Ile Maurice: Qui paye ?

10 Décembre 2023

Une semaine après le «kado Nwel», soit la hausse du salaire et du revenu minimum, c'est désormais la compensation salariale annuelle qui est perçue comme un autre cadeau avant l'heure Mais est-il empoisonné ? Si la majorité des syndicalistes et des travailleurs accueillent la nouvelle comme une bouffée d'air frais, la question qui se pose est : d'où viendra l'argent, surtout que le gouvernement a promis d'aider certaines entreprises ? Quid des allocations de la CSG - multipliées par deux en ce mois de décembre - alors que les caisses sont vides ? Déshabille-t-on Pierre pour habiller Paul ?

En tout cas, la compensation à laquelle auront droit tous les employés, a été fixée à 10 % du salaire de base et plafonnée à Rs 2 000. Cela concernequelque 110 000 employés du service public et environ 350 000 employés du secteur privé. Le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a parlé d'un investissement de Rs 10 milliards dans les ressources humaines. Après l'annonce du pourcentage de la compensation salariale, le gouvernement a pris la décision de prendre en charge ces frais pour les petites et moyennes entreprises (PME) ayant un chiffre d'affaires allant jusqu'à Rs 100 millions, les compagnies dans le secteur manufacturier et les ONG. Une décision qui a été validée et approuvée par le Conseil des ministres vendredi.

Oui, mais qui paiera pour ces présents ? Le calcul est simple, répond Xavier-Luc Duval, leader de l'opposition. Il rappelle que le gouvernement avait pris Rs 158 milliards de la Banque centrale et une bonne partie est toujours dans des fonds spéciaux car les projets pour lesquels cet argent était destiné n'ont pas été réalisés. De plus, avec l'inflation et la dépréciation de la roupie, les revenus de l'État ont augmenté d'environ Rs 71 milliards par rapport à l'ère pré-Covid, notamment à travers la TVA. «Tout cet argent est largement suffisant pour tenir les promesses», dit-il.

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L'argent puisé des fonds publics est un aspect qui a aussi été abordé par Ashok Subron, porte-parole du Joint Negotiating Panel, juste après l'annonce du quantum de la compensation jeudi. Il rappelle que pendant le Covid, environ Rs 24 milliards ont été transférées vers les compagnies pour le salaire, et qu'une grande partie n'a pas été remboursée. La question qui se pose, selon le syndicaliste, est de savoir quel pourcentage de cette somme sera payé par les employés eux-mêmes. «Pour l'année 2023, les employés et consommateurs ont payé environ Rs 474 millions à... eux-mêmes», a-t-il rappelé.

Pour rappel, le gouvernement avait apporté une aide financière pour le paiement de la compensation salariale pour l'année 2023. Les entreprises concernées sont les sociétés orientées vers l'exportation et les PME qui sont en difficulté. Un montant de Rs 300 par employé est reversé aux entreprises orientées vers l'exportation. Le salarié ne doit cependant pas toucher un salaire de base excédant Rs 51 635 par mois. D'autre part, un montant de Rs 250 à Rs 500 par employé percevant un salaire de base n'excédant pas Rs 51 775 par mois est offert aux PME. Le ministre du Développement industriel, des PME et des Coopératives, Sunil Bholah, a fait savoir que ce mécanisme de soutien mis sur pied à la Mauritius Revenue Authority reste effectif.

À noter que pour parvenir au revenu minimum de Rs 18 500, la CSG Allowance de Rs 2 000 sera toujours payable pour ceux qui touchent moins de 25 000, et Rs 1 000 sera accordée aux autres employés touchant jusqu'à Rs 50 000. Cependant, en octobre, le ministre des Finances avait dit, dans une réponse parlementaire, que le fonds de la CSG était vide...

«Jeter de l'huile sur le feu»

Un comptable explique qu'un des principes de base de l'économie est la suivante : plus la demande est grande, plus les prix grimpent. Donc, lorsque les consommateurs ont plus d'argent, ils achètent plus, ce qui fait grimper les prix. «Il ne faut pas oublier que plus la demande est forte, plus nous importerons, plus la roupie baissera, et les prix grimperont.» D'ailleurs, dans son communiqué émis après l'annonce de la compensation salariale, Business Mauritius soulignait qu'«aujourd'hui, face à l'augmentation combinée du salaire minimum et de la compensation salariale, Business Mauritius tire la sonnette d'alarme sur des mesures qui, d'une part, mettent à risque la soutenabilité à moyen et long termes de certaines entreprises, et d'autre part, sur une démarche d'augmentations salariales disproportionnées, qui pourrait engendrer encore une hausse du taux d'inflation en 2024, ce qui affectera à nouveau le pouvoir d'achat des consommateurs».

Le même sujet est abordé par l'économiste Eric Ng Ping Cheun. Selon lui, une augmentation, bien que nécessaire, du salaire de base ou du revenu minimum, n'est pas synonyme d'une hausse du pouvoir d'achat et d'une amélioration significative du niveau de vie car cela peut être annulée par l'inflation galopante et la hausse des prix des biens de consommation courante. «Les travailleurs pourraient se retrouver dans une situation où leur salaire augmente nominalement, mais leur pouvoir d'achat réel diminue en raison de la spirale inflationniste. Ce n'est pas en augmentant les salaires que le gouvernement pourra combattre l'inflation. Il faut attaquer le problème à la source. C'est ce qu'on appelle jeter de l'huile sur le feu», lâche l'économiste. Raison pour laquelle Radhakrishna Sadien, président du Congress of Independent Trade Unions, a demandé un contrôle strict des prix, au cas contraire toutes ces mesures ne profiteront pas aux consommateurs.

N'empêche, beaucoup d'entreprises vont devoir répercuter la hausse de leur charge salariale sur les prix ; car une compagnie avec ne serait-ce que deux employés, qui touchent le salaire minimum, devra désormais trouver environ Rs 10 000 de plus par mois. «Les PME, souvent déjà confrontées à des marges bénéficiaires serrées, pourraient se retrouver dans une position délicate. Les options disponibles incluent potentiellement d'augmenter les prix de leurs produits ou services, ce qui pourrait entraîner une augmentation générale des coûts pour les consommateurs. Dans un contexte de forte inflation et de hausse des prix des commodités, cela pourrait créer une pression économique accrue sur les ménages», avance le directeur d'une PME.

L'autre option demeure... le licenciement, fait en outre ressortir Eric Ng Ping Cheun, sans langue de bois. Pour l'économiste, les entreprises devront augmenter leurs chiffres d'affaires, effectuer des ajustements dans leurs opérations et cette pression financière additionnelle pourrait conduire à des renvois. «Les conséquences de ces ajustements pourraient se faire sentir sur toute l'économie. Une réduction du pouvoir d'achat des consommateurs qui sera le résultat des licenciements pourrait alors entraîner une baisse de la demande de biens et de services, ce qui pourrait à son tour affecter la croissance économique...» Un véritable cercle vicieux, dites-vous ?

La classe moyenne alors ?

Avec les deux hausses consécutives, un autre problème surgit : celui du réalignement salarial. Dès janvier, un employé qui a commencé à travailler en 2023 et un employé avec des années de service qui touchait Rs 14 000 par exemple, auront le même revenu. Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a expliqué que le National Consultative Wage Council fera des recommandations en ce sens d'ici mars 2024. «Mais il faudrait aussi que la classe moyenne reçoive un peu plus de considération», avait fait ressortir Radhakrishna Sadien. Selon lui, un employé qui touche Rs 40 000 subit le même taux d'inflation que tous les autres, mais le montant de sa compensation sera bien en deçà des 10% auxquels d'autres auront droit. Selon le syndicaliste, si cela n'est pas fait, il y aura un appauvrissement de cette catégorie de salariés.

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