Sénégal: Film «le mouton de Sada» de Pape Bouname Lopy - Une fable familiale sur fond de conflits

3 Décembre 2023

Avec son premier long métrage « Le mouton de Sada », le réalisateur Pape Bouname Lopy, en même temps qu'il met en scène une histoire d'amitié entre un jeune garçon et un mouton destiné à être sacrifié pendant la Tabaski, dépeint la pression sociale relative aux préparatifs de cette fête de la commémoration du sacrifice d'Abraham. Ce film, Prix spécial du jury, lors dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), a été projeté, jeudi soir, en avant-première, au Canal Olympia Teranga de Dakar.

Dans la banlieue dakaroise, Babou vit avec sa femme Coumba et leur petit garçon de 9 ans, Sada. Pour les besoins de la fête de Tabaski, le père doit sacrifier le mouton (« Dou ») élevé au sein du foyer et avec lequel Sada a grandi et entretient une relation amicale particulière. Pour sauver son « ami », l'enfant entre dans un conflit sans fin avec père. Avec son premier long métrage « Le mouton de Sada », projeté, jeudi soir, au Canal Olympia Teranga, Pape Bouname Lopy explore ce rapport de sincérité qui peut souvent liés les hommes aux animaux. Mais également ce conflit entre un père et son fils, l'histoire ancienne d'Abraham qui est à l'origine de cette fête de Tabaski.

Toutefois, au-delà du lien affectif entre Sada et « Dou », le réalisateur peint aussi cette pression sociale entourant les préparatifs de la fête de Tabaski. Laquelle est fortement ressentie par les familles qui n'ont pas de moyens de se payer un mouton ou d'acheter des habits neufs. « Elles sont face à une société cruelle qui ne comprend pas leur situation. Cette société les regarde d'une certaine manière si elles ne font pas la fête », avance le réalisateur.

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Ce sarcasme est manifestement le symbole des relations hypocrites qui minent les familles, déchirent les foyers. Il est aux antipodes de rapports liant le jeune Sada au mouton « Dou ». Cette connexion, teintée d'une rare sincérité entre l'homme et l'animal, est perçue comme la quête d'une humanité perdue dans une sorte d'anthropomorphisme.

Dans une époque en proie à une crise de valeurs, le regard social souffre d'une certaine insensibilité. « La société regarde les personnes démunies d'une manière méprisée, parce qu'elles n'ont pas la possibilité de se payer un mouton. Il y a une sorte de honte », fait remarquer Pape Lopy, qui se désole de la double peine du père. Celui-ci, malgré une résistance tout au début pour tenter d'imposer son pouvoir patriarcal, finit par céder devant un fils qui n'est pas prêt de sacrifier ses liens amicaux avec le mouton « Dou ».

VIOLENCE DE LA SOCIÉTÉ

Pire, le papa n'arrive pas aussi à trouver les moyens de se payer un deuxième mouton pour la commémoration du sacrifice d'Abraham. Pape Bouname Lopy cherche à faire ressentir « ce poids social qui est d'une rare violence ». Dans « Le mouton de Sada », le réalisateur n'a pas procédé à un casting classique. Il s'est rendu en banlieue où le tournage était censé être fait pour prendre d'abord ses repères. « Une fois en banlieue, j'ai appelé tous les enfants qui jouaient au football dans les rues pour leur demander de me rejoindre dans une maison. Ensuite, j'ai commencé à leur poser des questions afin qu'ils puissent jouer... », soutient-il, comme pour expliquer le caractère si réaliste de ce film.

Inspiré d'une histoire réelle, ce premier long métrage de Lopy a ainsi trouvé parfaitement des personnages qui ont pu porter ce film de 75 minutes. Il reflète justement le quotidien d'une écrasante majorité des familles dans la banlieue dakaroise.

« Le mouton de Sada », c'est l'histoire des petites gens. Un miroir de la société sénégalaise. À la fois sincère et captivant, il questionne, à travers des images bien tissées, les tares d'une société prise entre tradition et modernité, mysticisme et spiritualité. Le réalisateur a voulu installer cette dualité tout au long de la trame. Cela, comme pour rappeler nos excès et nos imperfections.

Cet opus laisse place, par moments, au silence pour évoquer l'indicible qui se cache derrière l'amour. Dans une démarche subtile, le réalisateur offre également parfois au public un voyage dans un monde mystique ; cet univers clos qui fait une des forces des sociétés africaines et sénégalaises. Cette rigueur du cinéaste scintille dans le dialogue entre le monde visible et celui invisible. Par exemple, pour retrouver son enfant, qui a fugué avec le mouton, la jeune mère fait appel au pouvoir d'un marabout qui consulte les cauris. Il lui suggère ensuite des sacrifices et un bain mystique à faire au milieu de la cour familiale et dans l'enclos de « Dou ». Avec cette méthode, Pape Lopy cherche ainsi à trouver un remède face à cette situation de désespoir qui anime la maman de Sada.

Rapport confus et étrange

Il veut ainsi donner une autre manière de percevoir certaines choses de la vie par l'image en explorant toujours le rapport parfois confus et étrange entre l'homme et l'animal. « Ce sont des valeurs qui font partie de notre société et qu'il faut préserver. Elles doivent être représentées esthétiquement dans notre cinéma », laisse-t-il entendre.

Ce long métrage est une sorte d'hommage que Pape Lopy rend au fondateur des structures Ciné banlieue/Ciné Ucad, feu professeur Abdou Aziz Boye, qui a vécu cinéma et l'a distillé au mieux à la jeunesse de la banlieue et aux étudiants de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). « Il nous a pris sous son aile quand nous étions des étudiants à la recherche d'une école ou d'un espace d'expression cinématographique », rappelle Pape Bouname Lopy. Entre grandeur et générosité, passion et engagement, Abdel Aziz Boye a marqué à l'encre indélébile le cinéma sénégalais. La formation des jeunes dans le septième art a été un sacerdoce qu'il a su porter jusqu'à la fin de ses jours.

C'est en ce sens d'ailleurs que Pape Lopy pense que son premier long métrage est un « film de combat ». Le combat d'une génération qui « est venue dans le cinéma avec de réelles difficultés pour monter ». « Pour monter, il faut se battre. C'était une manière de dire que nous sommes aussi capables de faire des films qui ont de la gueule. Donc, il n'y a pas de complexe », précise le réalisateur.

Le film « Le mouton de Sada » a fait sa première au dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) où il a décroché la mention spéciale du jury. Avec cette sortie nationale, Pape Bouname Lopy pense que son opus va rencontrer maintenant son vrai public. Il sera en projection jusqu'au 10 décembre dans les salles de cinéma à Dakar. Il va ensuite tourner au niveau national, dans les centres culturels.

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