TUNIS/Tunisie — TUNIS,8 déc. (TAP, par Fatma Chroudi)- Plus de douze ans après le début de la guerre en Syrie, la plaie est toujours ouverte chez les Syriens en exil, notamment les artistes. Dans son nouveau spectacle « Âmes migrantes », le metteur en scène et comédien Meher Salibi propose une oeuvre poétique sur la hantise de milliers de Syriens comme lui ayant été obligés de quitter leur pays.
La pièce mise en scène et écrite par Maher Salibi est parmi les 11 spectacles arabes et africaines dans la course aux Tanits de la 24ème édition des Journées théâtrales de Carthage qui se déroulent, du 2 au 9 décembre 2023, à Tunis.
A l'issue de la deuxième séance de son spectacle, jeudi soir au 4e art, le metteur en scène a eu une rencontre avec le public dont de jeunes tunisiens et des artistes arabes, Syriens et Irakiens, présents aux JTC.
Aram et Cham : une histoire inachevée d'amour et d'exil
Meher Salibi est également au casting réunissant les artistes Moayad Alkharrat et Miryana Maalouli. Les chorégraphies, oeuvre de Alaa Kremid, sont interprétées par Lana Fahmi, Mazen Nahlawi, Rama Khalifeh et Luis Alberto Bahamon. La musique est signée par Karam Sleibi avec Radwan Zarki aux lumières et Layal Abou Zein Edin aux décors.
« Âmes migrantes » ou « Tarhal », titre en arabe, est l'histoire un récit poétique sur une histoire d'amour et d'exil en temps de guerre, dédié à l'âme de son ami le grand artiste Hatem Ali.
C'est une œuvre entre théâtre et danse où l'aspect dramatique est dominé par la poésie des mots et des mouvements des chorégraphes. La narration et la poétique de ces chorégraphies a renforcé le jeu d'artistes à travers une écriture redessinant les contours d'un passé et d'un présent qui s'entremêlent.
« Une guerre folle est ouverte chez nous, je ne sais plus comment peindre, mes doigts sont comme paralysés à force de voir des souffrances et des malheurs. Pourquoi doit on subir tout ça, pourquoi, pourquoi ? s'écrie Aram (artiste-peintre), le personnage principal en s'adressant à Cham (architecte), sa bienaimée qu'il a laissée derrière lui après avoir quitté pour l'Occident.
Leurs retrouvailles ne vont jamais avoir lieu : Aram est décédé avant qu'il puisse la revoir dans son pays d'accueil. Il laisse à Cham et à tous ceux qui comptaient pour lui, une lettre dans laquelle il s'excuse d'être mort.
« Je fais partie de ces Syriens ayant fui le pays car je ne pouvais supporter le malheur qui a eu lieu en Syrie », a déclaré le metteur en scène qui a immigré depuis le début de la guerre voulant ainsi « garder dans ma tête et celle de mes enfants, cette image d'une Syrie belle et historique », a-t-il dit.
« On a beaucoup perdu, on a tout perdu », affirme Meher Salibi qui est parmi beaucoup de créateurs ayant quitté le pays. Pour cet artiste à la sensibilité extrême « ce qui s'est passé en Syrie était plus fort que nous .. ». C'est ce qu'a affirmé la comédienne Miryana Maalouli (Sham) qui a déclaré « la douleur qu'on vécue dans notre pays et celle de l'exil refusent de s'en aller ». La seule condition de sa guérison est dans «l'amour et l'affection, deux éléments fondamentaux pour chaque être humain afin qu'il puisse continuer à vivre normalement », a-t-elle brièvement fini par dire.
A travers « Tarhal », le metteur en scène voulait, comme il l'a bien affirmé, « exprimer, même avec une contribution assez modeste, comment on a vraiment commencé à chercher le voyage.. on se déplace continuellement d'un endroit à la recherche de sécurité ». Il assimile ce voyage à celui « des tribus nomades qui sont souvent en déplacement, à la recherche d'un lieu sûre pour s'y installer. »
Il jette la lumière sur le vécu du peuple Syrien devenu « aujourd'hui dispersé dans les quatre coins du monde » et de gens qui étaient « forcés à quitter mais qui ont bien réussi dans leurs pays d'accueil ». Son objectif était essentiellement de parler des Syriens qui sont dans le secteur de création aussi bien tous ceux dans les autres secteurs ayant faits de grands exploits, qu'il s'agisse du secteur culturel ou autre disciplines, telles que la médecine, l'art culinaire ou autre.
Récit poétique en hommage à Hatem Ali et tous les artistes en exil
Cette oeuvre théâtrale constitue « un message et un hommage posthume » que Meher Salibi dit avoir voulu rendre à son ami Hatem Ali qui était l'un de ses amis créateurs syriens décédés en dehors du pays. Ce pionnier du drame historique est mort au Caire le 29 décembre 2020, à l'âge de 58 ans, laissant derrière lui un important héritage dramatique et historique.
Hatem Ali est parmi d'autres comme les artistes plasticiens, les professionnels du cinéma, du théâtre et de la télévision à qui Meher Salibi voulait rendre hommage.
Le metteur en scène aborde la question de la guerre d'un point de vue poétique dans rentrer dans l'aspect sanguinaire qui caractérise les images de guerre. « Je suis obligé de faire ce genre d'oeuvres, une histoire d'amour qui est née au coeur de la guerre et de l'immigration. L'idée était aussi de « montrer que même cette histoire d'amour est inachevée, en dehors du pays ».
Meher Salibi mentionne les films en temps de guerre, disant que les principaux films réalisés sur la Guerre mondiale sont ceux ayant été fait, plusieurs années, après la guerre.
Il souligne avoir opté pour une histoire d'amour inachevée, comme toutes les célèbres histoires d'amour, de Kais et Layla à Roméo et Juliette et bien d'autres. A travers l'histoire de Aram, qui est un ancien prénom syrien et Cham qui renvoie à l'une des appellations désignant Damas la Capitale syrienne. Cham et Aram en tant que acteurs et Cham et Aram en tant que chorégraphes.
La responsabilité, selon lui, était d' "écrire sur cette douleur qui habite la Syrie tant qu'elle souffre toujours. Le jour où le pays se rétablira, de belles choses seront certainement racontées sur la Syrie et les Syriens".
Ce spectacle produit par « Sima performing arts, une troupe indépendante, sans financements extérieur », qui est présenté en avant-première en Tunisie qui est parmi les pays dont le metteur en scène et comédien Meher Salibi, actuellement installé aux Émirats arabes-Unis, avait l'habitude de visiter.