Burkina Faso: Créances de la SONATER - Cette «mauvaise herbe» que l'Etat veut couper

L'Etat burkinabè s'est engagé dans une campagne de recouvrement de ses créances. Il en est ainsi des créances des différents fonds de développement tout comme celles de la Société nationale de l'aménagement des terres et de l'équipement rural (SONATER). Pour cette dernière, l'objectif est de récupérer 11 milliards de francs CFA. Une somme en majorité détenue par l'Etat lui-même à travers les subventions accordées lors de différentes opérations, auquel s'ajoutent des organisations professionnelles agricoles et des particuliers, parmi lesquels d'anciens dignitaires au pouvoir.

Pour comprendre l'origine des créances de la SONATER, un petit cours d'histoire s'impose. Cette société d'Etat a pour ancêtre le Fonds de développement rural (FDR). Créé en 1972 à l'initiative de la Banque mondiale, le FDR avait pour mission de mobiliser des financements auprès des partenaires techniques et financiers en vue de réaliser des projets de développement en faveur du monde rural. En 1985, sous la Révolution, le FDR, change d'appellation mais pas de missions. Il devient le Fonds de l'eau et de l'équipement rural (FEER).

Près de 3 décennies plus tard, en février 2014 plus précisément, le FEER fera à son tour place à la SONATER qui héritera de ses actifs mais aussi de ses passifs.

Conformément à son décret de création, la SONATER a pour objet d'exécuter à titre de Maîtrise d'ouvrage déléguée (MOD) pour le compte et au nom de l'Etat et de ses démembrements, des associations et de tout organisme de droit public ou privé, des projets et programmes dans les domaines suivants : les équipements en matériels agricoles manuels et motorisés ; les constructions rurales ; les aménagements des terres agricoles ; la défense et la restauration des sols. Elle peut également réaliser «toutes opérations commerciales ou industrielles, mobilières ou immobilières, financières, civiles, se rattachant directement ou indirectement à l'objet social ou à tous objets similaires ou connexes susceptibles de favoriser le développement de la Société», indique son texte fondateur.

La SONATER tire ses ressources des MOD qu'elle effectue mais aussi de l'achat-vente d'équipements.

Dans le cadre de ses activités, elle a lancé de 2017 à 2021 quatre opérations de vente à prix subventionné (entre 40% et 60%) de tracteurs et d'autres produits agricoles tels les motoculteurs, les motopompes, les égreneuses et les semoirs. Les bénéficiaires sont constitués de faîtières agricoles publiques et privées reconnues par l'Etat ainsi que des particuliers, lesquels doivent faire la preuve qu'ils sont bien des producteurs agricoles. Concrètement, ils doivent recevoir des agents terrain du département de l'Agriculture à savoir les chefs de Zone d'appui technique (ZAT), un document indiquant qu'ils sont producteurs agricoles tout en précisant la superficie de leur terrain et le lieu de production.

En principe, des conventions existent entre la SONATER et les structures bénéficiaires qui s'engagent à régler la facture une fois les équipements réceptionnés conformément aux pratiques qui prévalent en la matière. Quant aux particuliers, on ne leur fait pas crédit : ils doivent payer au comptant le matériel acheté.

Mais les choses n'ont pas toujours été ainsi d'où les difficultés de recouvrement auxquelles doit faire face l'institution aujourd'hui.

Le passif du PDMA

Dans le cadre de la promotion de la mécanisation agricole, une quête perpétuelle, l'Etat burkinabè, à travers le FEER, a mis en oeuvre entre 2008 et 2015 le Projet de développement de la mécanisation agricole et de Soutien au secteur hydraulique (PDMA-SSH), lequel projet a permis de vendre 825 tracteurs, 1 200 motopompes et 132 égreneuses.

A l'époque, souligne l'actuel directeur général de la SONATER, Issaka Compaoré, qui a pris service le 27 octobre dernier, les particuliers avaient été autorisés à soumettre une demande au FEER contre une garantie. Il s'avère en outre que le contrôle de ces « heureux bénéficiaires » de matériels subventionnés n'a pas toujours été strict et la vente a donné lieu à de petits arrangements entre amis et puissants du moment. «Parmi les bénéficiaires, il y a des ex-députés et des ex-ministres», glisse Issaka Compaoré tout en préférant, pour le moment, ne pas révéler l'identité de ces anciens gourous qui ne paient pas leurs crédits.

Dans le détail, selon le directeur de la mécanisation des filières agricoles de l'institution, Martial Lompo, sur les 11 milliards de créances, près de 500 millions sont liés à la vente des équipements agricoles du PDMA-SSH et sont détenus majoritairement par des particuliers et des autorités d'alors. 3,6 milliards de francs CFA portent sur la vente des équipements agricoles par la SONATER. Ces créances sont entièrement détenues par des structures de l'Etat et des organisations de producteurs.

Le reste, soit 7,5 milliards de FCFA, représente le montant des subventions à la vente des équipements agricoles issues des opérations de 2019 et 2021 que l'Etat n'a pas encore honorées.

Depuis que la question a été portée en Conseil des ministres du 8 novembre dernier, c'est un chassé-croisé pour entrer en possession des fonds. Pour ce faire, la SONATER, égrène son directeur général, va mettre en oeuvre une batterie de mesures. «Pour les organisations professionnelles, le ministère de l'Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, pourrait retenir à la source, les subventions annuelles allouées aux organisations professionnelles à concurrence du montant de leurs créances respectives au profit de la SONATER. Quant aux particuliers et aux autorités d'alors, la SONATER procédera à la publication de la liste des débiteurs dans un journal de la place à l'expiration du délai de rigueur qui sera donné lors des différentes relances qui sont en cours. Elle mènera aussi des démarches auprès du ministre de l'Economie, des Finances et de la Prospective, en vue de la prise de mesures visant à opérer des retenues à la solde pour les agents publics débiteurs de la SONATER», a-t-il détaillé.

Quid des créances de l'Etat lui-même ? Interrogé sur la question, le premier responsable du département de l'Agriculture a renvoyé la balle un peu plus haut. « Le ministère est un démembrement de l'Etat central. Il conduit la politique du gouvernement relevant de ses prérogatives. Une dette du ministère est donc une créance de l'Etat central. Il appartient donc au chef de l'Etat et au Premier ministre de donner des orientations par rapport au remboursement de cette dette. Donc en ma qualité de ministre, je ne peux pas vous dire comment mon département va rembourser une telle somme », a en effet réagi le commandant Ismaël Sombié.

Une autre difficulté qui risque de se poser lors de l'opération de recouvrement, c'est l'insolvabilité potentielle des clients. Mais le DG de la SONATER se veut rassurant. «Pour les structures de l'Etat et les organisations de producteurs agricoles, le problème de solvabilité ne se pose pas. Cependant, il est difficile de se prononcer sur la solvabilité des particuliers. En tout état de cause, l'Etat se donnera les moyens de recouvrer la totalité des créances, y compris en utilisant l'option judiciaire», a-t-il indiqué rappelant que le non-paiement des équipements enlevés a un impact négatif sur les aides du gouvernement à l'endroit du monde agricole puisque sa structure a besoin de renflouer ses caisses afin d'acquérir de nouveaux équipements pour d'autres producteurs.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est maintenant que les créances font autant l'objet d'une attention particulière. En effet, explique le ministre, dans l'offensive agropastorale et halieutique 2023-2025 qui a été lancée récemment, la mécanisation occupera un pan important. « Nous mettons un point d'honneur sur le recouvrement des créances car elles seront d'un grand apport pour l'acquisition d'équipements agricoles performants et leur mise à disposition des producteurs », a justifié le commandant Sombié.

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