Afrique: Les conflits et les crises révèlent la partie émergée de l'iceberg auquel les populations vulnérables sont confrontées s'agissant d'exercer leur droit à la santé

Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (à gauche) et M. Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
10 Décembre 2023
tribune

Il y a soixante-quinze ans, dans les cendres de la Deuxième Guerre mondiale et des souffrances humaines sans précédent qu’elle a causées, les nations ont esquissé les moyens de poser « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », en garantissant les droits fondamentaux de tous, partout.

Ce principe a été inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948. Cette même année a vu la création de l’Organisation mondiale de la Santé, dont la Constitution a consacré la santé comme « l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ».

À l’occasion du 75e anniversaire de ces événements historiques, nous devrions célébrer les grands progrès accomplis dans la promotion des droits de la personne et l’amélioration de nombreux indicateurs de santé essentiels.

Mais alors que l’année 2023 touche à sa fin, le monde est à nouveau plongé dans la guerre et la crise. Les conflits à Gaza, en Israël, en Éthiopie, au Soudan, en Ukraine, en Russie, au Myanmar et ailleurs ont causé des souffrances inimaginables, malgré les appels répétés au respect du droit international humanitaire. Les populations ont été aux prises avec les conséquences de tremblements de terre, d’inondations et de sécheresses, aggravées par la crise climatique.

Des établissements et des personnels de santé figurent parmi les victimes de ces crises, et un bien trop grand nombre de personnes sont mortes inutilement ou ont subi des préjudices physiques catastrophiques.

L’angoisse visible sur nos écrans choque profondément et provoque la colère. Et pourtant, ces images de bains de sang ne sont que la partie émergée de l’iceberg d’atteintes encore plus généralisées au droit à la santé de centaines de millions de personnes.

Car une fois passées les crises aiguës, l’exclusion et la discrimination sous-jacentes demeurent. Pour mettre fin à ces violations évitables des droits, les leaders mondiaux et autres détenteurs de pouvoir et de responsabilité doivent prendre au sérieux leur devoir de garantir le respect, la protection et la réalisation des droits humains.

Les civils paient le plus lourd tribut et, inévitablement, ce sont les plus pauvres et les victimes de discrimination qui souffrent le plus. La pauvreté, la discrimination et d’autres facteurs rendent les populations plus vulnérables aux catastrophes – et rendent les sociétés plus susceptibles de sombrer dans la violence.

Pour mettre fin aux conflits et aider les communautés à mieux se préparer et se protéger contre les catastrophes, nous devons nous attaquer à la pauvreté, à la marginalisation et à la discrimination systémiques, et démanteler les structures économiques et politiques qui les alimentent.

Pour ce faire, il faut donner la priorité aux plus vulnérables en promouvant la paix, en prévenant la pauvreté et en protégeant les populations les plus à risque.

Et pourtant, tandis que la richesse mondiale atteint des sommets inédits, il en va de même des inégalités structurelles.

En 2022, les 10 % les plus riches de la population mondiale contrôlaient 76 % de la richesse mondiale totale, alors que la moitié la plus pauvre n’en contrôlait que 2 %. Les riches exercent une influence disproportionnée sur la façon dont nos économies et nos sociétés sont régies.

La COVID-19 a fait clairement ressortir ces disparités. Le Groupe d’intervention mondiale face aux crises alimentaire, énergétique et financière des Nations Unies rapporte que les revenus de 60 % des travailleurs sont inférieurs à leur niveau d’avant la pandémie. Or, ces mêmes travailleurs ont joué un rôle déterminant dans notre sortie de la crise. Leurs difficultés économiques tournent en dérision la reconnaissance qui leur est due.

Selon le dernier Rapport sur les inégalités dans le monde, la lutte contre la pauvreté mondiale a subi un grave revers sous le coup de la COVID-19. En 2020, l’extrême pauvreté dans le monde a augmenté de 8,4 % par rapport à 2019, plus de 70 millions de personnes supplémentaires étant tombées dans l’extrême pauvreté. Les plus pauvres ont perdu deux fois plus de revenus que les plus riches, et les inégalités mondiales se sont creusées pour la première fois depuis des décennies.

La pauvreté et les inégalités aux proportions si démesurées ne nuisent pas seulement aux individus ; elles minent profondément l’harmonie sociale et la paix. Personne ne peut souhaiter vivre dans un tel monde ni le laisser en héritage aux générations à venir.

Ce n’est toutefois pas une fatalité. Une approche mieux fondée, reposant sur les droits humains, de nos sociétés, de nos économies et de la recherche de la paix, peut amplifier les effets des politiques pour renverser la situation.

Les gouvernements peuvent prendre des mesures pour protéger les populations des chocs soudains qui ébranlent les sociétés, qu’ils soient provoqués par l’échec de l’économie, des tremblements de terre, des catastrophes causées par le climat, des conflits ou des pandémies.

Car nous savons que lorsque le calme revient après une crise aiguë, les souffrances des populations les plus à risque, elles, persistent : la Banque mondiale estime que d’ici 2030, 46 % des pauvres du monde vivront dans des zones qualifiées de fragiles ou touchées par des conflits. L’insécurité alimentaire[1]  est deux fois plus répandue dans ces régions.

Les droits humains doivent guider les décisions d’investissement afin de réduire les risques de crise. Les droits doivent être placés au centre de la prévention et de la résolution des conflits. Les sociétés fondées sur les droits de la personne sont les plus susceptibles de maintenir des relations pacifiques et d’éviter l’escalade des conflits.

À la veille d’une nouvelle année, tandis que nous appelons à la paix et à la protection des droits humains et de la santé, nous exhortons également à réaffirmer fermement notre détermination à mettre fin à la pauvreté.

Le Conseil de l’OMS sur l’économie de la santé pour tous a mis en évidence une contradiction flagrante : « alors qu’au moins 140 pays reconnaissent la santé comme un droit humain dans leur constitution, ils ne sont à ce jour que quatre à évoquer comment la financer. »

Nous ne devons pas considérer la santé comme un coût ni comme un luxe dont seuls ceux qui en ont les moyens peuvent jouir. La santé doit être considérée comme un investissement crucial dans le bien-être de l’humanité. Une économie juste promeut l’égalité, investit dans les soins de santé et veille à une répartition équitable des ressources.

Toutes les décisions économiques, budgétaires, monétaires, commerciales et d’investissement nationales devraient être considérées et gérées sous l’angle de la santé et des droits de la personne.

En ce sens, la lutte contre la pauvreté, la priorité accordée à la paix, les investissements consacrés à l’éducation, la garantie de salaires équitables et l’élimination de toutes les formes de discrimination sont des étapes indispensables pour réaliser le droit à la santé pour tous et construire une société juste et pacifique.

La voie à suivre pour l’humanité est claire : il est temps d’arrêter de faire passer la richesse avant la santé. Ce n’est qu’en protégeant les personnes les plus menacées de la pauvreté, des crises et des inégalités que nous parviendrons à une paix, une prospérité et une santé durables pour tous.

Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus est le Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé et M. Volker Türk est le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.


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