Tunisie: Fethi El Ouasti, ancien ailier de l'OB et de l'EST - «Les gens ont des jambes, moi, j'ai des ailes qui me font voler !»

10 Décembre 2023
interview

Première accession des Cigognes en D1, puis le grand saut au Parc «B» : l'histoire de Fethi El Ouasti, insaisissable dribbleur et funambule du ballon rond, ressemble à un conte de fées quand bien même sa carrière de cinq ans à l'Espérance n'a pas été un long fleuve tranquille.

Né le 12 janvier 1957 à Béja, c'est en 1964 qu'El Ouasti signe sa première licence chez les Ecoles de l'OB et dispute son premier match senior en 1974 contre l'EA Mateur (2-0) en... D3. Entre 1979 et 1984, il rejoint l'Espérance, avant de retourner à Béja où il conclut sa carrière en 1990. L'enfant de la ville sucrière a joué une dernière saison à Nadi Sour d'Oman. International de 1979 à 1982, El Ouasti a engrangé le championnat de Tunisie 1982 avec l'EST, et assuré l'accession de l'OB en D1 en 1984.

Fonctionnaire au Groupement chimique tunisien de 1980 à 2011, notre invité de cette semaine est marié et père de trois enfants.

Fethi El Ouasti, en 1984, vous quittez précipitamment l'Espérance Sportive de Tunis. Vous étiez pourtant à votre apogée. Pour quelles raisons ?

Des gens m'ont poussé vers la porte de sortie. A Bab Souika, j'ai savouré la joie et connu l'amertume. J'ai été recruté de Béja pour apporter le plus. Malheureusement, des gens ne voulaient pas de mon arrivée, y compris quelques joueurs qui me qualifiaient en catimini de «barrani» (quelqu'un qui nous est étranger) venu occuper la place d'un enfant du club. Khaled Ben Yahia commandait les vestiaires. La mentalité était telle. Cela peut certes étonner aujourd'hui quand on connaît l'origine des joueurs composant l'effectif seniors. Mais on était encore dans l'amateurisme. Que de fois, vida-t-on un seau d'eau froide en plein hiver sur moi, ou me mit-on au lit du piment qui me faisait gratter toute la nuit.... Bref, j'ai rencontré des écueils inimaginables.

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Pourquoi tant d'hostilité ?

On a voulu se débarrasser de moi très vite parce que, depuis mon arrivée au Parc «B», le public espérantiste--un grand public qui transmet à ses favoris une charge unique--scandait désormais: «El Ouasti, Yal Ouasti !». J'étais timide et ne savais pas frapper aux portes. Je ne me plaignais jamais. Pourquoi ne m'avait-on pas laissé m'épanouir et voler de mes propres ailes ? Etait-ce par pure jalousie, par bêtise. En tout cas, chaque fois que les souvenirs refluent, les larmes me viennent spontanément.

N'y eut-il pas des joueurs pour vous défendre ?

Il y eut Nabil Maâloul, quelqu'un de très éduqué qui avait le courage de me défendre. Il venait de débarquer, mais il a chambardé les équilibres dans les vestiaires «sang et or» d'autant plus qu'il n'avait pas froid aux yeux.

Vous rappelez-vous de votre dernier match avec l'EST ?

Oui, je savais que j'allais partir. Roger Lemerre, qui a succédé à Mrad Mahjoub, a préféré me laisser sur le banc. Le score était toujours nul (0-0) jusqu'au dernier quart d'heure. Notre entraîneur se décida enfin à m'intégrer. Tout de suite, j'ai débordé côté droit, Abdelhamid Kanzari a coupé la trajectoire de mon centrage, ouvrant le score. Quelques minutes plus tard, rebelote. Cette fois, c'était Feddou qui a conclu mon action dans les filets. Aux vestiaires, Lemerre m'a dit: «Oui, je sais que vous avez été le meilleur aujourd'hui, que vous avez largement votre place. Mais je ne peux rien contre la décision du club. C'est plus fort que moi !». Il devait lui aussi quitter l'Espérance, pour être relevé par le Brésilien Amarildo.

Peut-être vous reprochait-on un manque de sérieux aux entraînements ?

Jamais de la vie. Durant le stage à la Soukra, au domicile d'Ali Noômene, un parent au président Habib Bourguiba, je me réveillais à cinq heures du matin. Alors que mes coéquipiers dormaient encore, j'effectuais un footing jusqu'au lieu où se trouve Carrefour aujourd'hui. Pour mériter la place de Temime, parti en France, et pour battre la concurrence de Feddou, il fallait courir encore plus vite. Larbi Zouaoui me demandait toujours comment je faisais pour me sortir de trois joueurs dans un mouchoir de poche.

Je lui répondais qu'il s'agit d'un réflexe du moment, qu'une autre fois, je ne saurais pas m'y prendre de la même façon. Alors que les autres boivent de l'eau, j'ai toujours dans mon sac une bouteille de lait que je bois régulièrement. Alors que l'été, les autres s'adonnent aux plaisirs de la plage, je cours comme un forcené dans les montagnes de Béja. Quand vous voyez la qualité des joueurs que possédaient l'ASM, le SRS, la JSK, le ST...., eh bien, il faut travailler dur pour se confronter dignement à eux.

Que vous a-t-il donc manqué à l'EST ?

La sérénité, le sentiment d'être protégé, soutenu, aimé. Pourquoi Mahjoub me laissait-il sur le banc des remplaçants ? Je suppose qu'il était sous influence. J'aurais aimé être comme Temime et Hergal qui étaient sereins dans leurs clubs. Avec Temime, j'ai fait la préparation d'avant-saison durant l'été 1979. Ensuite, il était parti à l'Olympique de Marseille. C'est un grand joueur. Il commandait réellement à l'Espérance. J'ai pris son poste, alors que Feddou évoluait souvent côté gauche. Je me suis imposé dans des circonstances difficiles. Etre respectueux, voire humble et très modeste, finit toujours par porter préjudice. On prend cela pour de la faiblesse. Je n'ai peut-être donné à l'EST que 10 ou 15% de ce que je savais donner à l'OB.

Avec l'Olympique de Béja, votre club d'origine, vous étiez la vedette, une sorte de diva...

J'y ai trouvé des gens poussant derrière moi afin que je puisse extérioriser tout mon talent, la vitesse, la technique, l'intelligence. Le président béjaois, feu Slaheddine Ben Mbarek, m'a consacré un chauffeur qui me ramenait à Béja pour m'entraîner avant de rentrer avec lui à Tunis. Car je travaillais dans la capitale, au Groupement chimique tunisien. Un jour, le chauffeur s'est absenté. Je venais alors de me marier.

Ben Mbarek m'a dit qu'il n'était pas question pour lui que je manque une seule séance d'entraînement. Il m'a dit de venir au ministère du Commerce qu'il dirigeait. Il a téléphoné à son épouse Nabiha pour lui demander de nous préparer deux casse-croûtes. Ensuite, nous étions partis ensemble dans sa voiture pour Béja. Il a suivi toute la séance d'entraînement avant que je rentre avec lui à Tunis. C'était un président passionné et tout dévoué à son club. Le meilleur président de club avec feu Hassène Belkhodja, le président qui m'a fait venir à l'EST.

Dans quelles circonstances ?

Le dirigeant de l'Etoile, Mhamed Driss, et le président du CAB, Hamadi Baccouche, étaient venus me chercher chez moi à Béja. Azouz Lasram et Ferid Mokhtar me voulaient de leur côté avec eux. J'ai en effet passé une semaine au Parc «A» avec André Nagy. Le ST de Hedi Enneifer également. Mais ce qui distinguait Hassène Belkhodja, c'est qu'il décide très vite. Le dirigeant Ali Ourak m'a porté au bureau de Hassène Belkhodja qui m'a demandé quelles étaient mes conditions.

Le montant du transfert a été de 8 mille dinars dont j'ai bénéficié, alors que l'OB a hérité de 2 mille dinars. On m'a fait «garder» cet été là tout un mois, loin des yeux, à l'hôtel Les Chênes d'Ain Draham où j'ai signé la licence. Je ne l'ai quitté que le jour du départ pour le stage de Vichy, en France. Si Hassène allait nous quitter à jamais le jour même d'un derby contre le Club Africain qui sera reporté. La veille, il avait diné avec l'équipe dans l'hôtel.

Vous avez réussi le but le plus rapide du championnat ?

En 1981, contre le Stade Tunisien au moment où le public était encore à prendre place dans les gradins. Après onze secondes, l'EST menait déjà. Beaucoup de gens n'avaient pas vu le but. Le Stade jouait le centre. J'interceptais le ballon, me portais vite dans la surface adverse où je dribblais Jemi, Jendoubi et le gardien Hlaiem, avant d'accompagner le ballon dans une cage vide. Les retardataires n'ont pas compris en regardant le tableau lumineux. Les gens ont des jambes, moi, j'ai des ailes qui me font voler !

En quittant l'EST, vous êtes revenu dans votre club d'origine....

Oui, la première saison, en 1984-85, nous avons réussi à faire accéder le club nordiste pour la première fois de son histoire en D1. Notre président Slaheddine Ben Mbarek engagea Kamel Soltani, Nejib Abada... Nous n'allions plus connaître la relégation. J'étais resté sept nouvelles saisons à Béja. Je me rappelle d'un Ahmed Mghirbi qui savait nous transcender. Un grand entraîneur qui m'appréciait particulièrement. Chaque fois que je passais devant le café de l'hôtel Africa, il m'invitait pour me présenter à ses collègues entraîneurs en leur disant: «Ce mec-là sera le meilleur joueur de Tunisie!». Pourtant, que de souffrances pour garder les Cigognes dans le haut du pavé.

Comment cela ?

Nous jouions à Monastir un match décisif pour notre maintien. Un nul nous suffisait, mais nous avons gagné (1-0) alors que nous aurions pu perdre 5 ou 6 à zéro tellement les locaux nous avaient dominés. A la dernière minute, le gardien Khalfi me sert. Je porte le ballon près du piquet du corner pour gagner du temps, car le score était toujours de (0-0). Je me suis dit: «Et si nous tentions notre chance». J'ai levé la tête et aperçu Sofiène Hidoussi courir vers les buts adverses. Je l'ai servi sur un plateau. Il a inscrit le but de la victoire.

Pourquoi n'avez-vous pas mené une grande carrière internationale ?

La concurrence était rude. De plus, j'ai quitté l'EST à mon apogée. Si j'y étais resté, j'aurais peut-être connu une meilleure carrière avec l'équipe nationale. Pourtant, en revenant à Béja, j'ai passé sept autres saisons au plus haut niveau. Avant de conclure par une saison à Oman, à Nadi Essour où j'étais accompagné par Hergal et Lazhar Trabelsi. Nous avions comme entraîneur Mongi Delhoum. J'ai d'abord été appelé avec les Bach Hamba, Boushih... en sélection olympique confiée à Hamadi Henia. Avec la sélection «A», j'ai été convoqué par le Polonais Ryszard Kulesza à l'occasion des rencontres devant le Maroc, la Bulgarie, Malte...

Quelles sont les qualités d'un bon ailier ?

Rapidité et technique. L'art de provoquer l'adversaire; je dois le pousser à la faute. Il faut éliminer l'adversaire dans la surface. Une fois que j'y pénètre, je dois obtenir le penalty, s'il le faut en «forçant» la chute, un peu comme le fait aujourd'hui Cristiano Ronaldo. Mon mot d'ordre est droit au but ! Tarek me gave de ballons dans le dos des défenseurs adverses. C'est un monstre d'intelligence.

Tout jeune, quelles étaient vos idoles ?

Pelé, Jairzinho et Garrincha.

Quels furent vos entraîneurs ?

Mohamed Ben Koussa qui m'a découvert au lycée, Abderrazak Nouali, le Yougoslave Slobodan, Ahmed Mghirbi, Mrad Hamza qui nous a fait accéder en D1, Ali Selmi, Lotfi Benzarti, le Russe Beliakov, Habib Mejri...

Que représente pour vous Béja ?

Toute l'existence. Je connais chaque parcelle de ma ville natale. Dès que vous entrez à Béja, il suffit de demander où se trouve la maison des El Ouasti, n'importe qui vous y mènera. J'ai vécu au quartier Erbat, et c'est là où j'ai fait mes débuts de jeune joueur. J'étais très doué. J'ai signé avec les Ecoles de l'OB, mais mon frère Abdelhamid m'empêchait de fréquenter régulièrement le stade Kemiti. Pourtant, il jouait avec l'OB.

Pourquoi alors vous interdisait-il ce qu'il se permettait de faire ?

Parce qu'il considère que le foot constitue un harcèlement continu, un bel embarras: un crampon à coudre, une surface en terre battue d'où vous sortez couvert de boue. Les conditions climatiques à Béja sont terribles, surtout l'hiver.

Dans les matches inter-quartiers, je me donnais à coeur joie. Avec les jeunes Cigognes, je réussissais chaque fois un paquet de buts. Mon prof de sport me disait que j'étais un surdoué. Abderrazak Nouali m'a fait un surclassement afin que je puisse évoluer avec les seniors alors que je n'avais que 17 ans. L'OB évoluait alors en D3. Lors de mon premier match, j'ai inscrit les deux buts de la victoire contre El Ahly de Mateur.

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?

J'ai perdu mon père Mohamed à l'âge de sept ans. Ma mère Nefissa a dû travailler la laine pour nous faire vivre. Nous étions huit dans la famille. A vrai dire, j'ai dû batailler tout seul. Au quartier, je jouais trois matches par jour. J'ai arrêté mes études l'année du bac car le foot me prenait tout mon temps.

Que vous inspire la situation actuelle de l'OB ?

Je souffre énormément quand ça va mal pour les Cigognes dont la place naturelle demeure la L1. Je sais que l'argent est le nerf de la guerre, et qu'il manque énormément au club nordiste. Le club a besoin d'union sacrée. Les anciens joueurs peuvent apporter leur expérience.

Qu'est-ce qui a changé entre le foot d'hier et d'aujourd'hui ?

Jadis, on se tuait pour arracher une place de titulaire. Celui qui ne joue pas se sent très malheureux au point d'en pleurer. Du temps de Mokhtar Tlili à l'EST, contre le Club Sportif Sfaxien, on m'a enlevé le plâtre précipitamment, on m'a fait une piqûre, et j'ai joué. J'ai inscrit un but en dribblant le gardien Abdelwahed. Aujourd'hui, on se contente de gagner de l'argent sans se soucier de donner le minimum. Tout se vend et s'achète. Le talent devient une denrée rare.

Quel est le plus grand joueur tunisien de tous les temps ?

Tarek Dhiab, sans conteste. Il a rénové le jeu, lui apportant la vision et la touche technique.

Et de l'histoire de l'OB ?

Feu Fethi Toukabri qui a joué également à la JSO, au CA, à l'ASM... Un bon milieu qui allait se reconvertir entraîneur.

Quel est votre meilleur souvenir ?

Notre accession pour la première fois en D1 en 1984.

Et le plus mauvais ?

L'année de notre accession, ma blessure au scaphoïde dans un match à Bousalem. Un adversaire m'a carrément piétiné alors que j'étais déjà blessé, par terre.

Avec qui avez-vous joué à l'EST ?

Notre équipe se composait de Kamel Karia et Naceur Chouchane dans les buts, Mohamed Ben Mahmoud, Lotfi Laâroussi, Samir Khemiri, Khaled Ben Yahia, Abdelhamid Kanzari, Ridha Akacha et Lassaâd Dhiab, Ryadh El Fahem, Montacer Ben Osmane, Tarek Dhiab, Hassen Feddou...

Quels étaient les joueurs les plus proches de vous ?

Naceur Chouchène, Abdelhamid Kanzari et Lotfi Laâroussi.

Parlez-nous de votre famille ....

J'ai épousé en 1985 Faouzia Kalaï qui est ma cousine. Nous avons trois enfants: Senda, comptable en Belgique, Aymen, informaticien qui exerce actuellement au Japon, et Amir, étudiant.

Quels sont vos hobbies ?

Je lis beaucoup de journaux et aime les voyages (Etats-Unis, Japon...). J'aime aussi écouter Oum Kalthoum, Sayed Derouiche, Salah Abdelhay, Hijazi... Au café, je joue aux cartes avec mes copains Mohamed Ali Bokri, Youssef Rezgui, Maher Brahimi, Mortadha Mbazia, Taoufik Chouaia...

Etes-vous optimiste pour l'avenir de la Tunisie ?

Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Cela s'applique aussi à notre chère Tunisie. Un peuple ambitieux et cultivé ne peut pas tomber dans la médiocrité. J'en suis sûr et certain: tôt ou tard, nous saurons remonter la pente et relever la tête.

Enfin, que vous a donné le football ?

L'amour des gens, et un boulot. Hassène Belkhodja m'a demandé si je voulais intégrer la STB. Naceur Knani m'a inscrit en 1980 au Groupement chimique tunisien où j'ai travaillé jusqu'en 2011. J'y ai trouvé les Clubistes Mohamed Ali Moussa et Hedi Bayari. J'ai subi une opération à coeur ouvert, et j'ai dû demander ma retraite anticipée.

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