cette amélioration est également attribuée à une compression des importations, due à des baisses de prix internationaux, notamment dans le domaine de l'énergie et des produits alimentaires, ainsi qu'à un ralentissement de l'activité.

En ce qui concerne les perspectives pour l'année prochaine, les institutions internationales anticipent une légère baisse. Ceci est en partie attribuable au conflit au Proche-Orient, qui génère des incertitudes, en particulier en ce qui concerne les prix de l'énergie à l'échelle mondiale. Bien que l'année 2023 ait été marquée par des éléments favorables, tels que la reprise du tourisme et la baisse des prix internationaux, ces tendances ne sont pas garanties pour l'année suivante, étant donné la forte décélération de l'activité parmi les principaux partenaires commerciaux de la Tunisie et les pressions mondiales sur les prix.

Ainsi, actuellement, deux défis majeurs se dressent devant les autorités tunisiennes. Tout d'abord, le renforcement des finances publiques est crucial, avec des signes positifs malgré les défis persistants liés aux subventions. Ensuite, la question de l'équité sociale et de la croissance de la pauvreté, en particulier en matière d'emploi dans l'ouest du pays, constitue un autre défi majeur. Ces deux défis exigent des actions concrètes, telles que la réforme des entreprises publiques et la réévaluation des subventions énergétiques inéquitables.

Un appel urgent aux réformes

Le constat de l'économie tunisienne est donc préoccupant, caractérisé principalement par un problème de croissance. Les moteurs traditionnels, tels que l'investissement, les exportations et la consommation sont actuellement en panne, compromettant ainsi toute perspective de croissance. Les récents résultats des états financiers ont été décevants, reflétant une économie en difficulté.

Un des autres défis majeurs réside dans la dette, tant publique qu'extérieure, accumulée au fil des années. La dégradation de la notation souveraine de la Tunisie à dix reprises en douze ans souligne la gravité de la situation. Les rapports liés à ces révisions à la baisse offrent des conseils précieux sur la manière de redresser la situation, mais semblent ne pas avoir été pleinement pris en compte.

Il est clair que l'économie tunisienne ne remplit plus ses trois rôles fondamentaux : créer des richesses, générer des emplois et stimuler la croissance. Actuellement, elle connaît une croissance négative, et les projections de croissance pour l'année à venir varient, mais restent insuffisantes.

Le défi économique est ainsi complexe, et le calcul montre que pour maintenir la stabilité, la croissance doit dépasser 5,5%, compte tenu du taux de la croissance démographique de 1% et du coût moyen de la dette extérieure de 4,5%. Les chiffres actuels révèlent une situation préoccupante, nécessitant une croissance bien au-delà des taux évoqués pour rattraper le retard et rétablir l'équilibre. L'investissement, en particulier, a chuté de manière significative, passant de 21% du PIB en 2010 à seulement 6,8% aujourd'hui. De même, l'épargne globale nationale a diminué de 22% à environ 8% du PIB. Cette tendance réduit la capacité du pays à investir et crée un cercle vicieux.

La nécessité d'un investissement public est soulignée, car il est le prérequis pour encourager le secteur privé local à investir. Cependant, les lois de finances récentes montrent une allocation minimale pour l'investissement public, ce qui entrave le redressement économique.

La Tunisie, malgré son potentiel, semble ne pas tirer pleinement parti des opportunités, telles que la Ticad 8 (Tokyo International Conference on African Development), le Sommet de la francophonie, la Tunisia 2020, et d'autres forums d'investissement. L'accent est mis sur l'organisation plutôt que sur les résultats tangibles.

Et dans un contexte mondial en mutation rapide, la Tunisie semble en difficulté pour s'adapter aux nouveaux enjeux, tels que l'émergence de nouvelles puissances économiques, la redistribution des alliances et les défis environnementaux. Le choix entre subir et gérer se pose, et actuellement, la Tunisie semble davantage subir.

Les réformes deviennent ainsi impératives, bien que leur impact social soit redouté. Cependant, le coût social de l'inaction pourrait être encore plus grave. La nécessité de réorienter les ressources vers l'investissement plutôt que les dépenses courantes est cruciale pour stimuler la croissance. Actuellement, alors que la Tunisie discute de la loi de finances 2024, l'inquiétude persiste et la dépendance continue à des ressources extérieures non identifiées. La nécessité de renouer avec les bailleurs de fonds internationaux est soulignée, avec un accent particulier sur l'orientation des ressources vers l'investissement.

En guise de conclusion, la Tunisie doit opérer des réformes profondes et inévitables pour sortir de sa phase actuelle de subordination et commencer à véritablement gérer véritablement sa situation économique. Ceci est encore vrai, à l'heure que le coût social des non-réformes pourrait être plus grave que les répercussions sociales des réformes elles-mêmes. Pour ce faire, on exhorte la Tunisie à réorienter ses ressources vers l'investissement plutôt que les dépenses courantes et à renouer avec les bailleurs de fonds internationaux pour assurer un soutien financier essentiel.

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