Ile Maurice: Toute la nuit à même le sol

7 Décembre 2023

Il ne se passe pas un jour sans que cette file d'attente ne suscite des interrogations. Chaque jour, plus d'une centaine de travailleurs étrangers se tiennent aux abords de différentes agences de transfert d'argent pour envoyer une partie de leur salaire à leurs proches, restés au pays natal. Hier matin, c'est à la rue Sir William Newton à Port-Louis que nous les avons rencontrés et ils ne se sont pas fait prier pour partager les difficultés qu'ils rencontrent.

À peine le soleil pointe-t-il le bout de son nez sur la capitale que déjà, la rue Sir William Newton est animée. Surtout aux abords d'une succursale spécialisée dans l'envoi de fonds vers l'étranger. Une centaine de travailleurs étrangers, principalement des Bangladais, sont debout en file indienne et attendent l'arrivée d'un responsable qui leur attribuera un ticket. «Il y a un numéro dessus et en effectuant un petit calcul, nous saurons vers quelle heure nous aurons la chance d'envoyer une partie de notre salaire à nos proches», explique Ali. Sur place depuis 4 heures, il a obtenu le numéro 59. Et il s'estime chanceux.

Ce n'est malheureusement pas le cas pour Nashreen. Arrivée vers les 6 heures, elle devra repasser un autre jour. En effet, elle n'a pas réussi à obtenir le précieux 'sésame'. Cette situation est le quotidien de milliers de travailleurs étrangers. «Il faut être devant le bâtiment aux aurores car autrement, il faudra revenir le lendemain», raconte Nashroodin. À Maurice depuis bientôt cinq ans, il fait aussi face à cette réalité. «Il y a un groupe qui est venu depuis 17 heures, hier. Ils ont passé la nuit sur place afin d'être sûrs d'être les premiers à passer. Ils dorment à même le sol sur des cartons.» Comment font-ils pour se nourrir ? «L'un d'entre eux est responsable d'aller chercher de quoi manger.» Il ajoute que les week-ends, la situation est pire. «Le samedi soir, ils sont parfois plus d'une vingtaine à passer la nuit sur place.»

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Mais pourquoi viennent-ils si tôt ? Nashroodin explique la situation. «Chaque jour, un nombre limité de personnes peut envoyer de l'argent à leurs familles, généralement entre 100 et 150 personnes. Cela s'applique également aux montants pouvant être envoyés, qui varient entre Rs 25 000 et Rs 10 000, dépendant des jours. Cela pose un sérieux problème. Par conséquent, si nous devons envoyer Rs 30 000, il faudra venir à deux ou trois reprises en fonction de la limite fixée par l'agence de transfert.» C'est pourquoi, chaque jour, les files d'attente restent interminables. Mais ce qui est encore plus pénible, c'est qu'après avoir passé plusieurs heures à attendre leur tour, ces étrangers doivent se rendre au travail. «La fatigue, le manque de sommeil, c'est un stress permanent.»

Et malheureusement, ils ne sont pas épargnés par les voleurs. Saïd en a fait les frais. Ce dernier est encore sous le choc lorsque nous l'avons rencontré hier. Son sac, contenant son salaire, a été volé aux petites heures du matin. «Il avait envie d'aller aux toilettes mais comme tout est fermé à cette heure matinale, il a pris la direction du chemin menant vers le marché central. Et, à l'intersection, un groupe d'individus lui est tombé dessus. Il a perdu une somme de Rs 100 000, fruit de plusieurs mois de travail et d'heures supplémentaires. Plus grave encore, son passeport et son permis de travail étaient également dans son sac. Déboussolé, il n'ose même pas aller porter plainte à la police», confie Ali. Ce dernier ajoute que les travailleurs étrangers sont des cibles faciles car les voleurs savent qu'ils ont beaucoup d'argent en leur possession. Ils font une fois de plus une requête aux policiers. «Nous demandons à la police si elle ne pourrait pas effectuer des rondes régulières ou même se mettre aux abords de ces agences pour assurer notre protection.»

Cependant, les responsables des agences de transfert d'argent ont une perspective différente. Ils se plaignent de l'indiscipline de certains étrangers, en particulier des Bangladais. «Souvent, ils menacent les employés des agences, que ce soit lorsqu'ils veulent envoyer plus d'argent que la somme spécifiée ou encore lorsqu'ils n'ont pas obtenu leur ticket qui leur permet de transférer de l'argent le même jour.» Un autre employé a même confié que les travailleurs essaient de les soudoyer pour arriver à leurs fins. «Comme ils doivent produire leurs passeports pour effectuer la transaction, ils y glissent une somme d'argent dans l'optique de corrompre le préposé. Certaines femmes n'hésitent pas à offrir des faveurs sexuelles en échange de la possibilité d'envoyer plus d'argent à leurs proches.»

D'après le ministère du Travail, pour l'instant, un accord a été conclu entre Maurice et l'Inde pour simplifier les procédures de transfert d'argent pour les travailleurs étrangers de ce pays. Il est prévu que cette démarche soit étendue pour inclure ceux d'autres nationalités.

*Fayzal Ally Beegun : «que les agences de transfert d'argent apportent un soutien aux travailleurs étrangers»

Pour éviter que l'image de Maurice ne soit ternie par des photos montrant ces personnes dormant sur des cartons devant ces agences de transfert d'argent, le syndicaliste Fayzal Ally Beegun demande à ces dernières d'agir. «Que ces agences déploient du personnel vers les compagnies où travaillent ces personnes afin de leur éviter de transporter autant d'argent en espèces avec elles, compte tenu du climat d'insécurité qui prévaut dans le pays. Que ces compagnies les aident à effectuer ces transferts le plus rapidement possible. Il ajoute qu'il ne faut pas oublier que ces travailleurs contribuent à l'économie du pays.

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