Ile Maurice: La corruption dans le privé également ciblée

5 Décembre 2023

Jusqu'ici, les délits liés à la corruption sous la Prevention of Corruption Act (PoCA) ne concernaient que les Public Officers, soit grosso modo les fonctionnaires ou employés d'un corps parapublic. La corruption dans le secteur privé n'était pas visée, sauf bien entendu si un employé ou dirigeant d'une compagnie privée est impliqué dans un acte de corruption avec un Public Officer.

L'Independent Commission Against Corruption (ICAC) peut se rattraper quand elle le veut, notamment sous l'article 3 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA), en poursuivant quelqu'un du privé pour le délit de blanchiment d'argent. Ce qui est assez rare dans une affaire de corruption puisque normalement, c'est le Public Officer qui reçoit des pots-de-vin et il pourrait être poursuivi pour blanchiment d'argent sale.

Sinon, un acte de corruption commis par quelqu'un du privé et n'impliquant pas un Public Officer ne peut être traité sous la PoCA. Par exemple, si un employé d'une compagnie privée a acheté un produit d'un fournisseur privé et qu'on découvre par la suite qu'il a reçu un pot-de-vin du fournisseur, pot-de-vin qu'il a gardé pour lui bien sûr sans le remettre à son employeur, ceci constitue un acte de corruption aux dépens de l'employeur. L'article 32 du Financial Crimes Commission (FCC) Bill viserait manifestement ce genre de pratique. Or, nous dit l'avocat Richard Rault, «c'est à la direction de la compagnie victime de prendre des actions contre l'employé indélicat à travers un comité disciplinaire et éventuellement, par un licenciement. L'employeur est aussi libre de faire une déposition à la police pour détournement de fonds notamment. Je ne vois pas pourquoi il nous faut une autre loi». Pour lui, l'article 32 du FCC Bill est trop succinct et, en même temps, trop vague et vaste. «Cela peut concerner beaucoup d'actes de quelqu'un du privé, actes qui peuvent bien se révéler licites par la suite. Et que dire si une 'gratification' a été approuvée par la direction!»

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Ce qui est certain, c'est que parfois des employés ou des actionnaires minoritaires lancent des alertes contre un employé ou un membre de la direction, cela, après avoir alerté en vain cette même direction ou le conseil d'administration. Nous, les journalistes, recevons d'ailleurs souvent ces dénonciations. Lorsque ces lanceurs d'alertes se tournent vers l'ICAC, cette dernière leur dit, avec raison, que cela ne la concerne pas...

Le problème, nous dit un directeur de compagnie, c'est que la nouvelle FFC pourrait mettre son nez dans les affaires internes d'une compagnie privée et même procéder à des saisies de documents ou de matériels informatiques. «Le temps que l'institution ou la justice se rende compte qu'il n'y a pas eu de délit, beaucoup de dégâts auront été causés.» Tout comme lorsqu'il s'agit d'un individu quand il est arrêté sous une inculpation provisoire. (Voir l'express du 3 décembre)

Cependant, l'article 32 du FCC Bill pourra permettre d'enquêter sur des actes de corruption au sein de grandes compagnies contrôlées par l'État, comme la SBM ou Air Mauritius. Il faudra toutefois que la FCC montre de la bonne volonté.

Le Bar Council convoque une réunion d'urgence

Rs 20 M d'amende. Ce chiffre semble bien faire plaisir au gouvernement. Il apparaît 37 fois dans le projet de loi sur la nouvelle mégastructure appelée la Financial Crimes Commission (FCC). Même les hommes de loi qui sont trouvés coupables de ne pas avoir respecté les procédures qui seront mises en place par la FCC seront passibles d'une amende de Rs 20 M. Probablement en raison de cette disposition et d'autres encore, le Bar Council a adressé hier une lettre à tous les avocats, leur demandant de lui envoyer d'urgence leurs opinions sur ce projet de loi. Le Bar Council les utilisera pour soumettre ses avis au gouvernement. L'article 52 (3) du «FCC Bill» prévoit que : «Any legal person who commits an offence under this Part shall, on conviction, be liable to a fine not exceeding 20 million rupees.» Ceci, en plus d'autres sanctions citées dans cet article concernant le délit de financement du trafic de drogue. Cette loi vise manifestement les hommes de loi qui défendent les présumés trafiquants de drogue.

Ce que dit l'avocat Milan Meetarbhan sur le «FCC Bill»

«Les Mauriciens sont inquiets de l'ampleur que prennent la fraude et la corruption dans le pays. L'arsenal juridique pour le combat contre ce fléau doit constamment être revu et mis à jour. Mais l'absence de l'efficacité des moyens qu'on se donne dans ce combat ne découle pas uniquement, ou forcément, des dispositions légales inadéquates. Elle résulte aussi de la capacité et de la volonté des institutions d'agir promptement, de façon impartiale et indépendante, dans le cadre de ce qui existe déjà.

Or, si ceux qui sont responsables de l'action biaisée ou de l'inaction des institutions prétendent vouloir renforcer le cadre légal, les Mauriciens sont en droit de se poser certaines questions. Est-ce qu'il existe une volonté réelle de renforcer le cadre législatif, vu le bilan de ceux qui se posent aujourd'hui comme ardents protagonistes du combat contre la corruption? Ou est-ce que la nouvelle initiative cache un autre agenda ? Si le régime veut démontrer sa bonne foi et éviter des soupçons, tout à fait légitimes d'ailleurs, au lieu de faire adopter une nouvelle loi en quatrième vitesse, que ce régime invite toutes les institutions concernées, les formations politiques, les associations professionnelles, les organisations non gouvernementales et la société civile à soumettre leurs propositions sur le texte du gouvernement, ceci, juste après la présentation en première lecture de ce projet de loi mardi.

Et de prendre l'engagement de discuter de bonne foi de la pertinence de ces propositions afin que la loi qui sera votée par le Parlement soit le reflet d'un large consensus national, même s'il n'y a pas d'unanimité. Cette loi ne sera alors pas celle de la majorité MSM au Parlement, mais de tous les parlementaires. Tenant compte de l'urgence de prendre des mesures pour combattre la fraude et la corruption, vu ce qui s'est passé dans le pays ces dernières années, il faudrait établir d'ores et déjà un calendrier précis.

Le projet de loi devra être présenté dès le début de la prochaine session parlementaire en mars-avril 2024 et adopté dans la sérénité après un débat sérieux sans qu'il y ait de la partisanerie, des récriminations mutuelles ou de discours creux et puériles. Le régime a une occasion exceptionnelle de montrer qu'il a la volonté réelle de doter le pays d'un cadre légal qui inspire confiance et recueille le soutien de la nation. Agir autrement voudrait dire que ce n'est pas cela qu'on souhaite mais au contraire, que l'on poursuit un agenda différent.»

«Il est temps d'introduire le juge d'instruction»

Pour l'avocat Parvez Dookhy, qui pratique aussi en France, le FCC Bill n'est présenté par le gouvernement que pour donner l'impression aux instances internationales qu'il combat la corruption. «En fait, rien ne va changer avec cette loi. Ce sera même pire car c'est le Premier ministre qui aura la mainmise sur la FCC à travers son directeur, qu'il va choisir. Ceci, alors que la corruption est surtout pratiquée au gouvernement.» Il regrette que la FCC n'inclue pas les crimes économiques car la corruption n'en fait qu'une petite partie. «Si on veut suivre l'exemple britannique, fort bien. Mais il faut savoir que les enquêteurs anglais sont beaucoup plus compétents et indépendants.»

C'est pourquoi Me Parvez Dookhy pense qu'il est grand temps d'introduire le système de juge d'instruction à Maurice. «Pourquoi les commissions d'enquêtes marchent-elles ? Parce que c'est un juge qui enquête.» Il est d'avis aussi que beaucoup d'affaires de corruption sont abandonnées par manque de preuves. «Contrairement à un meurtre par exemple, une corruption ne laisse pas de traces. Il faudra être plus flexible et libre dans l'admission de la preuve pour les crimes financiers.»

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