Parti de Ouona dans la province des Balé, Dassa Zina est devenu roi de l'imprimerie numérique dans l'ancienne Gold Coast. Lema press, son entreprise qu'il a créée en 2009, est aujourd'hui une référence en la matière.
Très attaché à ses origines, il a toujours un regard tourné vers le Burkina. En plus de ses nombreuses actions en faveur de l'ambassade et de la communauté burkinabè vivant au Ghana, l'homme d'affaires entend répondre à l'appel du chef de l'Etat en investissant dans l'agrobusiness dans son pays natal.
Dans les rues parfois étroites de la capitale ghanéenne, l'une des plus grandes villes d'Afrique de l'Ouest, le motard de la police doit manoeuvrer avec habileté pour ouvrir la voie au petit cortège. L'homme ainsi escorté n'est ni ministre, ni une personnalité de premier rang au Ghana, mais Dassa Zina, un homme d'affaires burkinabè. D'habitude, ce fringant quinqua passe inaperçu dans la circulation d'Accra avec sa voiture des plus modestes et son look passe-partout mais aujourd'hui, le roi de l'imprimerie fait venir pour une opération marketing deux influenceurs, le Guinéen Grand P et l'Ivoirienne Eudoxie Yao qui forment sur la toile un couple détonant, suivi par des dizaines de millions de fans.
Même au Ghana, pays anglophone, leur buzz a pris comme on dit et les deux célébrités ouest-africaines font le tour des plateaux télé et des personnalités. Résultat : des millions de vues sur les réseaux sociaux, de la visibilité et des followers de plus pour Lema press, dont la page Facebook est toujours taguée dans leurs posts.
Ce vendredi 8 décembre 2023, l'opérateur économique et ses hôtes ont rendez-vous avec l'ancienne gloire du football continental Abedi Pelé, le père des frères Ayew. Après les échanges avec celui qui a remporté trois fois le ballon d'or africain, séances photos et vidéos ont rythmé la visite. De quoi affoler encore les compteurs des «Vues», des «Likes» et des «Coeurs».
Dans l'après-midi, au sein des locaux de Lema press, sis au quartier Kokomlemle d'Accra, l'entreprise présentait ses produits (brochures, cartes d'invitation, de visite, de mariage; livrets ; tableaux ; affiches ; impression 3D, etc.) au cours d'une sympathique cérémonie qui réunissait quelques invités.
Pendant qu'une troupe égayait le public avec des sonorités et des danses traditionnelles du terroir, la salle d'attente ne désemplissait pas de clients attendant leurs commandes. Lema press est une fourmilière qui fonctionne quasiment sans arrêt. Y travaillent 67 personnes, parmi lesquelles une dizaine de Burkinabè. Un travail à la chaîne avec la particularité que tout est numérisé, rendant le processus de production très rapide. « Quelle que soit la quantité de travail que nous recevons, nous le rendons le même jour », confie Cédric Tapé, l'un des designers de la boîte.
Si Lema press est considéré maintenant comme le leader ghanéen de l'imprimerie numérique, ce statut peut faire oublier que l'entreprise vient de loin. Son histoire se confond avec celle de son fondateur, celle d'un enfant de « paysans » comme il se définit lui-même, parti de rien pour aujourd'hui imprimer sa marque.
Après ses études primaires à Ouona, secondaires à Bobo-Dioulasso, le jeune Dassa débarque à l'université de Ouagadougou où il entame des études en mathématiques. Rêvant de devenir ingénieur, il doit mettre une croix sur cette ambition après avoir échoué à un concours.
Loin de se laisser abattre, il décide alors de faire contre mauvaise fortune bon coeur. Le Burkinabè prend la direction du Ghana en 1992 dans l'intention de faire des études en marketing, un domaine qui l'attirait depuis fort longtemps. Mais au pays de Kwame Nkrumah, le sort s'acharne de nouveau et bonjour la galère. Il est obligé de stopper ses études pendant de nombreuses années avant de les reprendre et de les achever. Son Master en marketing décroché, Dassa Zina commence à travailler en 2002 comme responsable export dans une entreprise d'emballages.
Bien payé, l'idée de voler de ses propres ailes, confie-t-il, ne lui avait jamais traversé l'esprit, jusqu'à ce jour de 2009. «J'arrive au bureau, le promoteur me dit qu'il a vendu la société à quelqu'un. Il m'a dit qu'étant donné que je suis un élément clé et que c'est moi qui connaît toute la clientèle, il préfère que je reste avec les nouveaux acquéreurs pendant deux ans. Passé ce délai, ils ont voulu me retenir mais ma décision était déjà prise », se souvient-il.
A l'en croire, son choix de se lancer dans l'imprimerie s'est fait de façon naturelle. «Depuis l'université, j'aimais cette activité. J'avais un grand frère qui avait un secrétariat public et pendant les vacances je l'aidais comme commercial. Et quand je suis venu au Ghana, je m'étais inscrit dans une école d'infographie », explique-t-il.
Son «bébé» s'appellera Lema press, un hommage à sa mère qui porte le nom de famille Lema.
De deux employés au départ et dotée d'une imprimerie sur table, la société à force de travail, d'innovation et d'une bonne relation clientèle s'est fait un nom. Lema press est réputée avoir en son sein le meilleur en ce moment en terme de machines d'impression. « Nous envoyons les équipements de haute technologie. Ce que nous avons aujourd'hui, ce sont les mêmes équipements que les imprimeries numériques ont en Europe, aux USA. Voilà pourquoi notre devise est World class digital print (Ndlr : Impression numérique de classe mondiale) », affirme le manager directeur de Lema qui ajoute que sa boîte est aujourd'hui la seule au Ghana à pouvoir faire de l'impression sur tout type de support et à une grande résolution.
L'un des secrets de réussite de Dassa Zina, c'est son système de management à l'anglo-saxonne. « Je suis le leader mais je ne suis pas le patron », assène-t-il. Houzaifat Ouédraogo, l'ingénieur qui s'occupe de l'entretien des appareils loue les qualités managériales de son patron. A moins d'être un habitué des lieux, difficile parfois de savoir qui est le patron, tant il s'illustre par sa simplicité, n'hésitant pas lui-même à mettre la main à la pâte ou recevant directement les clients.
Jamais à cours d'idées et toujours en train de se projeter dans l'avenir, l'imprimeur nourrit de grandes ambitions pour sa boîte : « Dans 5 ans, je veux que Lema press soit le leader de l'imprimerie numérique en Afrique. On a fait des investissements, nous allons construire une grande usine et nous allons faire venir des experts de partout pour travailler avec nous. », annonce-t-il, ajoutant que le prochain cap sera déjà de faire de sa structure une entreprise régionale. L'entreprise a notamment en projet le lancement d'une plate-forme électronique qui permettra à un client hors du Ghana de lancer une commande et de se faire livrer sur place par DHL.
Marié à une Ghanéenne d'origine togolaise avec qui il a un fils âgé de 8 ans, le boss de Lema press est aujourd'hui très bien intégré dans son pays d'accueil. On le dit proche de leaders politiques et de leaders coutumiers et religieux. Dans son bureau, trône d'ailleurs une photo agrandie où on le voit saluer avec déférence l'imam en chef du Ghana, Sheikh Osman Nuhu Sharubutu. « Quand tu es dans un pays ou dans une communauté donnée, il est important de s'intégrer. Et quand on comprend bien leurs valeurs, on peut faire n'importe quel investissement », dit-il.
Un pied au Burkina
S'il se trouve fort aise au Ghana, le natif de Ouona reste profondément Burkinabè. Chaque jour, indique-t-il, il parle au téléphone avec une dizaine de personnes au pays. « Je suis de coeur avec le Burkina. Bien que j'aime aussi mon pays adoptif, je n'ai pas oublié ma patrie. Je lis beaucoup sur le Burkina, sur la situation sécuritaire, et j'essaie de contribuer en parlant à mes parents au village qui sont proches des hostilités », confie-t-il.
Dans son patelin natal où a été érigée une mine, Dassa Zina dit avoir constaté avec regret les effets de l'exploitation minière sur l'environnement et le mode de vie des siens. Pour anticiper sur l'après-or, il a installé une radio qui se donne pour mission de sensibiliser les populations aux bons comportements à avoir et de s'assurer que le fonds minier de développement local versé annuellement à la mairie est utilisé à bon escient.
Preuve une fois de plus qu'il reste attaché à ses racines, l'homme d'affaires entend répondre favorablement à l'appel des plus hautes autorités burkinabè qui ont invité les hommes d'affaires à investir dans l'agriculture. Il a en projet l'acquisition d'une vaste superficie au pays, « au minimum 100 hectares », précise-t-il, pour se lancer dans l'agriculture ainsi que dans la transformation des produits agricoles.
Pour lui, c'est maintenant que le Burkina de demain doit se construire. « Je suis convaincu qu'avec tout ce que la Transition est en train de faire, la victoire est proche. Il y a des opportunités, il faut prévoir, il faut se dire que ça prendra fin un jour », avance-t-il. Il peut à ce propos compter sur les conseils avisés de la représentation de la chambre de commerce du Burkina Faso au Ghana dirigée par Sherif Ouédraogo.
En plus d'avoir le sens des affaires, Mister Zina, n'hésite pas à mettre la main à la poche quand il s'agit de son pays.
Peu de gens le savent, mais le panneau d'indication fixé devant l'ambassade du Burkina à Accra est le fruit de sa générosité. Et on ne compte plus ses nombreuses actions au profit de la communauté. A son actif également, la réfection et l'équipement de la salle d'attente de la représentation diplomatique à Asylum Down. «A un moment donné, il a mis son conseil juridique au service de l'ambassade pour défendre l'enclave diplomatique quand elle avait un contentieux en justice par rapport au terrain de l'ambassade et à la résidence et on est sorti victorieux .
Lorsque je suis arrivé en juillet dernier, j'ai lancé un processus pour renouveler la carte consulaire qui est dépassée. Il est déjà au-devant pour soutenir le projet. Comme c'est un imprimeur, la majeure partie des imprimés, c'est lui qui le fait également», égrène en plus l'ambassadeur du Burkina près le Ghana, le Togo et le Bénin, le colonel-major David Kabré. «Dassa Zina se tient toujours aux côtés de l'ambassade pour tous les besoins. C'est un patriote très engagé», résume le plénipotentiaire. «Pour moi, l'ambassade, c'est le pays. Donc, dès que j'arrive là-bas et si je vois qu'il y a quelque chose que je peux faire, je le fais », justifie le bienfaiteur.
Elevé au rang de chevalier de l'Ordre du Mérite burkinabè en 2017, Dassa Zina a de nouveau vu ses efforts reconnus par la Nation tout entière. A l'occasion de la célébration du 63e anniversaire de l'accession du Burkina à l'indépendance, il a reçu un «galon» de plus. Il a en effet été élevé au rang de chevalier de l'Ordre de l'Etalon, l'ordre le plus élevé dans les distinctions honorifiques burkinabè. Ce n'est qu'un juste retour de l'ascenseur, justifie le colonel-major David Kabré qui espère que son exemple va inspirer d'autres Burkinabè de la diaspora à ne pas oublier la mère patrie qui plus que jamais a besoin du concours de tous ses filles et fils.