Afrique de l'Est: À Madagascar, l'école prône désormais l'abstinence, les ONG s'indignent

À Madagascar, c'est une note qui divise. Publiée quelques jours avant l'élection présidentielle en novembre, le ministère de l'Éducation nationale informe que désormais, toutes les activités relatives à l'éducation sexuelle doivent être mises en oeuvre dans le respect du principe édicté par le ministère, à savoir l'abstinence.

Dans une note provenant du ministère de l'Éducation nationale, les cours dans les collège et lycée liés à l'éducation sexuelle sont désormais nommés désormais EVH, pour « Éducation à la Vie en Harmonie », et prônent l'abstinence. Une note, explique Eliana Raharinosy, la directrice générale en charge des établissements scolaires au niveau du ministère, « pour remettre un cadre dans la manière d'enseigner l'éducation sexuelle aux jeunes ».

« Le rôle de l'Éducation nationale, c'est de former de bons citoyens. Et nous sommes conscients que l'éducation à la sexualité, en milieu scolaire, influe beaucoup sur la qualité du futur citoyen. Avant, tout le monde pouvait venir dans nos écoles pour y disséminer les enseignements que chacun veut. On a vu que ça mettait à mal la culture malgache. Et la manière dont les autres acteurs au niveau de l'éducation sexuelle enseignent ne s'aligne pas avec ces valeurs-là. D'où la sortie de cette note », explique Eliana Raharinosy.

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« Une fille qui tombe enceinte est mise au ban de la société »

Cette dernière ajoute que désormais, ces cours n'aborderont plus la question de contraception. « Par contre, cette information est disponible dans la matière SVT. Aussi, on ne peut plus faire les démonstrations pour montrer comment on utilise le préservatif. Ça, c'est dû au caractère sacré de nos établissements scolaires. Mais on ne dit pas juste "abstinence" : on arme les enfants à avoir un bon comportement, une vie saine et la seule manière de faire ça, c'est de les informer sur les bonnes attitudes à avoir. On leur dit : "L'objectif, c'est d'avoir votre bac" », ponctue-t-elle.

« Si vous tombez enceinte, irez-vous en classe de Terminale ? Non, parce qu'une jeune fille qui tombe enceinte est mise au ban de la société. Tout ça, c'est un package qui fait que les enfants ont les informations nécessaires pour se dire que même s'ils ont fauté, que même s'ils ont déjà eu une relation sexuelle, par exemple à 12 ans, à 13 ans, ils reçoivent la formation EVH et à partir de là, ils vont changer de comportement. »

Pour la directrice, la mesure n'a rien de rétrograde. « On prône nos valeurs, dans cette éducation sexuelle, et c'est ça qu'on transmet à nos enfants », conclut-elle.

Sarah Tétaud « C'est un retour en arrière »

La vision d'Eliana Raharinosy est aux antipodes de celle de Sariaka Nantenaina, directrice de l'ONG C for C, qui intervient justement dans les établissements scolaires pour parler de sexualité aux jeunes.

« Quand on a vu cette note, notre première réaction chez C for C a été le choc. Avec cette directive, on ignore juste toutes les avancées des dernières années. C'est un retour en arrière. Il y a quelques années, la sensibilisation sur les plannings familiaux, sur la santé sexuelle se faisaient en milieu scolaire et en milieu extrascolaire. Et donc là, ce sera juste en milieu extrascolaire », déplore Sariaka Nantenaina.

« Nous, sur le terrain, on se rend bien compte que les jeunes ont une vie sexuelle active, et ça très tôt. Et ce n'est pas en prônant l'abstinence que l'on va empêcher les rapports sexuels. C'est vraiment les plonger dans l'ignorance. Au contraire, on est convaincu que plus les jeunes sont informés tôt sur des sujets comme la contraception, la transmission des maladies, la conception d'un enfant, la menstruation, le consentement, plus ils seront en mesure de prendre des décisions éclairées, et pourront agir en connaissance de cause », assure-t-elle.

« Pas une sensibilisation »

Pourtant, le ministère indique que ces sujets-là seront abordés au cours du programme des différentes matières, mais ce n'est pas le cas, s'indigne Sariaka Nantenaina. « J'ai une fille qui est en lycée qui suit le programme malgache. Et je peux témoigner que le sujet de la contraception est abordé au sein de la matière histoire au cours de l'après-guerre mondiale, du baby-boom, et de la régulation des naissances. Mais c'est un survol du sujet ; ce n'est pas une sensibilisation ni même une éducation à la contraception. Ce qui reste, c'est juste 2-3 phrases sur le sujet », pointe la directrice de l'ONG.

« Ce qui nous embête aussi, c'est quand on parle "des valeurs malagasy" pour justifier le fait que l'on prône l'abstinence. Quand on envoie une jeune fille de neuf ans se marier, ou quand 80% des cas de viols sont des cas incestueux : de quelles valeurs parle-t-on ? », martèle-t-elle.

Sarah Tétaud Les intervenants dans les écoles soulignent également que la culture est différente selon les zones géographiques à Madagascar. « Le rapport au corps, à la sexualité, disent-ils, est différent en fonction des ethnies. » Depuis la publication de la note, plusieurs des partenaires historiques ont d'ores et déjà annoncé suspendre leur collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale.

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