Le Mali et le Niger ont dénoncé mardi 5 décembre les conventions fiscales passées avec la France qui permettaient, depuis une cinquantaine d'années, d'éviter aux particuliers comme aux entreprises de payer des impôts - sur les revenus ou la succession par exemple - à la fois dans le pays de résidence et dans celui d'activité. En clair, il s'agissait d'éviter cette double imposition. Bamako et Niamey ont décidé de mettre un terme à ces conventions dans les trois mois. Une mesure économique, censée renflouer les caisses de ces deux États, mais également très politique.
Cette double dénonciation constitue d'abord un énième message de défi adressé à Paris. Les autorités maliennes de transition et le CNSP nigérien la justifient par « l'attitude hostile persistante de la France ». Aucun détail, mais l'argument est récurrent et fait toujours mouche auprès des soutiens des militaires qui ont pris le pouvoir dans ces deux pays.
Après la dénonciation des accords de défense, ou encore la suspension réciproque des délivrances de visas - pour ce qui concerne le Mali -, la suppression de ces conventions fiscales est une nouvelle étape du détricotage des liens unissant ces pays à la France désormais honnie.
Harmonisation des pays de l'AES
Éloignement d'un côté, rapprochement de l'autre : après avoir lancé il y a deux mois et demi l'Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont annoncé il y a trois jours leur volonté de créer une confédération et même, à terme, une fédération. Aucune échéance n'a été annoncée, mais les trois pays multiplient les actes de rapprochement. En supprimant les conventions fiscales qui les lient à la France, le Mali et le Niger se mettent en harmonie avec le Burkina, qui avait déjà pris cette décision au mois d'août.
Fait inhabituel et notable : Bamako et Niamey ont fait leur annonce ensemble, dans un communiqué conjoint. Le weekend dernier, c'est le Niger et le Burkina qui s'étaient mis en « conformité » avec le Mali en quittant la coalition militaire du G5 Sahel, ce que Bamako avait fait en mai de l'année dernière.
Mais cette décision n'est pas seulement politique : en rompant ces conventions fiscales, Bamako et Niamey entendent combler « un manque à gagner considérable pour le Mali et le Niger ». Les conséquences seront multiples, pour les entreprises et les particuliers français travaillant dans ces deux pays, mais également pour leurs propres ressortissants installés en France.
« Les Maliens de France seront les premiers touchés »
Entretien avec Oumar Berté, un avocat malien installé en France, également chercheur associé à l'Université de Rouen en politique et en droit public.
RFI : Quelles seront ces conséquences ? Qui devra payer quoi, où ça ?
Oumar Berté : En ce qui concerne les particuliers, ce seront surtout les ressortissants maliens qui sont en France qui seront touchés. Par exemple, en ce qui concerne l'impôt sur la succession, l'héritage qu'ils pourront percevoir sera soumis à l'impôt en France, mais aussi soumis à l'impôt au Mali, sauf à ce que le gouvernement du Mali prenne des mesures d'accompagnement. Je prends un autre exemple : s'agissant des personnes qui exercent une activité libérale ou indépendante, notamment les avocats, les architectes, les médecins, les artistes etc., avec cette mesure, ils seront soumis à une double imposition. Il s'agit également des étudiants ou des stagiaires maliens qui sont en France et qui perçoivent de l'argent de leurs proches installés au Mali. Cet argent n'était pas soumis à l'impôt en France, mais avec cette mesure du gouvernement de transition, ces montants, ces sous qu'ils perçoivent, doivent être déclarés au service des impôts en France.
La réciproque est vraie pour les Français qui travaillent au Mali ou au Niger. Mais ils sont moins nombreux. En revanche, il y a des entreprises françaises...
Dans l'autres sens, ce seraient plutôt les entreprises françaises qui travaillent au Mali qui seront touchées par cette mesure. Par exemple, la convention prévoyait que le revenu n'était imposable que dans l'État où se trouve le domicile fiscal. Avec cette dénonciation, les compagnies françaises qui font la liaison entre la France et le Mali -Corsair et Air France, si Air France venait à reprendre - seront impactées. Si ces entreprises sont taxées par le gouvernement malien, est-ce qu'elles ne vont pas répercuter ces impôts sur le prix de leurs billets ?
Mais les filiales des entreprises françaises qui sont installées au Mali sont, elles, de droit malien, elles paient déjà des impôts au Mali. Pour elles, quelles seront les conséquences ?
Il pourrait y avoir des conséquences en termes d'investissements, dans la mesure où, si elles doivent payer des impôts en France et au Mali, cela peut être dissuasif dans le cadre d'un investissement.
Bamako et Niamey estiment que ces conventions étaient « déséquilibrées », et que leur annulation leur permettra de récupérer « un manque à gagner considérable ».
À court terme, l'annulation de ces conventions va permettre à ces gouvernements d'avoir de la liquidité, mais dans la pratique, ce sont beaucoup plus les ressortissants de ces États, que ce soit du Niger ou du Mali, qui sont en France, qui seront impactés par cette dénonciation. Or, on le sait, s'agissant du cas du Mali par exemple, l'apport de la diaspora malienne dans l'économie malienne est très important. C'est un couteau à double tranchant.