Chanteur effacé, peu enclin au « star system », Jean de la Croix Randriamiarana s'est éteint en fin de semaine pour rejoindre à jamais les immortels de la musique malgache. Le rock pépère avec des titres devenus cultes.
Le rock bienfaisant, du début jusqu'à la fin, voilà la marque de fabrique de « Delacre » pour la scène. Son décès a été annoncé vendredi par son fils sur les réseaux sociaux, tard en soirée. Rien que « Delacre », son pseudonyme, cela fleurait bon la ferraille, le blouson noir en cuir clouté, les santiags et les riffs. Signe particulier, son incontournable « Rayban » répandu dans les anciennes séries B de NBC, mettant en avant le héros intègre, en coureur invétéré ou en mâle viril dévoué à sa cause. Jean de la Croix Randriamiarana dépose à jamais sa guitare et son micro à l'âge de 72 ans, en fin de journée, vendredi.
Son inhumation va se faire ce jour à Soavina Analapanga Atsimondrano, après la messe funéraire à l'église catholique Saint François Xavier Antanimena. Honneurs lui a été rendu hier, sa dépouille a été veillée au théâtre municipal d'Analakely. Les adieux de la ville des Mille à un des pionniers du rock malgache. Les hommages de ses pairs ont plu, Lallah du groupe malgache mythique de trash métal Kazar, l'immense diva Fanja Andriamanantena, Rossy le roi du tapôlaka, Erick du groupe Tselatra ...
Les grosses pointures en somme. Que ce soit du milieu politique, artistique et d'autres, plusieurs personnalités publiques ont rendu hommage à « Delacre », pour ses qualités d'aîné, pionnier, poète, sage... Pourtant, rien ne présageait que ce désormais immortel apporterait un tel aura musical. Parce que Jean de la Croix Randriamiarana donnait toujours l'impression d'un loup solitaire. Ne voulant laisser pour seule trace que sa musique, plutôt son message. Le rock ne semblait être qu'un médium. Il jouait alors sur la dualité dont ses textes en étaient la thèse. A cette époque, se définir à travers la dégaine et l'habillement suffisait déjà à se faire une image de « dur », de « rockeur ». Son message était clair, ce n'est pas la façon de s'habiller qui définissait l'esprit.
Un esprit qui se ressentait à travers ce texte sur le titre « Tsy haiko » où il donne une leçon de vie magistrale sur l'adversité face à la vie et ses péripéties. « Je ne sais pas si tu es comme moi/mais mes malheurs, j'essaie de les supporter seul... Car beaucoup subissent dix fois le malheur que tu vis/Je ne sais pas si tu peux me croire mais eux n'ouvrent jamais la bouche pour se plaindre ». Le gars doit avoir les bijoux de famille à leur place pour oser une telle arrogance.
Aujourd'hui, supporter seul le poids de l'existence avec toute cette pauvreté et cette décomposition sociale ferait mentir cette chanson culte. Rien qu'à constater le nombre de suicides ces dernières années. Des statistiques à faire. Et Delacre voguait souvent sur ce genre d'intention à travers ses chansons. Dans « Tsy maintsy », il remet cette posture « Pauvre Martin », solitaire, humble et brave à la George Brassens. A bien y regarder, l'artiste adorait faire tomber d'accord par son répertoire.
État d'esprit commun dans « Mba tandremo kely lesy » et « Ento mora », des conseils pour la tempérance morale, le parolier mettait un point d'honneur à l'unité, l'amour et la prudence. Pour lui, c'étaient des tissus conjonctifs qu'il tissait à partir des « sagesses malgaches ». Son rock était alors un versant en cuir et bottes du « terroir », pour sortir un peu de la longue chemise traditionnelle et de son « nostalgisme ».
Delacre faisait partie de cette bande, dans les années 60/70, qui voulait rester éloignée d'une forme de monopole idéologique de la musique tananarivienne. Un courant qui voulait que seul ce qui y adhérait profitait des largesses de ce système. Il était de ces gens tenant toujours à garder leur indépendance et leur liberté de chanter. Il y a donc eu deux ailes du rock, de la musique en général. Surtout à Antananarivo avec son bouillonnement culturel d'antan.
La musique post-indépendance a toujours été politique, noeud de tiraillement d'une jeunesse frappée d'un coup par le monde « hippie », « yéyé » et les valeurs occidentales réaffirmées. Guerre d'ego et de vision du monde, les idées s'entremêlaient. Jean de la Croix Randriamiarana a su s'y prémunir en chantant l'essentiel, en filigrane la neutralité à la malgache qui fait toujours recette jusqu'à maintenant. Une manière aussi de rester au centre de la toupie infernale.
Un discours de faibles, trop replié sur soi pour certains, la sagesse utile parce que déclarée pour d'autres. Les « Hiakam-pijaliana », « Satria ve ? », « Farafarano », etc, n'ont laissé personne indifférent à travers l'histoire contemporaine de Madagascar. « Mes terres ont été annexées/Mes amis tués/Nos efforts/brûlés et partis en fumée », chant de ralliement contre l'oppression par excellence, un vrai cas d'école, chantait-il dans « Hiakam-pijaliana ».