Ile Maurice: Superstructure ou hyperinquiétude

4 Décembre 2023

Le bureau du DPP, qui agissait comme un contrepoids aux excès ou manquements de la police, de l'ICAC et autre FIU, se verra concurrencer par la nouvelle «Financial Crimes Commission» par rapport aux crimes et délits financiers comme la fraude, la corruption, le blanchiment d'argent sale et même le trafic de drogue. La parole aux légistes.

La Financial Crimes Commission (FCC) fait peur. Pas aux criminels mais aux légistes et aux opposants du régime qui peuvent, entre autres, se voir imposer des charges provisoires qui risquent de les mener en détention pendant de longs mois, de ne jouir que d'une liberté conditionnelle relative avec des mesures contraignantes pendant des années et de voir leurs biens gelés. Car c'est surtout la charge provisoire qui inquiète Roshi Bhadain.

Il nous rappelle qu'il avait proposé en 2015-2016 la mise sur pied d'une FCC mais précédée de l'abolition de charges provisoires avec l'introduction de la Police and Criminal Evidence Act (PACE). «Sans cela, la FCC n'est pas une réforme de notre système.» L'avocat avait également proposé une loi dédiée à la fraude comme en Angleterre avec la Fraud Act. «Ces délits liés à la fraude comme mentionnés dans le FCC Bill ne sont pas complets.» Roshi Bhadain avait cependant pu faire passer la loi sur l'enrichissement illicite.

Il est convaincu que le FCC Bill ne vise qu'à accorder des pouvoirs accrus à cette nouvelle institution qui empiétera sur les prérogatives du Directeur des poursuites publiques (DPP). «Le DPP ne pourra plus jouer son rôle de check and balance face à une FCC qui accomplira toutes les étapes dans une affaire de délit financier. C'est la FCC qui enquêtera, qui arrêtera un suspect et c'est la même FCC qui contestera ou pas la demande de libération provisoire. Un suspect pourrait se retrouver à l'ombre pendant plusieurs mois.» Selon lui, une accusation provisoire pourrait peser sur un suspect pendant des années car on verra «la FCC venir chaque fois au tribunal pour dire que l'enquête est en cours, que l'affaire est complexe ou qu'il y a des ramifications internationales notamment pour les cas de blanchiment d'argent».

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Il constate également que même si le FCC Bill prévoit la réintroduction de l'Operations Review Committee, cela concernera les enquêtes en souffrance durant 12 mois au lieu de six mois comme cela était le cas au début. Bhadain ne pense pas seulement à des opposants politiques mais aussi à des fonctionnaires qui se retrouveraient suspendus de leur travail pendant des années, «tout cela non parce que certains ont fauté mais parce qu'ils ont suivi les procédures !»

Pour l'avocat et député travailliste Ritish Ramful, la situation est encore plus grave. La FCC pourrait déposer des charges formelles, pas juste provisoires, contre un suspect: «Le préambule et l'article 142 du FCC Bill stipulent clairement que cette nouvelle institution pourra 'prosecute'.» Encore plus grave : «Avec les lois actuelles, c'est la police ou l'ICAC qui détectent et investiguent les crimes et le DPP qui poursuit en cour. Ce faisant, le DPP vérifie si l'accusation tient ou pas. La FCC, elle, détectera, enquêtera et poursuivra en cour. Et la FCC qui est sous le contrôle d'un nominé politique ! Alors que le DPP est nommé par la Judicial and Legal Service Commission (JLSC) et son indépendance est assurée.» Selon Ritish Ramful, c'est la Prosecution Commission qui revient «through the backdoor». Il nous rappelle que le DPP peut intervenir pour stopper une poursuite abusive. «Il a les compétences, l'expérience, l'indépendance et des procédures internes pour le faire bien.» Ritish Ramful prévoit qu'avec la FCC, il ne restera au DPP que le pouvoir de stopper une procédure. «Le DPP passera-t-il son temps à le faire et à répondre aux contestations de la FCC, comme cela se fait actuellement avec le commissaire de police ? Pour moi, cette loi a été faite pour embarrasser le DPP et lui faire perdre son temps dans des procès contre la FCC. Le but premier est d'effriter les pouvoirs du DPP. »

Le travail du DPP sera-t-il réduit ? «Il ne lui restera que les homicides et autres petits délits», pense le Senior Counsel Sanjay Bhuckory. Il est lui aussi d'avis que la FCC pourra imposer des charges formelles et pas seulement provisoires en cour. Concernant les délits de corruption, Me Bhuckory a constaté une autre grave omission dans le FCC Bill. «Alors que la Prevention of Corruption Act (PoCA) prévoyait dans l'article 47 que l'ICAC réfère au DPP les affaires qui ne seront pas poursuivies après l'enquête préliminaire, ces dispositions ne figurent pas dans le FCC Bill. Cela permettrait à la FCC de glisser tranquillement un dossier dans un tiroir sans que personne ne le sache. Plus important, le DPP ne sera pas en mesure de demander de poursuivre l'affaire.» Son pendant sera aussi possible, le DPP ne pouvant plus demander l'arrêt d'une poursuite sauf s'il intervient en cour au cours du procès...

Mais ce sont surtout les pouvoirs accrus du directeur général de la future FCC accompagnés des pouvoirs réduits du DPP qui sont pointés du doigt. Roshi Bhadain nous rappelle qu'à sa création, le directeur de l'ICAC était choisi par une majorité de l'Appointment Committee composé du Premier ministre (PM), du président et du leader de l'opposition. Et à l'époque ce sont Karl Hoffman et SAJ qui avait le dessus sur le leader de l'opposition d'alors, Navin Ramgoolam. «Moi je préconisais en vain que le choix soit fait à l'unanimité. Ainsi, l'opposition ne passera pas son temps à critiquer le directeur de l'ICAC qu'elle aura choisi aussi. Mais pour soi-disant résoudre cette situation, Navin Ramgoolam a choisi de procéder à la nomination du directeur de l'ICAC par le PM après consultation avec le leader de l'opposition.»

Pour Rajen Narsinghen, constitutionnaliste, le gouvernement utilise tout simplement un «colourable device» pour enlever certains pouvoirs et fonctions au DPP pour les donner à la future FCC. Cela, sans amender l'article 72 de notre Constitution mais en modifiant de simples lois comme la Bail Act. «Dans les demandes de libération conditionnelle pour les affaires financières, le DPP n'aura plus son mot à dire. C'est extrêmement dangereux.» Il est convaincu que c'est une loi Ad Hominem, c'est-à-dire faite pour abattre un seul homme, Navin Ramgoolam. Pour ces raisons, Narsinghen pense que cette loi est inconstitutionnelle. «Seulement, le temps que cela prendra devant la justice, Pravind Jugnauth aura réussi son coup politique. Qui sait, s'il ne s'occupera pas de Paul Bérenger également après avoir 'blanchi' Ivan Collendavelloo.»

Et le directeur de la FCC ? Me Jacques Panglose, du PMSD, regrette que le gouvernement n'ait pas profité de cette occasion pour remédier à ce problème. «Je penche plutôt pour que le directeur soit désigné par un comité parlementaire après des audiences, comme cela se fait aux États-Unis. Cela s'applique à tous les postes importants.» Me Panglose a noté d'autres bizarreries dans le FCC Bill. «Pourquoi imposer sous l'article 53 une amende allant jusqu'à Rs 20 millions aux hommes de loi ? Cela va à l'encontre du principe de proportionnalité. Un homme de loi doit pouvoir être libre de défendre qui il veut.»

Violation de la présomption d'innocence

Me Panglose dénonce aussi l'article 38 (1) et (4) du FCC Bill qui prévoit respectivement que «A person may be convicted of a money laundering offence notwithstanding the absence of a conviction in respect of a crime which generated the proceeds alleged to have been laundered.» «(4) Notwithstanding section 184(f) of the Courts Act, the Court may consider the past conviction of any person prosecuted for a money laundering offence, to find or to reasonably infer that the proceeds subject matter of the money laundering offence emanates from a crime which that person has already been convicted of». L'avocat crie à la violation de la présomption d'innocence garantie par l'article 10 2 (A) de notre Constitution.

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