Afrique de l'Ouest: M. Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la Bceao – « Les perspectives sont bonnes malgré les risques et les incertitudes »

M. Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la Bceao
8 Décembre 2023
interview

 Au terme de la dernière réunion ordinaire 2023 du Comité de Politique Monétaire de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), qui s’est tenue le mercredi 6 décembre à Dakar, le président de cette instance, M. Jean-Claude Kassi Brou est revenu sur les raisons qui expliquent les hausses des taux directeurs de l’Institut d’émission. Son face à face avec la presse lui a également permis de dissiper les craintes par rapport aux crédits à l’économie. Le Gouverneur de la Bceao a aussi jeté un regard sur les perspectives 2024 qu’il juge bonnes malgré les risques et les incertitudes.

M. le Gouverneur est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur les raisons de l’augmentation des taux directeurs de la Banque centrale ?

Nous venons de terminer la quatrième réunion du Comité de politique monétaire de l'année 2000 et, après avoir analysé la situation économique, monétaire et financière dans notre union, tenant compte des évolutions au plan international et surtout l'évolution de l'inflation, nous avons une inflation qui se situe, pour l'année 2023, à 3,7%. Certes, ça baisse.Dans letroisième trimestre 2023, l’inflation est ressortie autour de 2,9%. Donc on sent une dynamique baissière mais dans la moyenne annuelle, nous sommes toujours à 3,7 % qui est encore au-dessus de notre cible. C'est un élément que nous avons pris en compte.

Nous avons également pris en compte les nombreux facteurs de risques. Les questions au niveau international d’abord, le gros des risques c’est sur les prix des produits énergétiques et alimentaires, compte-tenu des tensions internationales qu’on voit un peu partout dans certaines régions (Proche-Orient, Ukraine, en particulier) mais également dans d’autres zones géographiques.

%

Il y a les facteurs de risques au niveau régional, avec la question de sécurité qui joue directement sur l'approvisionnement des marchés et donc un impact sur les prix. Les questions de tensions sociopolitiques également dans la région ne sont pas à ignorer.

Tous ces facteurs de risques, d'incertitudes ont joué dans l'analyse qui a été faite par les membres du Comité de Politique Monétaire.

Ensuite, un deuxième élément également qui a été pris en compte, c'est que nous avons examiné le fait quedans la plupart des places financières au niveau international, les banques centrales ont maintenu, pour le moment, leur taux directeur à des niveaux élevés pour lutter contre l'inflation chez eux.

Ces taux directeurs élevés dans ces places financières de banques centrales partenaires, évidemment, rendent   notre zone moins attrayante. Quand on compare, les taux directeurs là-bas, ils sont nettement plus élevés que chez nous et ça fait évidemment que notre zone est un peu moins attrayante pour les mouvements de capitaux.

Enfin, Il y a un troisième facteur qui a joué. Quand on regarde un peu l'évolution sur les agrégats extérieurs, il était important de réduire un peu la demande sur les transferts pour maintenir donc la stabilité des comptes extérieurs de notre zone.

Ces trois facteurs ont milité pour une hausse du Taux Directeur de la Banque Centrale. Ainsi, on a décidé d'augmenter les taux directeurs de 3,25% à 3,50%. C'est un taux qui est encore parmi l’un des plus faibles que ce soit dans notre région au niveau d’Afrique de l'Ouest et même sur le continent. Mais c'est en ligne avec l'évolution de la situation économique globale dans notre région.

Parce que si vous comparez les taux d'inflation, vous voyez qu’elle reste encore élevée, même en termes de performances. Nous sommes en tout cas bien classés. Maintenant les taux de réserve obligatoire que les banques doivent appliquer, sont maintenus inchangés.

Est-ce que cette hausse du taux directeur ne risque pas de diminuer les crédits à l'économie ?

Nous avons examiné tous ces aspects. Je l'ai dit, on a pris en compte la situation internationale et la situation dans notre région. Les évolutions de certains agrégats que j'ai déjà évoqué. Nous avons également regardé l’évolution des crédits à l'économie. Le financement des activités économiques dans la région est un élément important. De ce point de vue, il faut indiquer que la situation ne devrait pas être impacter négativement.

Il faut noter que la croissance économique dans notre région reste soutenue. Nous devrions finir l'année à 5,7 % de croissance. C'est ce qu'on a enregistré au troisième trimestre et quand on fait un peu les estimations annuelles, on devrait être à ce niveau. C'est un taux de croissance qui montre que l'activité reste soutenue et très dynamique. Cette activité est financée donc par les banques.

Quand on regarde les crédits à l'économie, ils ont augmenté en 2023 de l'ordre de 13 %. C'est quand même un taux confortable et quand on va plus loin et qu'on regarde les crédits qui sont faits au secteur privé, parce que ce sont les entreprises qui investissent et qui prennent  toutes les initiatives de création de la richesse, ils augmentent pratiquement de 15 % au troisième trimestre de l'année 2023. De ce fait ça reste soutenu.

Si vous allez encore plus loin, en regardant les crédits aux ménages qui soutiennent et accompagnent, la consommation de ceux-ci (ménages), ça reste un élément important pour la croissance économique donc les crédits aux ménages augmentent à presque 10%, donc 9,8 %.

Globalement, toutes les composantes de crédits à l'économie, le financement de l'activité économique augmentent. C'est ça qui permet d'avoir une croissance économique autour de ces 5,7 %. Quand on fait le point sur pratiquement les neuf premiers mois de l'année, la croissance économique est déjà acquise. Nous sommes déjà à plus de 5 % et ça veut dire que la probabilité d’atteindre les 5,7% est très forte.

Au regard de toutes les incertitudes au niveau mondial et régional, quelle est votre analyse sur les perspectives économiques de l’Union, notamment en 2024 ?

J'ai parlé de la situation économique en 2023.On devrait avoir une croissance qui va tourner autour de 5,7 %. Quand on se projette sur 2024, les analystes de la Banque Centrale indiquent qu'on devrait avoir une croissance même supérieure.

On pense que nous devrions nous situer à un taux de croissance entre 6    et 6, 5% parce qu’en plus de ce que nous avons évoqué dans les activités qui sont quand même assez soutenues dans les différents secteurs dont l'agriculture et le secteur industriel. Nous avons des projets importants qui devraient entrer en phase de production. Nous avons des grands projets pétroliers et gaziers au Sénégal. Nous avons des projets au Niger. Nous avons fait l'hypothèse que la crise au Niger sera réglée en 2024. Ainsi , les exportations de produits pétroliers, vont se faire.

On a pris en compte également le développement du secteur minier. Il y a plusieurs mines qui doivent rouvrir au Mali, au Burkina. En plus de ce que nous avons déjà comme développement du secteur agricole dans les différents pays, le secteur de la transformation agro-industriel, la croissance économique serait plus forte en 2024 qu’en 2023. C'est une très bonne nouvelle. Cela veut dire que notre zone continue à se développer. Nous pensons également que l'inflation, avec les mesures qui sont prises par la Banque Centrale et celles prises par les gouvernements pour lutter contre la vie chère, devraient poursuivre sa dynamique baissière. Nous pensons qu’en 2024, nous allons rentrer dans notre cible qui est compris entre  1 et  3%.

Nous pensons que les perspectives sont bonnes malgré les risques et les incertitudes. C’est un peu pour ça que nous nous réunissons pour pouvoir apprécier l'impact de ces risques. Et si ça se réalise, nous réagirons en étant assez souple pour prendre des mesures idoines dès que ces risques se matérialisent.

 

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.