Ile Maurice: Entre peur et méconnaissance de leurs droits et responsabilités

4 Décembre 2023

Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux a choqué plus d'un. Une Bangladaise employée à la Compagnie mauricienne de textile a été victime d'une agression violente lorsque son copain a tenté de lui trancher la gorge, dimanche dernier, dans le dortoir des femmes. L'enquête policière a établi que l'agresseur aurait escaladé le mur à l'insu de la sécurité, aidé par une autre travailleuse du même dortoir, qui a été arrêtée et est détenue comme complice. Alors que les agressions d'ouvriers étrangers continuent, des questions sur leur sécurité et leur implication sont une fois de plus soulevées.

Dans la soirée de jeudi, des ouvriers étrangers vaquaient à leurs occupations alors que nous nous entretenions avec certains d'entre eux. Non loin de leur dortoir, se trouve leur lieu de travail, un supermarché. Le dortoir des femmes est séparé de celui des hommes et l'entrée est surveillée. L'un des ouvriers avec qui nous avons échangé nous affirme, de manière peu convaincante, que «les choses se passent bien», sans vouloir en dire plus. Un autre, qui nous a parlé sous le couvert de l'anonymat de peur de représailles de son employeur ou d'être expulsé, nous confie ses inquiétudes. «J'ai vu la vidéo de l'attaque sur Facebook. C'est choquant. Mais tout le monde n'est pas comme ça, nous sommes ici uniquement pour travailler.»

Lorsqu'on lui demande s'il ressent une insécurité, il répond : «Nous n'avons pas de personnel de sécurité qui surveille le dortoir des hommes, mais un cuisinier employé reste également sur place et s'occupe de tout. Environ quatre à huit personnes sont dans une chambre. Je suis ici depuis un an. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de bagarre ou de problème entre nous.» Il ajoute toutefois que les règles peuvent être très strictes, dépendant des employeurs. «Chacun a ses propres règles. Dans notre dortoir, les lumières s'éteignent à 22 heures. Nous ne pouvons pas non plus parler ouvertement parce que nous sommes nombreux dans la même pièce. Sur notre lieu de travail, nos téléphones ne sont pas en notre possession. Nous n'avons pas le droit de les utiliser, même pendant la pause déjeuner (...) La nourriture est payée par l'employeur alors que notre salaire de base s'élève à Rs 12 000 par mois. Nous faisons des heures supplémentaires pour subvenir à nos besoins.»

Un autre ouvrier, d'origine bangladaise, rencontré dans les environs et qui habite le même dortoir, confie que si, au nom de la sécurité, des règles brutales sont souvent mises en place, les conditions de travail et de vie ne sont pas décentes. Il précise que cela dépend de l'entreprise qui embauche. «Beaucoup confisquent également les passeports, affirmant que c'est pour notre protection. Mais en fait c'est pour que les ouvriers ne s'enfuient pas. J'ai payé Rs 250 000 à un agent recruteur pour venir ici. Beaucoup d'agents en ont fait une activité lucrative. Vous payez plus de Rs 250 000 en espérant de meilleures conditions ici, mais vous ne recevez que Rs 20 000 par mois et vous devez gérer les dépenses et envoyer de l'argent à votre pays d'origine pour récupérer le montant investi. Il vous faut jusqu'à un an pour récupérer les frais. Vous ne pouvez pas non plus partir parce qu'ils confisquent votre passeport.»

Interrogé sur le nombre d'heures qu'il consacre au travail, il répond : «12 heures par jour, dont une heure pour déjeuner, six jours par semaine», donc 66 heures par semaine pour un salaire mensuel de Rs 20 000. «Nous recevons une allocation pour la nourriture de Rs 1 300 que nous sommes censés utiliser pendant un mois. Mais les choses sont tellement chères ici et la nourriture qu'ils donnent à l'usine n'est pas bonne. Nous ne pouvons pas non plus utiliser nos téléphones au travail ou à l'heure du déjeuner...». Il poursuit : «Beaucoup préfèrent fuir ou travailler la journée sur des chantiers de construction où ils sont payés Rs 1 500 par jour. (...) Ils ne peuvent pas dénoncer parce que dès qu'ils le font, ils sont expulsés le lendemain.»

Ignorants et exploités

Dans le but de sensibiliser les ouvriers étrangers à leurs droits et responsabilités, l'organisation United for Human Rights, dirigée par Manishwar Purmanund, organise des sessions de sensibilisation en collaboration avec diverses entreprises. «Le travail est à deux volets : premièrement, les éduquer sur leurs droits et libertés, et deuxièmement, leur enseigner la responsabilité de respecter la loi et ces lois afin qu'ils ne commettent pas de délits.» Il constate que les barrières sociales et culturelles ne sont pas en faveur de la sécurité des ouvriers étrangers. «Nombre d'entre eux ne connaissent pas les lois en vigueur dans le pays où ils se rendent pour la première fois. La plupart pensent qu'il est normal de se comporter comme dans leur pays alors que l'éthique mauricienne est différente. Beaucoup ne sont pas éduqués et deviennent la proie d'agents recruteurs qui font de fausses promesses et demandent des sommes énormes. Une fois ici, ils doivent travailler pendant un an pour récupérer cette somme. Pour beaucoup d'employeurs, c'est un atout pour exploiter une main-d'oeuvre à bon marché, tout en les maintenant dans une situation de dépendance vis-à-vis d'eux et en les abusant. Mais nous avons également travaillé avec d'autres entreprises très positives qui développent les compétences de leurs travailleurs étrangers. Il reste encore beaucoup à faire.»

Faizal Ally Beegu: «Il faut revoir le mécanisme de sécurité»

Le syndicaliste qui représente les intérêts des travailleurs étrangers note qu'il est grand temps que le mécanisme de sécurité des ressortissants étrangers embauchés dans le pays soit revu. «Il est ironique, qu'au nom de la sécurité, de nombreuses entreprises fassent des dortoirs une prison pour les travailleurs, confisquant leurs passeports et téléphones parce qu'ils 'risquent d'être perdus'. Pourtant, lors du récent incident, un homme a pu accéder au dortoir des femmes malgré la présence d'un agent de sécurité à l'entrée, qui n'a rien vu et a pris du temps pour venir en aide à la victime. Tout cela montre que la sûreté et la sécurité restent un problème alors que beaucoup d'employeurs continuent à réprimer les travailleurs au nom de ladite sécurité.»

Faizal Ally Beegun souligne également qu'il existe un climat de peur des représailles chez les travailleurs qui veulent dénoncer les abus et l'exploitation. À titre d'exemple, il cite le cas récent d'un ouvrier indien à qui son employeur doit une somme énorme correspondant à son salaire. Lorsqu'il a porté plainte, il a été licencié le lendemain. «Lorsque les travailleurs s'enfuient, les entreprises mettent alors des primes sur leur tête. C'est une véritable chasse à l'homme. (...) Trente ans après que les travailleurs étrangers ont contribué à notre économie, sommes-nous prêts à assumer les responsabilités qui en découlent ou voulons-nous seulement profiter d'une main-d'oeuvre à bon marché ? C'est comme si nous disions, 'Taisez-vous, nous continuerons à vous exploiter'.»

Le syndicaliste lance un appel au personnel des ambassades et aux autorités locales concernées pour qu'elles effectuent des contrôles et organisent des séances de sensibilisation. Au 7 septembre 2023, on comptait 37 985 travailleurs étrangers dans divers secteurs, notamment l'industrie manufacturière, la construction et la boulangerie. Nous avons contacté la «Special Migrant Workers Unit» du ministère du Travail pour obtenir des informations sur le nombre de plaintes enregistrées et d'inspections effectuées, entre autres, cette année. À l'heure où nous mettions sous presse, une réponse était toujours attendue.

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