Afrique: Contre un ennemi aussi tenace que le VIH, la victoire doit être totale, sinon ce n'est que partie remise

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La Journée mondiale de lutte contre le sida qui s'achève est l'occasion de nous remémorer les quelque 40 millions de victimes de cette terrible maladie. Et pourtant, il faut aussi reconnaître les extraordinaires progrès accomplis dans la lutte contre le VIH et le sida. Depuis 2002, le nombre de décès liés au sida a chuté de 72 % et le nombre de nouvelles infections de 61 % dans les pays où le Fonds mondial investit.

Le prix d'une année de traitement contre le VIH est passé de 10 000 dollars US en 2002 à un peu moins de 45 dollars US aujourd'hui. Cela nous a permis de porter à très grande échelle le traitement, la prévention et les soins du VIH. À l'heure actuelle, 24,5 millions de personnes sont sous traitement contre le VIH dans les pays où le Fonds mondial investit, et nous avons renversé le cours de la pandémie.

Mais la lutte contre le VIH reste inachevée. En 2022, le sida a fait 630 000 victimes et on a recensé 1,3 million de nouvelles infections à VIH. Le sida demeure la première cause de mortalité chez les femmes de 18 à 45 ans en Afrique. Dans le monde, environ 9 millions de personnes séropositives au VIH n'ont aucun traitement. Sans traitement, la moitié des enfants nés avec le VIH mourront avant d'atteindre l'âge de deux ans.

Pour mettre fin à une maladie comme le VIH, nous devons bâtir des sociétés plus justes et plus équitables. Bien qu'il n'existe pas encore de vaccin ou de remède contre le VIH, nous disposons de puissants outils qui préviennent la transmission de la maladie et qui assurent longévité, bien-être et bonne santé aux personnes qui en sont atteintes. Mais si les personnes qui en ont le plus besoin n'y ont pas accès, même les meilleurs outils biomédicaux ne servent pas à grand-chose.

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Les populations clés, comme les hommes homosexuels et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les travailleuses et travailleurs du sexe, les personnes transgenres et de diverses identités de genre, les personnes qui consomment des drogues injectables et les personnes incarcérées, ainsi que leurs partenaires, continuent d'être touchées de manière disproportionnée par le VIH. Leur vulnérabilité est une conséquence directe de la stigmatisation, de la discrimination, de la criminalisation et de législations et politiques qui vont à l'encontre des droits humains.

Dans certaines régions d'Afrique, les adolescentes et les jeunes femmes risquent trois fois plus de contracter le VIH que les adolescents et les jeunes hommes du même groupe d'âge. Ce n'est pas un phénomène d'ordre biomédical. Il s'agit plutôt du résultat d'inégalités de genre structurelles, comme la dépendance économique, la disparité en matière d'éducation et la violence fondée sur le genre.

Les maladies comme le VIH jettent un éclairage cru sur les horribles fossés qui divisent nos sociétés. Les obstacles liés aux droits humains sont la raison pour laquelle - 35 ans après la première Journée mondiale de lutte contre le sida - nous ne sommes toujours pas sur la voie de mettre fin au VIH comme menace pour la santé publique.

La stratégie du Fonds mondial place les personnes et les communautés au coeur des activités et engage l'organisation à s'attaquer avec une ardeur renouvelée aux obstacles liés aux droits humains, aux inégalités entre les genres et aux iniquités en matière de santé.

Pour concrétiser cette aspiration, nous nous appuyons sur le succès de notre initiative avant-gardiste « Lever les obstacles », lancée en 2017, à travers laquelle nous aidons 20 pays à élaborer et à mettre en oeuvre des programmes dirigés par les pays visant à lever les obstacles liés aux droits humains qui entravent l'accès aux services de santé.

En sollicitant la participation du personnel de santé, des législateurs, des forces de l'ordre, des juges et des parlementaires et en autonomisant les communautés, nous avons réussi à obtenir des changements législatifs et politiques et un meilleur accès aux services. Dans les pays participant à l'initiative, les investissements dans les programmes en faveur des droits humains ont été multipliés par dix.

Dans l'ensemble de son portefeuille, le Fonds mondial a investi plus de 200 millions de dollars US dans les programmes en faveur des droits humains. Au cours du prochain cycle de subvention, nous prévoyons augmenter cette somme et ajouter quatre pays à l'initiative « Lever les obstacles ».

Cette année plus que nulle autre, la Journée mondiale de lutte contre le sida nous rappelle l'impératif de protéger et de promouvoir les droits humains. Aux quatre coins du monde, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, nous assistons à une érosion alarmante de ces droits. Le discours valorisant la solidarité mondiale et notre commune humanité se fait de plus en plus rare. Il faut inverser cette tendance si nous souhaitons mettre fin au sida et atteindre le troisième Objectif de développement durable (ODD n° 3), « Bonne santé et bien-être ».

Dans un monde où il est devenu trop facile de déshumaniser l'autre à cause de son genre ou de sa sexualité, de son origine ethnique, de sa religion ou de son statut de personne migrante ou réfugiée, il devient impératif de retrouver notre esprit de solidarité universelle. Le partenariat du Fonds mondial est la preuve que lorsque le monde se solidarise, l'impossible devient possible.

Si l'érosion des droits humains est la plus grande difficulté que nous rencontrons dans la lutte contre le VIH, la complaisance pourrait bien arriver au deuxième rang. Un nombre croissant de pays atteignent l'objectif 95-95-95 de l'ONUSIDA (95 % des personnes séropositives au VIH connaissent leur statut sérologique ; 95 % de celles-ci sont sous traitement ; 95 % des personnes sous traitement ont une charge virale indétectable). Et de moins en moins de personnes en position de pouvoir se sentent personnellement menacées. Il devient donc plus difficile d'entretenir la volonté politique et de mobiliser les ressources pour achever le travail. Dans un monde où les besoins concurrents et les crises se multiplient, il est tout à fait compréhensible que les décisionnaires soient tentés de réaffecter les ressources vers d'autres priorités. Mais baisser la garde à ce stade de la lutte serait une erreur fatale. Dans les pays où ils ont été ignorés ou négligés, le VIH et le sida sont repartis à la hausse. Contre un ennemi aussi tenace que le VIH, la victoire doit être totale, sinon ce n'est que partie remise.

Il nous faut donc réitérer notre engagement envers l'objectif de l'ODD n° 3 et mettre fin au VIH et au sida en tant que menace pour la santé publique d'ici 2030. Notre trajectoire actuelle ne nous mènera pas vers la victoire. Elle est pourtant à notre portée ; il manque seulement une volonté politique et les ressources nécessaires. La riposte mondiale au VIH et au sida a été un moment fort dans l'histoire de la santé publique, une extraordinaire manifestation de solidarité mondiale qui a changé notre vision du droit à la santé. Il est temps d'achever le travail et de libérer le monde du sida.

Cet article d'opinion a été publié pour la première fois dans Forbes.

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