Ile Maurice: Avant la constitutionnalité, c'est la régularité de la démarche qu'il faut voir

12 Décembre 2023

Jusqu'à présent, on ne parle que de la constitutionnalité de la loi sur la Financial Crimes Commission (FCC), l'opposition évoquant le test de la constitutionnalité de la loi. Mais même si certaines dispositions de la loi proposée vont à l'encontre de la Constitution, notamment la prérogative du Directeur des poursuites publiques (DPP) d'être le seul à décider des poursuites publiques, ne devraiton pas juger la démarche même d'introduire un tel projet de loi ?. Ne devrait-on pas parler de la régularité, voire, de la légalité, de la démarche de présenter un tel projet, plutôt que de la constitutionnalité de la loi, question qui n'intervient seulement après que la loi a été adoptée, promulguée ou même appliquée ?

Adoption sans contrôle des lois anticonstitutionnelles

Il y a comme une routine installée, un gouvernement qui présente un projet de loi dont la constitutionnalité est évoquée dès le départ. Critiqué, le gouvernement sort une rengaine : laisser la Cour suprême décider. Cette habitude fait que la contestation de la constitutionnalité d'une loi intervient toujours ex post, soit après que la loi est appliquée et que quelqu'un qui se voit affecté par elle porte l'affaire devant la Cour suprême. Cette tradition, elle, est fortement critiquable puisqu'elle permet à une loi anticonstitutionnelle de sévir, d'envoyer des innocents en prison, avant que quelqu'un ne saisisse la Cour suprême pour qu'elle se prononce sur la constitutionnalité ou la régularité de cette loi.

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Nous avons eu le cas de Vinod Seegum, où celui-ci, accusé sous l'Information and Communication Technologies Act (ICTA), avait contesté la constitutionnalité de cette loi. La Cour suprême avait déclaré que la loi en question était contraire à la Constitution. Cette loi avait donc sévi pendant des années et des sanctions ont été imposées sur ceux qui l'avaient enfreinte ! Le cas Seegum illustre parfaitement un dysfonctionnement dans notre système législatif, en ce qu'il permet à ce qu'un gouvernement fasse adopter une loi qui contient, a priori, des dispositions anticonstitutionnelles.

Une action en constitutionnalité implique toute une lourdeur de procédures, le temps que prend une affaire avant que le jugement ne soit rendu, ou encore l'application stricte des règles de locus standi, sans compter le coût que cela entraîne de porter une affaire en Cour suprême et les tracasseries qui vont avec. Un gouvernement qui sait exploiter cette situation se sent à l'aise de présenter des lois même si celles-ci peuvent être déclarées anticonstitutionnelles.

La contestation de la légalité de la démarche de faire adopter par le Parlement une loi, si elle a lieu, se ferait ex ante du processus législatif, soit avant que le projet de loi ne soit présenté. On nous dira que l'on ne peut contester une loi qui n'a pas encore été adoptée et promulguée, et que la Cour suprême refusera de se prononcer sur un cas hypothétique. Mais le fait ici, c'est de contester la démarche même de présenter un projet de loi qui contiendrait des dispositions à valeur constitutionnelle. Cette démarche-là, elle n'est pas hypothétique puisqu'un projet de loi existe bel et bien.

Un «colourable device»

Aussi, on avancera que la Cour suprême ne va pas interférer dans cette affaire puisque le gouvernement peut introduire n'importe quelle loi qu'il veut au Parlement. On n'a qu'à se rappeler du «colourable device» que voulait utiliser un gouvernement pour faire perdre son siège de député à Navin Ramgoolam !

Dans le cas présent, le projet de loi touche aux prérogatives du DPP en matière de poursuites publiques. Il vise à conférer à une autre autorité une partie de la mission du DPP, sans même modifier la Constitution, qui pourtant consacre de manière sans équivoque cette mission. La démarche de présenter un projet de loi est irrégulière, surtout que ses promoteurs savent qu'il contient des dispositions constitutionnelles.

La démarche est contraire au droit dès le départ. Au moment même de son introduction, la FCC Act a été présentée comme une loi ordinaire, ce qui va requérir une majorité simple des votes à l'Assemblée nationale, alors qu'elle touche à une disposition constitutionnelle qui, elle, requiert une majorité de trois-quarts pour être adoptée. Voilà le «colourable device» !

Le «device» peut être sanctionné puisqu'il consiste à amener le Parlement à voter une loi à portée constitutionnelle en la faisant passer pour une simple loi. Ses promoteurs semblent avoir retenu la leçon de l'épisode de la Public Prosecution Commission !

Lorsqu'une loi affecte le poids d'un article de la Constitution, c'est un subterfuge de la déguiser en loi simple pour la faire adopter. La FCC Act est une loi constitutionnelle. Vouloir contourner l'exigence d'une majorité qualifiée pour faire un amendement constitutionnel est irrégulier et la démarche contient un élément d'intention. À en juger par ce qui est évoqué ces jours-ci en termes de motivations politiques, elle est «colourable» !

Injonction contre la présentation du projet de loi

L'escroquerie politique n'est pas prévue par le Code pénal mauricien. Toutefois, ceux des opposants qui se sentent visés par l'utilisation qui sera faite d'une loi en vue des élections générales gagneront à réfléchir sur la légalité du projet de loi. Au civil, une injonction contre la présentation du projet de loi comme une loi simple à l'Assemblée nationale est le premier test à faire, au lieu de celui de la constitutionnalité qui intervient toujours après que la loi est adoptée.

Dans notre système politique et législatif, il n'y a pas, comme dans d'autres pays, un mécanisme indépendant pour statuer sur la constitutionnalité des projets de loi avant leur adoption. Mais il est temps que cette lacune du système soit comblée, pourquoi pas, avec un test de la «couleur» de la légalité, d'une démarche de présenter un projet avant même qu'il ne devienne loi. Ce serait... la tisane avant la mort !

Il y va de la démocratie dans notre pays.

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