Tchad: La loi d'amnistie trahit les victimes d'abus

communiqué de presse

Nairobi — La loi consacre l'impunité et récompense les auteurs d'abus

Au Tchad, une nouvelle loi d'amnistie privera les victimes de leurs droits à demander justice et renforce l'impunité, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Adoptée par un conseil national de transition le 23 novembre 2023, cette loi retire la possibilité d'engager des poursuites à la suite de la violente répression menée par les forces de sécurité lors de manifestations organisées par la société civile et les partis d'opposition.

Le 20 octobre 2022, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants, ont tué et blessé des dizaines d'entre eux, et ont passé à tabac et poursuivi des personnes jusque dans leurs maisons. Les autorités ont arrêté des centaines d'hommes et de garçons et les ont conduits à Koro Toro, une prison de haute sécurité située à 600 kilomètres de N'Djamena, la capitale du pays. Plusieurs détenus sont morts lors du trajet vers le centre de détention, certains à cause du manque d'eau.

À Koro Toro, les manifestants ont subi d'autres abus, y compris de la torture et des mauvais traitements infligés par d'autres détenus. Les détenus ont été enfermés pendant des mois avant d'être finalement libérés ou graciés. Les autorités tchadiennes n'ont pas mené d'enquêtes pénales rapides, efficaces et indépendantes sur les violations des droits humains.

« Cette loi d'amnistie a été adoptée pour protéger les personnes contre des poursuites, envoyant ainsi comme message aux Tchadiens que les auteurs d'abus peuvent commettre des meurtres sans en subir les conséquences », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « Ce processus constitue un affront aux principes fondamentaux de l'État de droit et a été mené avant même que les victimes ne soient reconnues et que les responsables ne soient identifiés. »

Depuis le décès de l'ancien président Idriss Déby en avril 2021, le gouvernement de transition dirigé par son fils, le général Mahamat Déby, a à plusieurs reprises violemment réprimé des manifestations appelant à un régime démocratique civil. Le gouvernement a notamment pris pour cible les partis d'opposition. Les violences du 20 octobre 2022 ont atteint un niveau jamais vu auparavant.

Le gouvernement a affirmé que les manifestants étaient des insurgés et que seules 73 personnes étaient mortes dans les violences. Cependant, la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), dans un rapport publié en février 2023, a déclaré que 128 personnes avaient été tuées et 518 blessées. La Commission a constaté que les forces de sécurité « ont systématiquement violé plusieurs droits fondamentaux de l'Homme... en utilisant des moyens disproportionnés » pour réprimer les manifestations. \

La Commission a soulevé plusieurs questions, y compris sur les raisons pour lesquelles aucune enquête judiciaire n'avait été ouverte sur les violations des droits humains, et a formulé des recommandations aux autorités militaires de transition, y compris celle d'engager des poursuites à l'encontre des personnes responsables de graves abus.

La Ligue tchadienne des droits de l'homme a publié un rapport en avril comprenant des éléments faisant état du meurtre de 218 personnes.

La loi d'amnistie est intervenue après la signature d'un accord de réconciliation - négocié par le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, le 31 octobre - par le gouvernement de transition et le leader d'opposition, Succès Masra, président du parti Les Transformateurs. En vertu de l'accord de Kinshasa, Succès Masra est rentré au Tchad le 3 novembre, après un an d'exil forcé et la levée d'un mandat d'arrêt émis à son encontre. Dans les semaines qui ont précédé son retour, des dizaines de membres des Transformateurs ont été arrêtés et détenus au siège de l'Agence nationale de sécurité (ANS), avant d'être libérés.

Plusieurs victimes des violences du 20 octobre 2022 ont fait part à Human Rights Watch de leurs vives préoccupations quant au fait que la nouvelle loi n'établira jamais qui est responsable des violences perpétrées ce jour-là. « La raison d'exister de cette loi est claire », a indiqué une victime. « Il s'agit d'échapper à la justice et d'éviter les enquêtes difficiles. »

Le gouvernement a déclaré aux médias que l'absence de poursuites pénales n'empêche pas les familles des victimes de demander réparation par le biais de procédures civiles et que les autorités pourraient également mettre en place un système d'indemnisation à l'avenir.

Cependant, par le passé, le gouvernement n'a pas tenu ses promesses d'indemnisation. Le gouvernement n'a fait aucun progrès dans l'indemnisation des victimes de l'ancien président, Hissène Habré - reconnu coupable de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de torture en 2016 - même si le gouvernement a annoncé qu'il avait débloqué 10 milliards de FCFA (16 millions d'USD) pour les victimes et les survivants.

Les conclusions d'une enquête sur les violences du 20 octobre menée par la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), l'une des huit communautés économiques régionales de l'Union africaine, n'ont pas encore été publiées.

Les tentatives de réconciliation devraient inclure toutes les composantes de la société tchadienne et ne devraient pas être un moyen d'échapper à l'obligation de rendre des comptes, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux du Tchad devraient plaider en faveur de la justice pour le 20 octobre, y compris pour les victimes de détention à Koro Toro.

« Cette loi est en contradiction aussi bien avec les principes des droits humains des partenaires du Tchad qu'avec les propres obligations du gouvernement tchadien », a conclu Lewis Mudge. « Les partenaires du Tchad comme les États-Unis et la France devraient décider s'ils soutiennent les forces de sécurité responsables d'abus qui échappent à la justice ou le peuple tchadien. »

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