Ile Maurice: Dernière ligne droite entre cadeaux électoraux, pressions inflationnistes et alternance politique

13 Décembre 2023

Visiblement, les lendemains chanteront pour les salariés, eux qui sont le plus souvent des écorchés vifs, victimes d'une misère sociale avec une roupie en nette perte de valeur depuis 2019 - plus de 22 % - et une inflation galopante qui fait monter les prix depuis la crise du Covid, situation accentuée depuis le début de la guerre russo-ukrainienne.

Avec une augmentation de 43 % du salaire minimum, qui passera de Rs 11 575 à Rs 16 500 en janvier 2024 (incluant la compensation salariale) et les Rs 2 000 de l'allocation CSG, c'est au final une somme de Rs 18 500 que 141 700 travailleurs empocheront chaque mois. Sans compter la compensation across the board de Rs 1 500 à Rs 2 000 aux autres catégories d'employés. Il y a certes de quoi faire sourire et même désarmer les syndicalistes, allant des plus modérés aux plus extrêmes.

Sans doute, les plus avertis au bâtiment du Trésor savaient qu'il y avait des mesures sociales, voire électoralistes, en préparation qui devraient marquer les esprits. Plus particulièrement depuis que le leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, avait proposé le paiement d'un 14e mois aux salariés sur la base de bonne performance financière de grosses sociétés du privé. On ne pourrait que trop se réjouir du geste du gouvernement du jour même s'il ne serait pas dépourvu d'arrière-pensée politique car personne ne contestera que les familles au bas de l'échelle ont les plus souffert depuis ces trois dernières années, soumises à des sacrifices de tout ordre et s'enfonçant dans la spirale de la dette.

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Cependant, cette démarche du tandem Padayachy / Callichurn suscite des interrogations. Celles portées d'ailleurs par des économistes et autres spécialistes sur le financement de cette mesure. Ces derniers souhaitent savoir comment le gouvernement trouvera les Rs 10 milliards nécessaires à injecter dans le circuit économique pour compenser la perte du pouvoir d'achat des 110 000 fonctionnaires ? Tout en sachant qu'il n'y aura peut-être pas de problème a priori, vu que les recettes fiscales (Rs 137 milliards) en hausse des 22 % engrangées par la MRA au 30 juin 2023 par rapport à 2022 - plus particulièrement celles de la TVA (Rs 48 milliards) - donneront une bonne marge de manoeuvre au Trésor public pour financer cette dépense, qualifiée d'ailleurs d'«investissement» par le ministre des Finances. Mais aussi grâce aux autres fonds gérés par le Consolidated Fund.

Quid des inquiétudes exprimées par des opérateurs privés, estimant à Rs 12 milliards le coût de l'application de cette mesure ? Même si on peut comprendre les raisons avancées par Business Mauritius et les pressions sur les finances des entreprises, elles sont loin toutefois de convaincre les autorités, tant les opérateurs ont eu l'habitude de crier au loup. Reconnaissant toutefois que l'institution suprême du privé concède qu'il y a lieu «d'améliorer les conditions salariales et l'importance fondamentale d'assurer une rémunération équitable pour les employés».

Il est fort à parier que cette double mesure qui touche directement les défavorisés de la société et qui veut, doit-on comprendre, leur mettre du baume au coeur, en boostant leur pouvoir d'achat, entraînera dans la foulée une poussée inflationniste. Il est évident que des familles, anticipant des hausses salariales, vont consommer de manière irréfléchie, voire impulsive, avec des achats tirés par la guerre des prix dans les grandes surfaces commerciales. À la fin de la journée : deux grands gagnants : celles-ci et l'État avec la TVA perçue sur la consommation.

À cet effet, l'économiste Eric Ng décrypte, dans son analyse, la problématique de l'inflation pour rappeler que «le relèvement des salaires entraînera l'emballement de l'inflation dans les mois à venir. Plus il y a de l'inflation, plus on augmentera les salaires, et plus les prix repartiront à la hausse, et ainsi de suite dans un enchaînement sans fin. C'est un cercle vicieux qui mène le pays au bord de la banqueroute, et qui ne peut être brisé que par un gouvernement acceptant d'être impopulaire». Encore que si, dans un cas de figure où la totalité des fonds déboursés par les deux secteurs, public et privé, presque Rs 22 milliards sont dépensées dans la consommation, plus de Rs 3 milliards seront récoltées sous forme de TVA, sans compter l'impôt sur le revenu et la CSG.

Argent critère de vote ?

Pour autant, personne n'est dupe. Avec le quantum d'augmentation du salaire minimum et celui de la compensation salariale, il y a forcément des signes qui ne se trompent pas. C'est le début dans les jours et semaines à venir d'une distribution tous azimuts des cadeaux électoraux par l'alliance gouvernementale, qui devraient prendre diverses formes : recrutements dans les différents services gouvernementaux et une multitude d'inaugurations pour améliorer l'environnement social et physique de la population avec, comme point d'orgue, l'ouverture de la route reliant Chebel à Sorèze sur un pont à câbles porteurs, prestigieux projet au coût de Rs 4,3 milliards, entre autres.

Toutefois, c'est sans doute la promesse électorale aux retraités qui anime actuellement les conversations dans certains milieux. Annoncée par l'Alliance Morisien lors de la campagne électorale de 2019, que la pension de vieillesse grimperait à Rs 13 500 en 2024, elle pourrait en fait passer à Rs 15 000, selon des proches du dossier à l'hôtel du gouvernement. Ce qui devrait théoriquement fidéliser une clientèle politique au nombre de plus de 240 000, un réservoir de votes important dans un joug électoral, que le leader du MSM compte certainement exploiter à son avantage une nouvelle fois, comme en 2019 et avant...

Jusqu'où l'alliance gouvernementale compte-t-elle aller pour surprendre celle de l'opposition qui a, plus d'une fois, dénoncé la «money politics» dans une campagne électorale ? Est-ce que l'argent doit être le seul critère pour déterminer le vote d'un électeur et permettre le maintien du gouvernement sortant ou assurer l'alternance politique à la tête du pays ? Existe-t-il d'autres valeurs susceptibles d'influencer le choix d'un électeur face aux divers projets de société qui y seront présentés ?

Autant de questions qui doivent nourrir la réflexion des uns et des autres alors que le pays amorce la dernière ligne droite pour entrer de plain-pied dans l'année électorale 2024. Or, celle qui manifestement occupe les esprits est l'empressement du régime de remplacer en pleine période des festivités de fin d'année, l'ICAC, souvent d'ailleurs décriée comme un instrument à la solde du pouvoir en place avec à sa tête, un nominé politique, par une nouvelle institution, la Financial Crimes Commission (FCC), dont des pouvoirs plus élargis seront accordés à son directeur.

Depuis que ce projet de loi a été rendu public, il y a deux semaines et débattu hier au Parlement, sur la création de cette nouvelle institution, qualifiée par certains de «monstre institutionnel», légistes de renom et autres observateurs civils indépendants ont défilé sur les chaînes de radio privées et dans la presse dite indépendante. Cela, pour affirmer notamment les dangers que cette institution représenterait pour la société civile et ses représentants en termes de recul démocratique et atteintes aux droits constitutionnels de la population, plus particulièrement ceux du Directeur des poursuites publiques, pourtant garantis par la Constitution selon l'article 142, qui lui seraient confisqués et octroyés au patron de la future FCC.

Dans les jours à venir, il reviendra au Premier ministre de prouver dans ses paroles et ses actes que cette nouvelle institution sera loin de comporter des desseins sinistres pour le DPP comme pour la classe politique ainsi que les autres pouvoirs et la population dans son ensemble, peu importe la sensibilité politique que chacun défend. Et que l'alternance à la direction du pays soit respectée...

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