Ile Maurice: Trois questions à Jean Claude de l'Estrac

7 Décembre 2023
interview

Un article du quotidien conservateur londonien «Daily Telegraph» vient de donner une douche froide aux espoirs mauriciens de retrouver notre souveraineté sur l'île de Diégo Garcia. Vous n'avez pas l'air surpris. Pourquoi ?

Il faudra d'abord attendre confirmation de ces «informations» qui semblent émaner, cependant, de sources officielles. Je pense que le Premier ministre devrait convoquer le haut-commissaire du Royaume uni pour vérifier l'exactitude de cet article.

Cela dit, seuls ceux qui ne sont pas des familiers de ce dossier pouvaient s'imaginer que le Royaume uni aurait pu conclure un accord de transfert de souveraineté à Maurice sans l'aval des États-Unis. L'article du Daily Telegraph qui cite une source du ministère britannique de la Défense est on ne peut plus catégorique : «Whatever solution you come up with, unless the Pentagon approves it, it's dead.» C'est clair. C'est ce que depuis le début des débats sur la question, je n'ai pas cessé de rappeler quitte à passer pour un antipatriotique.

D'où vous vient cette conviction ?

De mes recherches pendant plus de 30 ans et de la consultation de plus de 3 000 documents rapatriés des archives de Kew londonien et de la librairie du Congrès américain. Par une heureuse coïncidence, l'express a publié, ce mardi, un chapitre de mon livre qui traite de la question. Documents à l'appui, on apprend les raisons pour lesquelles les États-Unis ne veulent pas d'une présence chagossienne permanente dans l'île. Dans l'éventualité d'une acceptation de la souveraineté mauricienne, il est question d'un retour des Chagossiens à Diégo.

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De ce fait, selon la Charte des Nations unies, le Comité des 24 aurait le droit d'enquêter sur place pour connaitre «les conditions économiques, sociales, éducatives» de ces habitants qui ne «s'administrent pas eux-mêmes» en vertu de leur droit à l'autodétermination. Les militaires américains ne veulent absolument pas d'enquête onusienne sur le territoire qui abrite leur base ultra secrète. C'est la raison pour laquelle ils avaient demandé aux Britanniques de vider l'île de ses habitants. Ils s'opposent aujourd'hui à un retour en arrière.

Depuis les années soixante, le Pentagone a élaboré une doctrine dite «Stragetic Island Concept» qui incite les États-Unis à installer leurs bases militaires que dans des îles totalement contrôlées par eux ou leurs alliés proches. Ils considèrent qu'ils ont «acheté Diégo Garcia»,en vertu d'un accord financier avec Londres, leur allié le plus proche.

On aurait pu penser que suite à ses déboires diplomatiques - l'opinion de la Cour internationale de justice, la condamnation de l'Assemblée générale des Nations unies -, le gouvernement anglais ferait pression sur Washington pour qu'il accepte un deal négocié avec Maurice, mais ce n'est pas encore le cas. Le cabinet britannique, on l'a vue, est très divisé sur la question. Et à 12 mois des élections générales, la tentation sera de ne rien faire.

En définitive, à votre avis, qui déterminera un possible «deal» sur la souveraineté et éventuellement le paiement d'un bail pour l'utilisation du territoire ?

Les Américains. Les Américains cachés derrière leurs sujets britanniques! Je continue à penser qu'ils resteront hostiles à tout transfert de souveraineté sur Diégo ; la soi-disant crainte d'une menace chinoise est un faux prétexte. C'est la raison pour laquelle je pense que nous devrions faire preuve de pragmatisme. Nous ne pouvons pas espérer gagner contre la plus grande puissance militaire du monde. C'est malheureusement la loi du plus fort. Mais armée de son bon droit, reconnu par la communauté internationale, Maurice peut négocier un accord honorable. Vous conservez Diégo, we agree to disagree, mais vous nous rétrocédez les autres îles de l'archipel qui ont autant de prix à nos yeux. Péros Banhos, Salomon, Deux Frères, la soixantaine d'îles de l'archipel sont autant dignes de notre attachement.

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